Le long de l’arête de la colline au-dessus de nous, trois voitures de policiers israéliens armés sont stationnées entre la colonie juive cisjordanienne de Givat Haroe et l’oliveraie palestinienne dans la vallée au-dessous où les villageois de Sinjil récoltent leurs olives aussi rapidement que leur énergie, affaiblie par un mois de jeûne du Ramadan, le leur permet. Quoiqu’il se passe d’important ailleurs, on ne peut pas ignorer le passage des saisons. Les olives doivent être cueillis et c’est un moment rare pendant lequel les fermiers peuvent cueillir eux-mêmes les fruits sur leurs propres terres sans avoir peur d’être chassés par des colons armés.
L’olivier est supposé être un symbole de paix : mais il est aussi au cœur du conflit pour une terre entre les colons qui croient qu’ils ont un droit donné par Dieu de vivre n’importe où dans ce qu’ils considèrent être le grand Israël, et les propriétaires palestiniens des oliveraies qui essayent de cultiver de leur côté de la Ligne Verte qui a marqué la frontière pre-guerre de 1967 entre la Jordanie et Israël.
A mi-hauteur de l’échelle, Nemiah Shaibani, tout en cueillant des olives avec sa sœur et sa belle sœur, observe le sommet de la colline où le seul signe visible de la présence de la colonie, est le drapeau israélien bleu et blanc qui flotte dans la brise. Nemiah, la cinquantaine, ne peut toujours pas considérer que le territoire qui descend hors de vue de l’autre côté de la colline est Givat Haroe. C’est plutôt Abu Adas, une partie de la terre agricole labourée par sa famille depuis qu’elle était enfant. La terre de la colonie est la terre de mon grand père » dit-elle. La perte serait néanmoins plus facile à supporter si sa famille pouvait moissonner la terre qui leur reste sans la peur d’être harcelés. « Tout ce que nous voulons c’est de cueillir nos olives et vivre en paix » dit-elle.
Mais même ici bas dans la vallée, bien à l’intérieur du côté palestinien de la Ligne Verte, la récolte des olives tout comme celle des figues et des raisins à d’autres époques de l’année, est une affaire hasardeuse. Un parent de Mme Nemiah, Ibrahim Shaibani, qui dirige un mini-marché dans le village, dit que leur capacité de récolter dépend de l’humeur des soldats dans la région ; ils prennent des fois une attitude de moindre résistance en ordonnant aux villageois de quitter la terre, d’autres fois ils les protègent des colons dont le but final, dit-il, est « de nous terroriser et nous faire partir ».
Le voisin des Shaibani, Abdul Jabar Jamil, dit : « Je suis resté 7 mois sans aller sur ma terre ; Je l’avais labouré en mars et on est maintenant en novembre ». La raison qu’il en donne c’est la peur constante que les colons ne tirent sur lui de la butte où les voitures de police sont maintenant stationnées. « Les colons nous menacent de leurs armes. L’année précédente, un d’eux est venu vers moi et m’a dit : ’Si tu ne pars pas, je viendrai avec des bulldozers et détruirai tous vos arbres ». Il ne peut prendre le risque, dit-il, de planter 20 hectares de blé et d’orge à côté des oliveraies comme il en avait l’habitude. « Aucun être humain, ni aucun mouton ne peut aller là » dit-il. « Si nous y entrons, ils nous tirent immédiatement dessus. Si un âne entre là, je n’ose pas aller le rechercher de peur qu’ils ne tirent sur moi ».
Etonnament, c’est en partie grâce à un rabbin juif que M. Jamil, un musulman pieux, a pu déplier sa natte et prier sur sa terre (entre les moments où il grimpe aux arbres pour cueillir ses olives) pour la première fois depuis le printemps. Une des raisons pour lesquelles les villageois peuvent aujourd’hui récolter en relative sécurité sous la protection de la police, est qu’ils ont été rejoints par des volontaires juifs appelés par Arik Ascherman, le directeur exécutif énergique de « Rabbis for Human Rights », éduqué à Harvard et qui depuis deux ans se bat activement y compris auprès des tribunaux israéliens, pour que les fermiers des oliveraies puissent récolter leurs olives en toute sécurité.
Après avoir gagné la confiance des fermiers palestiniens en se levant à l’aube, jour après jour, pour cueillir des olives cote à cote avec eux, Rabbi Ascherman a montré un rare exemple de dialogue entre juifs et arabes à la source. Il raconte comment, à sa grande surprise, il s’est retrouvé cueillant des olives dans le village cisjordanien de Beit Furik à côté d’un membre de la garde présidentielle d’Arafat. Rabbi Ascherman n’est pas troublé par le contact : « Je ne sais pas ce qu’il fera la prochaine fois qu’il sera confronté avec un choix éthique » dit-il « mais je sais maintenant qu’après une telle rencontre il y a plus de chance qu’il choisisse la non-violence plutôt que la violence ».
Dans les époques de paix, les olives sont la base de l’économie palestinienne qui lutte (pour s’en sortir), l’huile représente à elle seule 20% de la production agricole. Les olives sont cueillies chaque année mais le pic du cycle est atteint les années paires. Dans des villages tels que Jama’in près de Naplouse, où un pressoir italien bruyant transforme les olives du fermier Adnan Mazen en pure huile vierge, on peut s’imaginer comment l’économie palestinienne était prospère en temps de paix.
M. Mazen a ses propres problèmes : début octobre dit-il, « ma fille, son mari et moi sommes allés récolter les olives quand cinq colons armés ont commencé à nous lancer des pierres. Alors nous sommes partis en courant. » Il a eu de la veine que ses olives n’aient pas été volées. Mais la baisse du prix de l’huile l’inquiète plus, parce que les barrages de routes et les check-points à travers toute la Cisjordanie signifient que l’huile ne peut être vendue que sur le marché local, et n’atteint que la moitié du prix qu’elle aurait atteint à l’extérieur.
Le pressoir de Jama’in est l’un des plus affairés ; 62 pressoirs sur un total de 277 à travers toute la Cisjordanie, ont fermé à cause du déclin économique. De plus, en 2002 selon les chiffres des Nations Unies, on a rapporté 190 cas de violence de colons et de destruction d’arbres en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza pendant la récolte d’olives. Et cela c’est sans compter le problème additionnel du million d’arbres (10% au total) inaccessibles en partie ou totalement à leurs propriétaires à cause du Mur de Séparation qui pénètre profondément à l’intérieur de la Cisjordanie.
Cette année il y a eu également une flambée d’incidents même si Rabbi Ascherman parle d’une diminution dans les deux premières semaines de récolte. Mais dans le village d’Orif, fin octobre, Salman Safeidi (17 ans) a été tué par un tir provenant de la colonie d’Yitzhar. Le colon arrêté plus tard a dit aux policiers qu’il avait tiré en état de légitime défense lors d’une attaque ; les parents du garçon disent qu’il a été assassiné alors qu’il était en route pour vérifier si la cueillette dans l’oliveraie de son grand père pouvait se faire en toute sécurité.
Le groupe du rabbin et l’Association des Droits Civils en Israël a marqué un point important le mois dernier à la Haute Cour d’Israël quand l’armée et la police ont réaffirmé le principe de leur devoir de protection du droit des cueilleurs d’olives à faire la récolte. Les plaignants ont soutenu qu’ils ont toujours dû la faire selon la définition de la Quatrième Convention de Genève concernant les devoirs de la puissance occupante. Maintenant les activistes juifs poussent pour que ce principe soit mis en pratique. Malgré le fait que les résultats ont été inégaux (incomplets) pour ne pas dire plus, il y a quelques réussites surtout dans les zones autour des villes de Naplouse et de Qalqilya en Cisjordanie.
Mardi, des colons ont lancé des pierres sur des fermiers du village d’Awarta en Cisjordanie, et les ont été empêchés encore une fois d’entrer dans la zone entre les périmètres externes et internes des barrières de la colonie d’Itamar, zone où poussent plusieurs milliers de leurs arbres. Mais hier, les fermiers d’Awarta ont eu le droit d’aller sur leur terre, et, dans beaucoup de cas, pour la première fois depuis trois ans. Quelques 70 colons leur ont encore jeté des pierres mais cette fois-ci ils ont dû se confronter à environ 150 soldats et policiers ; 15 colons ont été arrêtés. David Nir, un physicien à la retraite et l’un des activistes juifs qui aidait à la récolte, a dit que la victoire n’était que symbolique, mais que c’était un symbole important. « Environ 70 à 80% des olives ont été volées par les colons ; toutes sauf celles dans le haut des arbres : ils étaient trop paresseux pour les atteindre ».
M. Nir dit qu’il y a eu une nette amélioration depuis l’affaire judiciaire concernant la protection de l’armée et de la police même si ce n’est que dans certaines zones ; autour de Hébron par exemple, il dit que les forces de sécurité ont adopté une attitude « négative » vis-à-vis de leur devoir légal de protéger les fermiers. Et, étant donné le « tableau plus étendu » du climat politique et d’un gouvernement qui n’a jusqu’à présent rien fait pour contrecarrer la volonté de la plupart des colons en Cisjordanie (contrairement à la Bande de Gaza) de rester sur place, il espère que la protection restera disponible pour les périodes de l’année moins importantes quand les fermiers ont besoin de labourer et de cultiver leurs terres.
Mais on peut parier que M. Nir et ses co-volontaires juifs seront de retour l’année prochaine. Rabbi Ascherman explique les raisons pour lesquelles il passe tellement de temps et d’énergie à aider les fermiers des oliveraies. D’abord, c’est parce que (comme M. Nir) il croit passionnément au droit des fermiers à cultiver en toute sécurité leurs oliveraies. Ensuite, il pense que le simple fait que des juifs travaillent cote à cote avec des arabes, quelque difficiles que soient les circonstances, peut aussi servir une cause plus grande.
Même s’il devait y avoir un accord de paix négocié au conflit, il ne tiendrait pas à moins que la haine entre les deux peuples ne commence aussi à se dissiper, dit-il. « C’est notre propre intérêt à long terme de briser les stéréotypes ». Et il ajoute, « C’est la chose juste, décente et juive à faire, mais c’est également une action de realpolitik positive ».