Photo : Bâtiments effondrés suite aux bombardements israéliens sur gaza, 29 janvier 2025 © Jaber Jehad Badwan
Ghali Khadr a passé deux jours à supplier ses parents de fuir avec lui vers le sud de Gaza, les avertissant qu’il était trop dangereux de rester. Son père, connu pour son caractère obstiné, a refusé. Leur dispute n’a jamais été terminée : une attaque aérienne israélienne a frappé la maison de son père, ensevelissant ses parents sous les décombres.
Dimanche, deux jours après l’annonce du cessez-le-feu, Khadr est retourné fouiller les ruines de la maison de ses parents. Il a passé la journée à fouiller les décombres de béton et de métal tordu à la recherche d’un signe de leur présence. Tout ce qu’il a réussi à trouver, ce sont quelques fragments de leurs crânes et des morceaux de leurs mains.
« Mon père, un ambulancier à la retraite, était connu pour sa forte volonté et sa patience. Il ne connaissait pas la peur et était toujours optimiste », a déclaré Khadr, 40 ans, originaire de Jabaliya, dans le nord de Gaza.
Khadr a emmené les restes de ses parents au cimetière, mais il s’est aperçu que celui-ci avait également été détruit. Il a décidé de les enterrer à côté des quelques tombes qui étaient encore intactes.
Comme Khadr, des milliers de Palestiniens sont retournés dans le nord de Gaza depuis le cessez-le-feu de vendredi, avec une tâche sinistre à accomplir : rechercher leurs proches tués des semaines ou des mois plus tôt lors de frappes aériennes israéliennes et dont les corps sont ensevelis sous les décombres.
L’agence de défense civile de Gaza estime qu’environ 10 000 corps sont pris au piège sous les décombres et les bâtiments effondrés. L’arrêt des combats a permis aux services ambulanciers de se mettre enfin à la recherche des morts et d’offrir à leurs familles la possibilité de faire leur deuil.
La tâche qui attend les sauveteurs est immense, compte tenu des quelque 60 millions de tonnes de décombres qui jonchent le territoire.
La plupart des routes ont été détruites ou bloquées par des débris. Les secouristes manquent d’équipement lourd et doivent utiliser des pioches et des marteaux pour dégager les bâtiments effondrés. Les équipes de secours doivent avancer lentement. Les débris sont également jonchés de bombes et de munitions non explosées.
« Dans un premier temps, nous nous concentrons sur la collecte des cadavres gisant dans les rues afin de préserver ce qu’il en reste, notamment en raison de la présence de chiens errants qui s’attaquent aux corps », a déclaré Khaled al-Ayoubi, 64 ans, chef de la défense civile pour le nord de Gaza.
D’autres sauveteurs sont contraints de creuser les décombres à mains nues. Jusqu’à présent, ils n’ont retrouvé qu’une fraction des 10 000 personnes disparues et n’ont pas encore commencé à fouiller les ruines des immeubles de plusieurs étages.
Si Israël autorise l’entrée d’équipements lourds dans les prochains jours, tous les corps devraient être retrouvés dans un délai de six mois à un an, a déclaré le Dr Mohammed al-Mugheer, 38 ans, directeur de l’aide humanitaire et de la coopération internationale à l’agence de protection civile de Gaza.
De nombreux habitants du nord de Gaza ne peuvent supporter d’attendre aussi longtemps. Ils ont commencé à retourner dans leurs maisons en ruines pour rechercher eux-mêmes leurs proches.
Yahya al-Muqra, 32 ans, originaire de Jabaliya, pense que son frère Sharif est mort. Il a perdu contact avec lui après une frappe aérienne israélienne sur leur maison le 25 juillet. Il a réussi à se rendre sur les lieux du bâtiment rasé, mais n’a trouvé aucune trace du corps de Sharif.
« Nous sommes allés inspecter les lieux, mais nous n’avons trouvé aucune trace de lui, comme s’il avait disparu. La maison et tout ce qui l’entourait ont été réduits en ruines », a déclaré Muqra. « Des témoins ont dit l’avoir vu pour la dernière fois près de la maison. » Son frère souffrait d’épilepsie et il craint que, même si le raid aérien ne l’a pas tué, il soit mort sans ses médicaments.
Dimanche, Muqra a enfin eu le temps de rechercher son frère, mais travaillant seul, il n’a trouvé aucune trace de lui.
« J’espérais trouver quelque chose qui prouve que Sharif était là, un vêtement, n’importe quelle trace. Nous avons vraiment besoin d’engins lourds pour fouiller sous les décombres, mais ces machines ne sont pas disponibles », a-t-il déclaré.
Pour de nombreuses familles, la douleur de ne pas savoir où, quand et comment leurs proches sont morts est immense. Elles ont passé des mois loin de chez elles, dans l’attente, dans l’incertitude d’avoir la chance de retrouver ne serait-ce qu’un fragment de ceux qu’elles ont perdus, quelque chose à quoi dire adieu.
Offrir cette chance aux familles est ce qui motive les secouristes de Gaza, qui travaillent sans relâche sous un soleil de plomb tandis que les familles anxieuses attendent à leurs côtés.
« Les familles considèrent que récupérer les corps de leurs martyrs est une façon de les honorer et de préserver leur âme, et cela les rassure de savoir que leurs proches sont vraiment devenus des martyrs et ne sont plus en vie », a déclaré Fadi al-Salibi, 35 ans, employé de la défense civile.
Muqra espère que les jours à venir lui apporteront des informations sur le sort de son frère. Les cimetières de son quartier ayant été détruits, il prévoit d’enterrer Sharif dans le jardin de sa maison.
« J’ai le cœur brisé parce que mon frère n’a pas encore été enterré. Même un seul os nous permettrait de l’enterrer et de ressentir un certain soulagement », a-t-il déclaré.
Traduction : AFPS




