comment des militants de la paix renforcent la structure de l’occupation
Jewish Voice for Peace :
Dorothy Naor, en plus d’être une militante dans le mouvement « New Profile » dont le but est de changer la société israélienne, consacre beaucoup de temps à une variété de formes de protestations et d’actions humanitaires en Cisjordanie : du camp de Masha, à des manifestations contre le Mur en passant par les récoltes d’olives et l’obtention de permis pour les Palestiniens qui ont besoin de traitement médical en Israël, des Palestiniens qu’elle conduit elle-même à l’hôpital ou à qui elle fournit des voitures collectives.
Dorothy, professeur à la retraite avec un doctorat de littérature anglaise, est septuagénaire et a 8 petits enfants. A « New Profile », elle est la principale collaboratrice du service d’information alternative : envoi d’e-mails donnant des informations sur une variété de sujets ainsi que les sources principales des événements dans les territoires occupés, les analyses anti-militaristes et les activités anti-occupation.
L’analyse de Dorothy qui suit reflète le paradoxe de la double attache qui se retrouve souvent dans le militantisme anti-occupation. Tout en essayant de résister et de soulager l’oppression, les militants sont obligés de négocier avec les règles mêmes et avec les autorités qui mettent en œuvre cette oppression. Pour beaucoup de militants, c’est un problème très réel et douloureux, auquel s’ajoute le sentiment constant d’être piégés et impuissants.
Il y a environ 10 ans, alors que je travaillais dans le domaine des droits humains à Gaza, j’avais écrit : « nous sommes des juifs israéliens, relevant de lois qui ne s’appliquent qu’aux dirigeants ici. Nous ne briserons pas ces lois. Nous les étirons un peu quand nous essayons de donner quelques unes des mesures protectrices aux personnes pour qui ces lois n’avaient jamais été crées et qui ne les serviront jamais. Mais la liberté que nous pensons exercer consiste en fait à décider d’ obéir et à appliquer ces lois … ma liberté et ma force proviennent de la transgression.... en avant et en arrière.
La reconnaissance de notre complicité en tant que militants est à la fois déprimante et nous enrage. Mais la conscience que chacun d’entre nous, personnellement, est un ’joueur’ à l’intérieur de la structure du pouvoir est, de mon point de vue, vitale pour une résistance efficace.
Le militantisme pour les droits humains et contre l’oppression peut donner aux militants un sens séduisant d’héroïsme et générer des attitudes paternalistes. La conscience de la position complexe d’un tel militantisme peut tempérer ces tendances et nourrir des pratiques plus prudentes, égalitaires et sensibles au contexte. Donc, aussi triste que cela soit, la perspicacité de Dorothy Naor apporte une contribution cruciale pour la résistance qui continue.
Dorothy Naor :
Moi, une collaboratrice
J’ai commencé à réaliser que presque tous mes actes en ce qui concerne l’occupation des territoires palestiniens faisaient que je collaborais avec les pouvoirs actuels, et cela m’a pesé. Bien sûr ma collaboration est totalement involontaire. Mais néanmoins elle existe. Presque toutes nos intentions humanitaires et politiques ainsi que nos actes dépendent de l’obéissance aux règles, ce qui est une autre façon de dire que nous obéissons aux règles des forces israéliennes. Cela s’applique aux situations planifiées par avance (comme l’intention d’aider à la récolte des olives dans les territoires occupés) et aux situations d’urgence (comme lorsque des Palestiniens coincés à des check-points nous demandent de les aider pour passer).
Nous n’avons pas d’autre choix que celui de demander de l’aide à l’armée et ce faisant, nous coopérons involontairement avec celle-ci et avec les règles de jeu du gouvernement. Nous aidons donc involontairement le gouvernement et les militaires à exécuter l’occupation et à la perpétrer, et dans ce sens, je réalise vraiment (que l’on soit d’accord ou non) que je collabore.
C’est une situation de type « Catch 22 » [1]. Si nous ne respectons pas les règles de l’armée, alors elle nous empêche d’aider les Palestiniens et d’exprimer notre solidarité avec eux. Bien sûr il y a aussi des méthodes de désobéissance civile et la possibilité de faire appel auprès de la Haute Cour. Ces actes ne sont pas de la collaboration. Mais les façons avec lesquelles nous, activistes, collaborons involontairement chaque jour, sont nombreuses, trop nombreuses.
Comment est-ce que je collabore ?
Je vais vous énumérer les manières :
1 La récolte d’olives
Quand je récolte des olives pour une famille qui n’a pas reçu suffisamment de permis pour leur permettre de cueillir eux-mêmes les fruits de leurs arbres, moi, en compensant pour ceux qui n’ont pas reçu de permis, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation d’Israël sur les territoires palestiniens.
Quand j’accepte de récolter les olives seulement dans certaines régions à cause des restrictions militaires concernant les lieux où les récoltes par les Palestiniens sont permises, je collabore avec l’armée et aide à perpétrer l’occupation.
Quand j’accepte de récolter des olives les jours désignés par l’armée pour un village donné, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation.
2 Appels S.O.S.
Quand je téléphone à la soi-disant Administration Civile pour demander de l’aide pour libérer quelqu’un qui est détenu depuis des heures à un check-point, ou quand je leur téléphone pour demander de trouver et de libérer un garçon palestinien de 12 ans que les soldats retiennent ou quand je téléphone pour demander de laisser passer rapidement une ambulance à travers un poste, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation.
Quand je demande à l’Administration Civile de délivrer un permis pour une personne très gravement malade pour qu’elle puisse se rendre dans un hôpital israélien afin de recevoir un traitement impossible à obtenir dans les territoires occupés, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation.
Quand je demande un permis pour un hôpital à Jérusalem Est pour un père dont la fillette de 2 ans doit subir une opération du rein et qu’on me le refuse parce que le Service Central de Sécurité a déclaré que le père était « interdit » et ensuite, même après de multiples tentatives pour obtenir ce permis, je n’arrive pas à l’obtenir, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation en permettant à cette occupation de l’empêcher de se rendre au chevet du lit d’hôpital de son enfant.
Quand je téléphone à l’Administration Civile à 1 heure du matin pour signaler que l’armée est entrée dans un village, qu’elle a ordonné aux habitants (vieux, jeunes, malades ou non) de sortir de leurs maisons sous une pluie battante, et que les soldats sont en train de jeter toutes les possessions des habitants dans la pluie, puis, après avoir signalé cela, une voix de femme me répond à l’autre bout du fil « Qu’est-ce que tu veux ? C’est normal » et que je déclare calmement (plutôt que de lui crier dessus) que ce n’est pas du tout normal, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation.
Quand, après des heures de discussions avec des soldats qui me barrent la route menant à un village palestinien, j’abandonne et retourne à la maison, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation.
3 Barrages de routes
Quand j’accepte la réalité des barrages de route et des check-points, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation.
4 Le Mur de l’Apartheid
Quand je vais dans un village palestinien pour protester contre le vol de terre, le déracinement d’hectares d’arbres, la destruction de terres dans le but de construire un mur qui non seulement vole les villageois de leurs arbres et de leurs terres mais qui les enferme également dans un ghetto, et puis m’enfuis devant les bulldozers et les soldats qui commencent à tirer des gaz lacrymogènes sur nous et, à la fin de la journée, je rentre à la maison, je collabore avec l’armée et perpétue l’occupation parce que la construction du Mur continue.
Dorothy