La société civile palestinienne au Parlement autrichien :
Chers Députés du Parlement autrichien et représentants des partis politiques
Nous, soussignées coalitions représentatives de la société civile palestinienne, organisations de défense des droits de l’homme et syndicats, vous écrivons au sujet de la résolution (141/A(E)) sur la « Condamnation de l’antisémitisme et du mouvement BDS » déposée par tous les partis politiques au Parlement autrichien pour examen et vote.
Nous saluons tous les efforts sincères et sérieux engagés pour combattre l’antisémitisme parce que, comme vous, nous rejetons l’antisémitisme comme une des formes les plus odieuses de racisme, surtout à la lumière de la montée du sectarisme anti-juif et des crimes de haine partout en Europe.
Dans le même temps, nous attendons de vous que vous reconnaissiez que la lutte contre l’antisémitisme ne doit pas être utilisée à mauvais escient pour réprimer le combat contre d’autres formes de racisme et de discrimination raciale, quel qu’en soit l’auteur.
Dans cette optique, nous aimerions vous rappeler que la Cour pénale internationale (CPI) a récemment annoncé qu’elle était persuadée que des crimes de guerre avaient été commis par Israël en Cisjordanie occupée, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, et qu’elle ouvrirait une enquête officielle à ce sujet.
Nous attendons que vous reconnaissiez qu’il est légalement faux, politiquement et moralement répréhensible, de criminaliser et de d’étouffer l’opposition pacifique aux crimes commis par Israël sous prétexte de combattre l’antisémitisme.
BDS est un mouvement global pour la défense des droits humaines des Palestiniens, qui dénonce les crimes de guerre et les violations des droits de l’homme par des moyens non violents perpétrés par Israël. Comparé au mouvement qui a aidé à mettre fin au régime d’apartheid en Afrique du sud, BDS mène des campagnes pacifiques vis-à-vis d’institutions et d’organisations israéliennes ou pas, comme auprès de gouvernements, qui aident ou rendent possible l’oppression israélienne du peuple palestinien et accordent à Israël l’impunité pour ses violations flagrantes du droit international humanitaire et des droits de l’homme.
Le mouvement BDS est soutenu – et dirigé – par une grande coalition représentative de la société civile palestinienne (https://www.bdsmovement.net/call) et jouit d’un soutien international étendu, notamment au sein de la communauté juive en Europe et aux Etats-Unis.
En gardant ça à l’esprit – et pour les raisons expliquées ci-dessus – nous incitons très fortement les partis politiques et les députés autrichiens à retirer la résolution en question et à ne pas soutenir son vote.
- Premièrement, votre résolution est fondée sur une définition erronée de l’antisémitisme qui associe la protestation pacifique contre les crimes de guerre et les abus d’Israël à de l’antisémitisme. Les exemples d’”antisémitisme contemporain lié à Israël” évoqués dans la définition de travail de l’IHRA que vous soutenez sont délibérément vagues pour amener à la conclusion fausse que la critique d’Israël est toujours l’expression d’une haine contre les Juifs.
Plus de 40 formations juives ont dénoncé cette définition de travail arguant du fait qu’elle est impropre au vrai combat contre l’antisémitisme et même, qu’elle l’en détourne. Tout comme de nombreux universitaires, juristes et défenseurs des droits des Palestiniens qu’ils soient juifs, israéliens ou palestiniens, elles mettent en garde contre l’adoption de cette définition de travail de l’IHRA au Royaume-Uni, en France, en Autriche et ailleurs, expliquant qu’elle est utilisée par les gouvernement israélien d’extrême-droite et ses lobbys pour faire taire la critique légitime d’Israël et les défenseurs des droits des Palestiniens, et pour protéger Israël de sanctions internationales pour sa violation flagrante de la loi internationale.
Même l’auteur de cette définition (https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/dec/13/antisemitism-executive-order-trump-chilling-effect) a expliqué à plusieurs reprises qu’elle était seulement faite pour collecter des données et qu’elle n’avait jamais été pensée comme un texte de loi à adopter ni comme un instrument pour contraindre la liberté d’expression des peuples israélien et palestinien.
Deuxièmement, cette résolution déforme les faits et utilise des mensonges pour diaboliser le mouvement BDS qui serait antisémite. Une simple visite du site du Comité national palestinien du BDS (BNC), la large coalition de la société civile palestinienne qui dirige le mouvement mondial, vous aurait appris que :
- le mouvement BDS est ancré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et qu’elle rejette toute forme de racisme et de discrimination (https://bdsmovement.net/news/%E2%80%9Cracism-and-racial-discrimination-are-antithesis-freedom-justice-equality%E2%80%9D)
- rien ni personne n’est boycotté parce que juif ou israélien. La campagne BDS vise les institutions, les sociétés et les gouvernements, israéliens et internationaux, pour leur complicité avec des violations flagrantes de la loi internationale et des droits des Palestiniens
- l’appel au BDS lancé par la société civile palestinienne en 2005 demande explicitement aux Israéliens consciencieux de le soutenir, un appel qui a depuis été entendu par beaucoup.
En ce qui concerne votre affirmation selon laquelle le mouvement BDS serait antisémite parce qu’« il questionne le droit à l’état d’Israël d’exister en défendant le droit au retour des réfugiés palestiniens », nous expliquons clairement, une fois encore, que le mouvement BDS cherche à faire respecter par Israël ses obligations en vertu du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Le droit au retour est un droit humain fondamental pour n’importe quel être humain. Plus encore, la résolution de l’ONU qui rappelle ce droit spécifiquement pour les réfugiés palestiniens a été réaffirmée plus d’une centaine de fois depuis 1948 par ses états membres dont l’Autriche.
Après ce que nous venons de rappeler ci-dessus, nous posons la question : les partis politiques et les élus autrichiens, représentants d’un Etat de droit et membre de l’ONU, estiment-ils que le respect du droit international par les États et la réalisation des droits fondamentaux de l’homme par les personnes constituent une menace pour l’existence des États ? Ou qu’Israël est au-dessus des lois ? Ou que les Palestiniens sont des sous-humains ?
Enfin, avec votre proposition de résolution, vous appelez le gouvernement autrichien à agir en violation des droits fondamentaux garantis par la constitution autrichienne et le droit européen. En effet, sur la base de l’accusation mensongère et diffamatoire d’antisémitisme contre le mouvement BDS, votre résolution demande au gouvernement de refuser des installations, des infrastructures et des subventions financières à toute organisation, groupe ou activité du mouvement BDS ou à ses soutiens.
Nous vous rappelons que l’appel à un boycott pacifique pour mettre fin aux injustices est un droit fondamental de la liberté d’expression qui se doit d’être respecté par vos élus et représentants, même si vous êtes en désaccord profond avec les objectifs et les méthodes du mouvement BDS.
Ce droit est garanti par la Constitution autrichienne (Article 13), par la Convention européenne des droits de l’homme (Article 10) et par la Convention internationale sur les droits civils et politiques (Article 19). Par conséquent, l’Union européenne, les gouvernements des Pays-Bas, d’Irlande et de Suède, le Parlement espagnol et la Chambre haute du Parlement suisse ont tous affirmé leur respect du droit des citoyens à soutenir la campagne BDS.
En Allemagne, où des résolutions honteuses anti-BDS du type de celles qui sont actuellement discutées au Parlement autrichien ont été adoptées par des villes et par le Parlement fédéral, 240 universitaires juifs et israéliens, y compris des autorités sur l’antisémitisme et l’histoire de l’Holocauste, ont lancé un appel au gouvernement allemand, l’exhortant à rejeter la résolution du Bundestag, à ne pas assimiler le BDS à l’antisémitisme et à s’abstenir d’étouffer la liberté d’expression quand elle défend les droits des Palestiniens.
Plus encore, des tribunaux allemands ont régulièrement condamné des mairies pour violation des droits à l’égalité et au rassemblement, pour violation de la liberté d’expression, parce qu’elles avaient refusé à des associations locales ou à des citoyens l’utilisation d’équipements publics pour organiser des événements liés à la campagne BDS. Dans deux cas, un tribunal a clairement expliqué que ces résolutions, notamment celle adoptée par le Bundestag, « sont des résolutions politiques qui ne peuvent en aucun justifier, d’un point de vue législatif, la restriction d’un droit existant. »
Nous appelons le gouvernement et le Parlement autrichien à respecter notre droit et le droit des citoyens autrichiens à relayer et à soutenir les campagnes BDS pour la liberté des Palestiniens, la justice et l’égalité.
Signataires :
Palestinian Human Rights Organizations Council
General Union of Palestinian Workers
Federation of Independent Trade Unions
Palestinian Trade Union Coalition for BDS (PTUC-BDS)
General Union of Palestinian Women
Union of Palestinian Farmers
General Union of Palestinian Teachers
Palestinian Federation of Unions of University Professors and Employees (PFUUPE)
General Union of Palestinian Writers
Union of Public Employees in Palestine-Civil Sector
General Union of Palestinian Peasants
Union of Palestinian Charitable Organizations
Union of Professional Associations
Agricultural Cooperatives Union
Council of National and Islamic Forces in Palestine
Palestinian NGO Network (PNGO)
Palestinian National Institute for NGOs
Global Palestine Right of Return Coalition
National Committee to Commemorate the Nakba
Civic Coalition for the Defense of Palestinian Rights in Jerusalem
Coalition for Jerusalem
Occupied Palestine and Syrian Golan Heights Initiative
Grassroots Palestinian Anti-Apartheid Wall Campaign – Stop the Wall
Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel (PACBI)
Popular Struggle Coordination Committee (PSCC)
Women Campaign to Boycott Israeli Products
Palestinian Economic Monitor
National Committee for Grassroots Resistance