Son créateur, le dessinateur et caricaturiste Naji al- Ali, assassiné à Londres le 22 juillet 1987, est moins connu. Son histoire croise celle de la création de l’État d’Israël, de la Nakba (la catastrophe) et de toutes ces familles de réfugiés recueillies a priori pour un temps court dans des camps de fortune créés par l’ONU et gérés par l’UNRWA [1], en Palestine et dans les pays environnants. Naji et Handala sont indissociables. Handala incarne les souffrances et les espérances de son créateur et, à travers lui, celles du peuple palestinien. À l’heure où les Palestiniens, et particulièrement ceux de Gaza, continuent de subir la force destructrice d’Israël, Handala incarne plus que jamais l’esprit de résistance du peuple palestinien.
Handala [2], enfant de camp de réfugiés palestiniens né en 1969, refuse de grandir tant que justice ne sera pas rendue à son peuple. L’histoire de Handala, aux mains serrées et aux cheveux hérissés, c’est l’histoire d’une indignation face à une situation vécue comme une injustice, mais plus que tout c’est l’histoire d’un combat, celui d’un enfant qui refuse de se résigner, qui refuse de baisser les bras devant l’adversité. Son image est partout, taguée sur le Mur, sur les porte-clés, les tee-shirts et même les pendentifs, représenté tel que Naji l’a imaginé : « Handala est né à l’âge de 10 ans et depuis son exil les lois de la nature n’ont aucune emprise sur lui. Il ne recommencera à croître que lors de son retour sur sa terre natale ». Il ne dévoilera son visage que le jour où « la dignité arabe ne sera plus menacée, et qu’elle aura retrouvé sa liberté et son humanité ».
Les dessins en noir et blanc de Naji, riches en références historiques, parfois accompagnés de quelques mots, illustrent des situations et des réalités où personne n’est épargné, y compris dans son camp : il condamne l’aide américaine à Israël, critique les abus contre les droits de l’Homme dans les pays arabes, la complaisance des États du Golfe à l’égard des États-Unis, les régimes arabes qui préfèrent blâmer Israël plutôt que de reconnaître leurs échecs. Il évoque la destruction, la prison, l’exil, la résistance mais aussi la colère, l’espoir et le désespoir, la patience et la ténacité.
Naji al-Ali, lui, est né en 1936 au village de Al-Shajara, entre Nazareth et Tibériade, qu’il a fui en 1948 avec sa famille pour se réfugier au camp de Aïn el-Helwé, au Liban. Il fait des études en mécanique et en génie électrique dans un institut professionnel de Tripoli, travaille comme ouvrier saisonnier agricole et commence à dessiner sur les murs et les sols du camp de réfugiés, à improviser avec ses camarades des pièces de théâtre prenant pour sujet la Palestine et la vie des réfugiés.
En 1963, il part pour le Koweït où il s’exprime dans la revue d’opposition Al-Tali’a (l’Avant-Garde), puis au journal Al-Siyassa (La Politique) à partir de 1968. Il y parle d’espoir et de révolution et c’est là qu’il imagine le personnage de Handala. Il décide de mettre son talent au service de la cause de son peuple. Son dessin est simple et sans artifices, facile à comprendre et souvent dénué de paroles. Il ne se contente pas de dénoncer les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les ennemis mais il dénonce aussi les turpitudes du camp arabe.
Naji a ses personnages de prédilection qu’ils soient colons israéliens ou paysans palestiniens mais pour lui, c’est la femme palestinienne porteuse de vie et d’espoir qui incarne les souffrances de l’histoire récente, elle qui brandit la clé de la maison abandonnée en 48. En 1982, il témoigne abondamment dans ses dessins de la guerre civile et de l’invasion israélienne de Beyrouth.
Le « processus de paix » selon les accords d’Oslo de 1993, le rôle des dirigeants palestiniens et l’ingérence des États-Unis pour priver les Palestiniens de leur droit au retour dans leur pays est vécu par Naji comme une trahison.
Il émigre en Grande Bretagne où il continue de publier ses dessins. Il est attaqué et blessé d’une balle dans la tempe à Londres, en juillet 1987, alors qu’il se rend à son journal. Il mourra cinq semaines après et ses assassins ne seront jamais identifiés.
Plus de 2000 dessins et caricatures lui sont attribués et il a reçu de nombreux prix internationaux. Lors d’une interview, Naji al-Ali avait déclaré que son œuvre et le petit Handala al- laient lui survivre. Aujourd’hui, sa prédiction est bel et bien de- venue une réalité !
Michel Basileo
Pour connaître l’œuvre de Naji al-Ali : Le Livre de Handala. Les dessins de résistance de Naji al-Ali ou l’autre histoire de Palestine, Scribest éditions, Bischheim, première édition 2011, 176 p., deuxième édition 2015, 192 p., 19,50€.
Cette deuxième édition, soutenue notamment par l’association Al-Rowwad, présente une sélection de 167 dessins et fac-similés.