« Sahlav ». L’acronyme hébreu signifie « curiosité, réflexion et plaisir d’apprendre ». Il désigne un nouveau programme d’histoire destiné aux écoles israéliennes. Sans être révolutionnaire, ce dernier propose une nouvelle approche pédagogique visant à encourager l’engagement des élèves, et donc une meilleure mémorisation, en réservant une place plus importante à la réflexion et à l’esprit critique. Aucun lien a priori avec la « Nakba » (la catastrophe), l’exode de près de 700 000 Palestiniens durant la guerre provoquée par la création de l’État hébreu. Sauf qu’en innovant dans les méthodes, le nouveau système chamboule également le matériel soumis à débat aux jeunes Israéliens. Plusieurs textes rédigés par des auteurs israéliens et arabes mentionnent les expulsions ayant eu lieu entre novembre 1947 et juillet 1949, puis l’impossibilité du retour.
Cette année, une question d’examen proposée lors du « Bagrout » (équivalent du baccalauréat en Israël) d’histoire demande aux lycéens de confronter et d’analyser différentes sources historiques traitant des évènements à l’origine de « la création du problème des réfugiés palestiniens ». Dans l’un d’eux, Yigal Allon, l’ancien commandant des « Palmach », une unité d’élite pré-indépendance, puis général au sein de l’armée israélienne, et enfin ministre des Affaires étrangères, décrit la manière dont ses forces sont parvenues à « nettoyer l’intérieur de la Galilée » de ses habitants arabes afin de « créer une continuité territoriale juive à travers la Haute Galilée ». Un second texte, initialement publié dans un journal arabe, dénonce « la cinquième colonne, ceux qui ont abandonné leurs maisons, leurs affaires et sont partis s’établir ailleurs ».
Le nouveau curriculum ne fait pas mention explicite du terme de « nakba » et sa mise en application reste jusqu’à présent cantonnée à certaines écoles – environ 55 lycées, tous juifs, soumis à certaines conditions comme la formation des professeurs ou un plus grand volume horaire réservé à l’histoire. Mais pour la première fois, l’idée d’une responsabilité israélienne dans le départ des populations arabes établies à l’intérieur des frontières de l’actuel État hébreu est suggérée dans un programme officiel. La mention du « problème des réfugiés » dans un examen d’État est tout aussi inédite. Des changements hautement symboliques qui pourraient à terme rejoindre le programme général, estime Or Kashti, un journaliste du quotidien Haaretz.
Car le « sahlav » est considéré comme un laboratoire des idées en matière d’éducation, poursuit ce dernier. Or, depuis plusieurs décennies, l’enseignement de l’histoire fait l’objet de polémiques à répétition. En première ligne se trouvent les manuels scolaires, d’histoire et d’éducation civique, qui traitent des conditions de création de l’État. En 2009, l’ancien ministre de l’Éducation Gideon Saar, affilié au Likoud, interdit l’usage du mot « nakba » dans les écoles arabes-israéliennes, et va jusqu’à demander la modification de certains ouvrages. En 2016, Naftali Bennett, également ministre de l’Éducation, demande la réécriture d’un manuel d’éducation civique attestant que la plupart des réfugiés ont fui « par peur pour leur vie ou en réponse aux appels de leaders locaux ou des pays arabes voisins ».
La ligne officielle, celle du gouvernement et des livres d’histoire, cultivait jusqu’à aujourd’hui une thèse unique : les Arabes sont partis volontairement lors de la « guerre d’indépendance », de plein gré ou bien à l’appel des leaders des pays voisins. Il y avait bien eu le mouvement des « nouveaux historiens » menés par Benny Morris, puis d’autres, qui dès les années 1980 avaient questionné cette version traditionnelle de l’exode des Palestiniens, suggérant grâce à des documents d’archives la responsabilité des milices juives dans le départ forcé des populations.
Mais pour beaucoup d’Israéliens, la question des réfugiés était restée une idée nébuleuse, floue dans le meilleur des cas. « Je n’avais jamais entendu le mot de « nakba » avant les années 90 – cela n’existait simplement pas dans le langage ni dans la culture populaire. Évidemment, nous savions que quelques Arabes avaient quitté le pays en 1948, mais tout cela était très vague », déclare par exemple Noam Sheizaf, un journaliste israélien, dans les colonnes du Haaretz en 2011. À l’ignorance s’ajoute souvent l’autocensure et la peur d’aborder le sujet. Le tabou atteint son paroxysme en 2014, lorsqu’une loi autorise le retrait des subventions publiques à toute entité, organisation, municipalité ou institution, impliquée dans une activité de commémoration de la « nakba », célébrée chaque année en Israël le 15 mai, jour de la déclaration d’indépendance israélienne. Mais malgré ces efforts au sommet, la « nakba » refuse de disparaître. C’est la leçon que devront désormais apprendre une partie des jeunes Israéliens.