Maintenant que l’accord de gouvernement/coalition est signé entre le Likoud et Bleu Blanc, il est important de se pencher sur la signification d’un tel accord, en particulier sur deux sujets. Bleu Blanc se cache derrière la préservation de « la démocratie et de État de droit » pour justifier son entrée dans un gouvernement dirigé par Nétanyahou : il prouve ainsi qu’il reste fidèle à ses principes. Finalement, le parti a accepté « de trouver un compromis » et a consenti à bouger pour avancer l’annexion au 1er juillet.
Voilà ce que tout le monde a besoin de savoir pour penser « la démocratie ». Après tout, il n’y a aucun rapport entre « démocratie et État de droit » et le maintien de la domination israélienne sur des millions de Palestiniens sans droits. Ce que fait Israël au-delà de la Ligne Verte est antidémocratique par nature. Les Palestiniens n’ont aucun droit politique, ils ne participent à aucun processus démocratique quelqu’il soit, et leurs vies sont contrôlées de bout en bout par le système israélien dans lequel ils n’ont aucune représentation. Aucun Palestinien n’a jamais participé à une élection, ni n’a été nommé à la Haute Cour de justice, ni n’a siégé à la Knesset ou n’est devenu officier dans l’armée ou ministre ... tous ces postes qui décident chaque jour de ce qui se passe dans les territoires.
Cela étant dit, tous les beaux discours sur la démocratie sont dénués de sens et il ne sert à rien de parler d’État de droit. Non seulement au sens superficiel du terme qui désigne l’absence de comptes rendus par les membres des forces de sécurité qui tuent des Palestiniens, ou la non application de la loi contre les colons qui harcèlent les Palestiniens, mais aussi selon un sens plus profond : que peut bien vouloir dire État de droit quand il est déterminé, interprété et appliqué selon les intérêts de ceux qui le contrôlent et qui oppressent leurs sujets avec l’intention de perpétuer leur domination au moyen de ce même "droit" ?
Comme Humpty Dumpty l’explique à Alice [dans Alice aux Pays des Merveilles] : « La question est de savoir qui est le maître, c’est tout. » La signification d’un mot est « juste ce que je choisis que ça veut dire, ni plus ni moins. » Dans les territoires, la signification du mot "droit" est celle qu’Israël choisit de lui donner. Ainsi, il est "légal" de tirer sur des manifestants désarmés, de démolir des bâtiments, de voler des terres et de priver les gens d’eau, d’électricité et d’accès aux services vitaux.
Pourtant Bleu Blanc a rejoint la coalition gouvernementale pour sauvegarder la démocratie et l’État de droit, alors quel est le rapport entre ses mots et la situation sur le terrain ?
Pour eux, aucun problème, ils ne pensent qu’aux accusations de corruption qui pèsent sur Nétanyahou et non aux milliers de personnes visées par des tirs ou à la corruption morale à la racine du régime israélien. Les leaders de Bleu Blanc ne s’embêtent même pas pour cacher ça et sont même pressés de clarifier leur intention au cours d’une célébration totale de la démocratie qu’ils défendent. Et quelle démocratie, dont la domination sur des millions de personnes ne l’affaiblit pas le moins du monde, au point de ne même pas avoir à mentionner ces personnes !
Bleu Blanc ne se satisfait pourtant pas du silence passif au sujet de ces personnes. Un autre point de l’accord signé le 20 avril stipule qu’ils sont les partenaires d’une démarche proactive qui concerne leur avenir : une variante ou une autre - à convenir avec le grand patron à Washington - de "l’annexion" des Palestiniens sans même qu’on les interroge à ce sujet, comme d’habitude. Les implications pratiques de cette décision ne sont pas claires à ce stade - puisque Israël agit dans les territoires comme à l’intérieur de ses propres frontières. Il les a en fait déjà annexés et son intention de perpétuer sa domination sur les Palestiniens est claire depuis longtemps.
Cette contribution est importante à plus d’un titre : premièrement, parce qu’elle expose le fait que rien ne sépare Bleu Blanc du Likoud quand il s’agit de l’usage cynique de la démocratie comme une étiquette creuse, notamment en ce qui concerne le bon usage des Palestiniens non pas en tant qu’êtres humains mas comme marchandise politique pour négocier une coalition de gouvernement. Deuxièmement, quand il s’agit de réduire le fossé entre ce qu’Israël fait, sous le haut patronage américain, et ce qu’ils disent. L’apartheid n’a pas attendu le 1er juillet pour s’exercer - il est déjà là depuis un bon moment - mais après une déclaration israélienne officielle, il sera plus difficile de détourner le regard du reflet dans le miroir.
Oui, en terme, d’exposition de la réalité dans toute sa laideur, l’accord de coalition est une contribution réelle. Maintien du droit sur des millions de personnes sans droits ? Démocratie ? État de droit ? « La question est », dit Alice, « de savoir si on peut donner des sens différents à un même mot. » Mais Humpty Dumpty est là pour le rappeler : « La question est de savoir qui est le maître - c’est tout. »
Hagai El-Ad* est le directeur de B’Tselem.
Traduction AFPS