1. Les habitants de Masafer Yatta sont parmi les plus vulnérables du territoire palestinien occupé (TPO) et dépendent de l’aide humanitaire, en raison d’un régime d’urbanisme restrictif et discriminatoire. Les autorités israéliennes ont émis des ordres de démolition ou d’arrêt des travaux contre la plupart des maisons, des abris pour animaux, des citernes et des infrastructures communautaires, au motif qu’ils ont été construits sans permis de construire, qu’il est presque impossible d’obtenir, ce qui empêche le développement de logements, d’infrastructures et de moyens de subsistance adéquats.
2. Les communautés de toute la région vivent dans un état de peur permanent. Outre la menace de démolition de leurs maisons, les communautés sont également confrontées à la violence des colons résidant dans un avant-poste voisin, qui ont bloqué les routes de la région, attaqué les bergers et mis le feu aux meules de foin et aux zones de pâturage, sapant ainsi leur sécurité physique, affectant négativement leur santé mentale et psychosociale, abaissant leur niveau de vie et augmentant leur dépendance vis-à-vis de l’aide humanitaire. Les activités d’élevage constituent la principale source de revenus de la communauté, mais l’accès aux pâturages a été réduit en raison des activités militaires et de la colonisation. Cela a augmenté la dépendance au fourrage, dont le prix a augmenté de façon exponentielle pendant la guerre en Ukraine.
3. Les organisations humanitaires et les donateurs ont fourni une assistance aux communautés de Masafer Yatta pour répondre à leurs besoins essentiels, notamment en eau et en électricité, et empêcher leur transfert forcé. Cependant, les autorités israéliennes entravent ces efforts en émettant des ordres de démolition ou d’arrêt des travaux, en confisquant des véhicules et des équipements, et en limitant l’accès physique aux terres et aux travailleurs humanitaires dans la région. Les quatre écoles de la zone, qui ont toutes été créées avec le soutien de donateurs internationaux, font l’objet d’ordres de démolition en attente, tout comme les quatre cliniques desservies par des équipes sanitaires mobiles. Les expulsions entraîneraient une multitude de besoins humanitaires auxquels il faudrait répondre pour assurer la protection de la population et l’accès aux services essentiels.
4. Le transfert forcé de civils à partir ou à l’intérieur du territoire palestinien occupé est absolument interdit par le droit international humanitaire. Les autorités israéliennes doivent cesser toutes les mesures coercitives, y compris les expulsions prévues, les démolitions et les entraînements militaires dans les zones résidentielles.
Le droit international et le cas de Masafer Yatta
Les expulsions forcées résultant de démolitions constituent une violation flagrante des droits de l’Homme, notamment du droit à un logement adéquat, à l’eau, à l’assainissement, à la santé, à l’éducation et à la vie privée.
Si elles sont menées à terme, les expulsions forcées entraînant un déplacement pourraient s’apparenter à un transfert forcé, ce qui constitue une violation grave de la Quatrième Convention de Genève et donc un crime de guerre. Toute expulsion effectuée dans ce contexte soulèverait en outre la question du déplacement arbitraire interdit par les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays.
En ce qui concerne le transfert forcé, le terme "forcé" "ne se limite pas à la force physique, mais peut inclure la menace de la force ou la coercition, telle que celle causée par la crainte de la violence, la contrainte, la détention, l’oppression psychologique ou l’abus de pouvoir, contre cette ou ces personnes ou contre une autre personne, ou en profitant d’un environnement coercitif". Cette disposition a également été intégrée dans les éléments des crimes de la Cour pénale internationale (CPI) en ce qui concerne la définition du déplacement et du transfert forcé.
L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève permet l’évacuation temporaire de personnes protégées pour leur propre sécurité ou pour une raison militaire impérative. Cependant, les zones de tir israéliennes servent principalement à l’entraînement militaire et, en l’absence d’hostilités actives en Cisjordanie occupée, cela n’atteint pas le seuil des raisons militaires impérieuses ou de la nécessité absolue pour les opérations militaires pouvant justifier toute évacuation de la population ou saisie ou destruction de biens privés. En tout état de cause, toute évacuation autorisée ne peut être que temporaire : Selon l’article 49, les personnes évacuées "seront transférées dans leurs foyers dès que les hostilités auront cessé dans la zone en question."
Le transfert forcé est également interdit de la même manière par le droit international coutumier. Selon la règle 129 de l’étude du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur le droit international humanitaire coutumier (DIH) : "Les parties à un conflit armé international ne peuvent procéder à la déportation ou au transfert forcé de la population civile d’un territoire occupé, en totalité ou en partie, à moins que la sécurité des civils concernés ou des raisons militaires impérieuses ne l’exigent."
La poursuite des expulsions de Palestiniens et de l’expansion des colonies pendant cinquante-cinq ans d’occupation modifie la réalité sur le terrain, contrairement au droit humanitaire international et aux résolutions juridiquement contraignantes du Conseil de sécurité des Nations unies. L’arrêt de la Haute Cour du 4 mai concernant Masafer Yatta semble s’inscrire dans une politique plus large d’Israël sur le territoire qu’il occupe, consistant à utiliser des zones militaires fermées, ce qui entraîne la confiscation et la démolition de terres et de maisons palestiniennes, dans certains cas pour permettre l’établissement et l’expansion de colonies. Des cas documentés de transferts de terres des zones de tir vers les colonies exacerbent ces préoccupations.
Les réglementations, politiques et pratiques israéliennes affectant les Palestiniens dans les zones de tir déclarées par Israël ou dans leur voisinage exacerbent l’environnement coercitif qui place ces communautés sous une pression extrême pour qu’elles se déplacent, soulevant un risque imminent de transfert forcé.
Les zones militaires fermées limitent encore plus les pâturages privés palestiniens et imposent de sévères restrictions à la circulation et aux moyens de subsistance des Palestiniens, ce qui suscite des inquiétudes quant aux violations des droits humains.
Chiffres clés
Dans les années 1980, les autorités israéliennes ont désigné une partie de Masafer Yatta, dans le sud des collines d’Hébron, comme "zone de tir 918", une zone militaire fermée. Depuis cette déclaration, les résidents risquent l’expulsion forcée, la démolition et le transfert forcé. Les deux villages de Khirbet Sarura et Kharoubeh n’existent plus depuis que leurs maisons ont été démolies.
Environ 20 % de la Cisjordanie a été désignée comme "zone de tir", ce qui affecte plus de 5 000 Palestiniens de 38 communautés.
Actuellement, à Masafer Yatta, 215 ménages palestiniens vivent dans la zone, soit environ 1 150 personnes, dont 569 enfants.
En 1999, le gouvernement israélien a émis des ordres d’expulsion à l’encontre d’environ 700 résidents palestiniens de Masafer Yatta pour avoir "vécu illégalement dans une zone de tir", à la suite de quoi l’armée israélienne a expulsé par la force la plupart d’entre eux et a détruit ou confisqué leurs maisons et leurs biens. Cette expulsion contredisait un ordre militaire israélien existant, qui stipulait que les restrictions concernant la zone de tir ne seraient pas appliquées aux résidents actuels de la zone.
Quelques mois plus tard, la Haute Cour de justice israélienne (HCJ), en réponse à une pétition déposée au nom des résidents, a émis une injonction provisoire permettant à la plupart des personnes de revenir, dans l’attente d’une décision judiciaire définitive. Cependant, l’existence d’ordres d’expulsion laissait les résidents vivre sous la menace constante de la destruction de leurs propriétés et du risque de transfert forcé.
Dans une requête adressée en 2012 à la HCJ, l’armée israélienne a réaffirmé son droit d’expulser huit des treize communautés de la zone, tout en leur offrant un accès aux terres pour la culture et le pâturage uniquement les week-ends et les fêtes juives. L’action juridique, l’aide humanitaire et le plaidoyer ont permis de contester cette décision et d’offrir une protection temporaire contre l’expulsion forcée aux résidents palestiniens de Masafer Yatta.
Lors d’une audience du tribunal en août 2020, les autorités israéliennes ont fait valoir que les communautés palestiniennes n’étaient pas des résidents permanents de la zone lorsqu’elle a été déclarée zone de tir, et qu’elles n’avaient donc pas le droit de continuer à vivre dans leurs maisons.
En juillet 2020, une transcription a été soumise au tribunal d’une audience de 1981 au cours de laquelle le ministre de l’Agriculture de l’époque a donné l’ordre aux forces israéliennes de créer des zones d’entraînement dans la région pour déplacer les résidents palestiniens.
En parallèle, les communautés de Masafer Yatta ont fait l’objet de plusieurs vagues de démolitions et d’ordres de démolition depuis 1999, y compris contre des villages situés en dehors de la zone de tir.
Le 4 mai 2022, la HCJ a jugé qu’il n’y avait pas d’obstacles juridiques à l’expulsion prévue des résidents palestiniens de Masafer Yatta pour faire place à un entraînement militaire, ce qui les expose de fait à un risque imminent d’expulsion forcée, de déplacement arbitraire et de transfert forcé.
Depuis la décision du tribunal du 4 mai 2022, les autorités israéliennes ont intensifié de plus en plus l’environnement coercitif pour les Palestiniens de Masafer Yatta :
18 mai : Les forces israéliennes ont émis un ordre de saisie militaire pour la construction d’une route de patrouille à deux voies dans la " zone de tir ".
11 mai et 1er juin 2022 : des dizaines de Palestiniens ont vu leurs maisons démolies à Khirbet Al Fakhiet et Mirkez. Pour certains d’entre eux, la démolition du 1er juin était la troisième fois qu’ils perdaient leur maison en moins d’un an.
7 juin : Les autorités israéliennes ont émis des ordres de démolition pour les sept maisons et la plupart des structures de subsistance à Khirbet at Tabban.
10 juin : Les forces israéliennes sont allées de maison en maison dans la plupart des communautés pour photographier les visages et les documents d’identité des résidents, faisant craindre à ces derniers une augmentation des restrictions de mouvement.
16 juin : un jour après l’annonce de la tenue d’un exercice d’entraînement militaire dans la région, de nouveaux ordres de démolition ont été émis pour 20 structures à Khallet Athaba’.
20 juin : Une déclaration remise par les forces israéliennes aux avocats de Masafer Yatta indique que l’entraînement militaire aura lieu pendant une période de 4 semaines.
21 juin : Un exercice d’entraînement militaire a commencé, les militaires plaçant des cibles à proximité de zones résidentielles habitées dans Masafer Yatta. Depuis le début de l’entraînement militaire, les restrictions de mouvement imposées à la communauté par les forces israéliennes se sont multipliées, même les jours où l’entraînement n’a pas lieu.
Traduction et mise en page : AFPS / DD
Photo : OCHA / Des habitants de Kirbet at Tabban, l’une des 13 communautés menacées de transfert forcé à Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie occupée