Je n’aborderai pas les questions
juridiques, je ne suis
pas qualifié pour le faire, mais
en écoutant les diverses
remarques, les commentaires, je
pense que deux choses doivent
être très claires, qui toutes deux
relèvent de notre crédibilité. La
première répond à ce type de question : pourquoi se préoccuper de
dix prisonniers alors que nous en
avons cinq mille ? Il faut bien se dire
que nous ne sommes pas dans un
concours de victimes. A la seconde
même où nous entrons dans ce
concours nous avons tout perdu.
Nous ne sommes pas en concurrence avec les victimes, toutes
les victimes nous concernent, qu’elles soient peu nombreuses
ou multiples. Le sort de n’importe quel prisonnier me tient autant
à coeur que celui des treize mille prisonniers palestiniens, dont
30% de mineurs. C’est fondamental et ce n’est pas qu’une
question d’efficacité, c’est une question d’éthique. Quand on
a une position de principe, elle ne joue pas sur la quantité de
victimes, elle s’applique à ce qui se passe, à ce qui est en jeu.
Ma deuxième remarque est du même ordre. En effet, pour être
crédibles et pour bien se battre, il convient de balayer aussi
devant notre porte. Il n’y a pas eu de procès pour Yasser Arafat,
pour toutes les raisons que l’on sait : les pressions, l’occupation,
le fait que nous soyons talonnés en permanence par
toute une série de despotismes ... Mais il faut avoir le courage
de dire que la partie palestinienne n’a pas non plus demandé
d’enquête. On ne peut pas constamment se vivre comme étant
au coeur d’un complot permanent et perpétuel. Il nous faut
aussi examiner nos propres responsabilités. Ainsi, par exemple,
à propos de la décision de la Cour internationale de La Haye [1],
qui est une gigantesque victoire, nous avons commis une erreur
monumentale : nous ne l’avons pas exploitée. Nous n’en avons
rien fait. Nous l’avons accrochée au mur, comme d’autres résolutions.
– Le génocide au Darfour
Ce qui se passe au Darfour est un génocide, et ce n’est pas
parce que les Américains, ou d’autres pays riverains, en tirent
profit, que ça n’en est pas
un ou que cela devient un
complot américain. Il y a un
génocide, il faut prendre
position par rapport à cela.
Et ce n’est pas seulement
pour que les gens nous
croient quand nous nous
levons contre des injustices
qui nous sont faites, c’est
une question de principe.
Sinon nous serions en train
de pratiquer ce que nous
reprochons en permanence
à l’autre, à savoir le « deux
poids deux mesures ». Certains
malheurs nous touchent,
d’autres non, et bien entendu ceux qui nous touchent
sont précisément ceux qui se passent chez nous. On ne peut
pas entrer dans ce type de démarche.
Nous ne sommes pas dans une course pour savoir qui souffre
le plus, qui déplore le plus de morts. Tout nous concerne. C’est
cela notre choix. Et notre choix est presque -et je le dis en tant
que Palestinien-, notre choix de la Palestine est presque abstrait.
Nous ne sommes pas engagés dans ce combat uniquement
parce que cela se passe en Palestine, nous sommes engagés
dans ce combat parce que nous n’aimons pas les occupations,
nous sommes engagés dans ce combat parce que nous n’aimons
pas l’injustice, pas uniquement parce que cela se passe chez
les Palestiniens. Et c’est le début de tout engagement à mon avis.
Ne tombons pas dans ce piège : pourquoi Hariri et pas Arafat ? Pourquoi le Darfour et pas Gaza ? Et ainsi de suite. Nous
voulons que la justice soit partout, pas ici ou là. C’est très
important.
– Transcription de Françoise Feugas.
Le titre, les chapeau, note et intertitre
sont de la rédaction.