Nous étions accompagnés de deux membres de CCIPPP et il faut leur ajouter, à notre connaissance, la participation de cinq Français rencontrés aux manifestations du 17 avril, que nous n’avons pas revus par la suite.
Al’arrivée à Jérusalem le 14 avril deux Espagnols Basques ont été refoulés à l’aéroport de Tel Aviv, à l’issue de huit heures d’interrogatoire et de cinq heures de mise en rétention, remis de force dans un avion via l’Allemagne et retour en Espagne. En transit, en Allemagne ils ont eu comme seule explication que les autorités israéliennes les avaient accusé d’être...des travailleurs clandestins !
Nous dénonçons les agissements de la police israélienne, qui viole une fois de plus, les droits fondamentaux des citoyens étrangers à Israël et qui n’hésite pas à utiliser les prétextes les plus fallacieux, dans le plus grand silence de la diplomatie internationale.
Objectifs de la mission
Participer activement aux manifestations de solidarité aux prisonniers.
Observer la situation actuelle de la vie au quotidien des Palestiniens et témoigner au retour Il y a t- il une évolution depuis Charm el cheik ?
Avoir des contacts avec des syndicalistes et des militants d’ONG pour réfléchir à des projets en commun et pour avoir leur avis sur la situation actuelle.
Avoir un contact avec des parlementaires palestiniens.
Deux d’entre nous sont restés pour notamment participer aux manifestations des syndicats du 1er.mai.
Compte rendu de la mission.
Jeudi 14 avril
Rencontre à Jérusalem Ouest avec Connie Hackbarth, directrice d’AIC (the Alternative Information Center ) . Elle nous précise que rien n’a changé, que l’évacuation de Gaza pourrait être une bonne chose, mais que ce sera en réalité une entreprise de tromperie, puisque Gaza restera un territoire fermé, entouré pour partie par une bande de mer interdite et pour le reste par des colonies gardées par l’armée israélienne.
Nous confirmons que les ONG israéliennes qui luttent pour une paix juste ont de plus en plus de difficultés à poursuivre leurs activités. Selon Connie, la grande majorité des Israéliens reste nationaliste et conservatrice, c’est, dit- elle, une « société raciste, de la force armée, dominatrice et machiste ». Elle insistera encore sur deux autres points : de nombreux chrétiens conservateurs américains viennent en Israël pour financer et donner des armes aux colons.
Et depuis la construction du mur, le gouvernement israélien fait venir des travailleurs étrangers, principalement du sud est asiatique et des Philippines pour remplacer la main d’œuvre palestinienne interdite. Ces travailleurs sont exploités, payés à peine à 50% des salaires israéliens et leur passeport leur est confisqué à leur arrivée.
Vendredi 15 avril
Départ pour Ramallah, comme habituellement en bus collectif. Premier check-point « volant », en ville sur la 2 fois 2 voies à la limite de Jérusalem ouest. Puis arrivée à l’habituel et bien connu check- point de Kalandia. A première vue rien n’a changé depuis octobre dernier, embouteillage, longues files d’attentes des véhicules et des piétons dans les deux sens, présentation des passeports, fouilles des sacs et des bagages, changement de taxis de part et d’autre du barrage.
IL y a quand même des changements... le mur a sensiblement avancé depuis 6 mois, à l’époque il était à environ deux kilomètres, aujourd’hui il arrive au check- point, il reste tout juste un espace de la largeur du rond point entre les deux extrémités du mur.
Autre changement, les travaux de la grande route « israélienne » devant relier Jérusalem à Jéricho ont commencé. Plusieurs engins des travaux publics sont au travail sous nos yeux, gardés par les militaires en armes. On se cache pour prendre des photos !
Autre vision, les colonies, sur les hauteurs bordant la route à l’est de Jérusalem, comme Ma’ale Adumin, ne laissent presque plus d’espaces vides. Le tronçonnage de la Cisjordanie se construit là, sous nos yeux. Le système d’apartheid se consolide, nous témoignerons.
Nous passons le check-point et nous prenons un taxi qui nous conduit dans le centre de Ramallah, au rond point central Al-Manara où nous attend le couple d’amis M et L Z., retrouvailles, embrassades, l’émotion nous envahit. Quelques instants plus tard, nous retrouvons leur appartement, un « trois chambres, séjour, cuisine, salles de bain, w.c. » au 1er étage d’un modeste immeuble, dans le centre de la vieille ville, proche d’une mosquée et d’une église. Ce quartier est peuplé pour moitiés de musulmans et de chrétiens. Nous y resterons quatre nuits. Le deuxième jour, notre amie L fera faire deux exemplaires de la clé de l’appartement qu’elle nous donnera pour faciliter, nous dit- elle, nos libres allées et venues. Le sens de l’hospitalité, qui s’exprime naturellement, le signe fort du partage et de l’amitié.
L’après midi nous rejoignons le rond point central, pour assister à la manifestation du Fatah, de soutien aux prisonniers. En tête du cortège une demi douzaine d’enfants se sont enchaînés symboliquement pour rappeler que de nombreux mineurs sont victimes des geôles israéliennes. Après quelques prises de paroles rapides, la manifestation qui a rassemblé deux à trois cents personnes se disperse.
Puis nous nous rendons à la Muquata. Les ruines des bâtiments, suite aux bombardements du printemps 2002, ont été déblayées. L’ancienne entrée est fermée, nous longeons le mur pendant deux cents mètres avant d’entrer sur le grand terre plein dénudé. Au fond à notre gauche, nous allons sur la tombe d’Arafat, sous un petit bâtiment de baies vitrées et gardée par trois soldats. Couronnes et bouquets de fleurs la recouvrent. La photo de l’ancien président se dresse, le regard droit vers La Mecque.
Samedi 16 avril
En début de matinée, nous nous rendons dans les nouveaux locaux, vastes et fonctionnels de DWRC (The Democracy & Workers’Rights Center in Palestine ) où nous sommes heureux de revoir C, qui nous avait déjà très bien accueillis en octobre dernier. Nous faisons connaissance avec le directeur de l’ONG qui nous entretient rapidement du souhait de poursuivre et de renforcer les liens avec les syndicalistes français.
Puis nous allons rencontrer la directrice de l’ONG « ADDAMEER : « Prisoners Support and Human Rights Association ». Créée en 1992 par d’anciens prisonniers, des médecins et des avocats, cette association apporte son aide juridique et assure, difficilement, la défense des prisonniers, puisque lorsqu’il y a un procès, il est baclé et l’avocat n’a pas connaissance du dossier qui d’ailleurs le plus souvent, juridiquement n’existe pas.
L’association dénombre environ 600 prisonniers qui devraient être défendus chaque année. Ses militants apportent aussi une aide matérielle aux prisonniers qui sont le plus dans le besoin. Les actions se concrétisent également par la dénonciation des tortures et des mauvais traitements dans les prisons. Ceci par un réseau international internet, par exemple tous les ans, des appels à manifester devant les bureaux de la Croix Rouge, sont lancés, ainsi que de nombreuses interventions auprès de organismes internationaux et la publication de revues, comme : « Torture of Palestinian Political Prisoners in Israeli Prisons », dès la première page de l’introduction, on lit que la torture est inhérente au système de l’occupation.
Entretien avec S. Nimr, directeur de « Campaign to Free Marawan Barghouti », qui après avoir succinctement décrit la vie militante de M Barghouti, élu le plus jeune membre du Conseil législatif du Fatah, a été illégalement arrêté le 14 avril 2002, après avoir échappé à deux attentats israéliens dans sa voiture (une bombe et un missile), nous donne quelques chiffres.
Depuis 1967, 750.000 Palestiniens ont été emprisonnés, ce qui correspond à la quasi totalité des hommes adultes palestiniens, hormi les vieillards. Leur nombre est actuellement de 7500, dont 380 enfants, certains ont 12 ans.
Les 500 libérés récemment étaient tous en fin de peine, quelques dizaines avaient même été maintenus deux à trois semaines pour gonfler le nombre. Depuis, il y a eu plus de trois cents nouvelles arrestations, et ça continue tous les jours.
S. Nimr s’insurge contre le fait que les Israéliens ont le droit de procéder à des arrestations sans motif, simplement parce qu’ils « pensent » que tel individu va commettre un attentat... Puis il nous précise que la torture a toujours été pratiquée par les Israéliens et que depuis 1967, 1608 prisonniers sont morts des suites des tortures, ou ont été assassinés après leur arrestation. L’Autorité israélienne adresse des certificats de décès aux familles : « suite à un arrêt cardiaque » L’Association a tous les noms. S. Nimr termine en déclarant que « Israël maintient l’occupation, nous maintenons la résistance...Nous devons discuter tout de suite de l’occupation et non pas de telle ou telle ville... Et puis Marawan devra être libéré pour les prochaines élections législatives en juillet ».
L’après midi nous avons participé à deux manifestations, nos camarades du CCIPPP à celle consacrée aux enfants emprisonnés, et nous, militants de l’Afps, avons accompagné M. à celle du camp de réfugiés de Kalandia à la sortie de Ramallah.
Organisée dans un modeste centre d’activités culturelles et sportives, elle rassemblait dans la cour, six à sept cents personnes de tous les âges, alors que dans la salle une exposition était consacrée aux objets artisanaux et artistiques réalisés par la population et offerts aux prisonniers. A la demande des organisateurs, qui avaient eu connaissance de notre présence, je montais sur la tribune aux côtés de M., qui donna lecture en arabe, du message de soutien de l’AFPS.
Dimanche 17 avril.
C’est le jour culminant de la semaine de manifestations de soutien aux prisonniers, dans les villes et villages de Cisjordanie. Tôt le matin, nous confectionnons pancartes et banderoles, d’abord installés dans l’appartement de nos amis, puis dans la boutique de ventes et de réparation de portables louée par L., mais qui est destinée pour son fils, quand il sortira de prison.
Vers 9 h. 30 nous partons rejoindre le premier rassemblement, celui des femmes, près du siège du gouvernement, dans les proches faubourgs de Ramallah. Au départ notre cortège compte à peine cinquante personnes. Sur place, déjà beaucoup de femmes, qui brandissent les portraits de toutes dimensions de leurs enfants, maris, frères. Elles s’approchent, elles nous demandent de les prendre en photos, pour aller témoigner. Nous nous glissons au milieu d’elles, quelques mots échangés en anglais. Leur détresse et leur colère éclatent, elles les partagent toutes ensemble, à la recherche d’un furtif réconfort.
Plusieurs cars amènent d’autres manifestants, femmes, enfants, hommes de tous âges. C’est un peu la confusion, des cortèges se forment puis se défont. Nous assistons à une espèce de mouvement collectif spontané très fort, des slogans exigent la libération des prisonniers, des cris de femmes demandent où est leur fils. Des larmes coulent sur ces visages angoissés.
Soudain un ministre apparaît, c’est celui des prisonniers et des libertés. Les caméramens de télévision accourent, les quelques policiers ont du mal à contenir les femmes qui veulent lui parler. Après quelques instants d’un échange contenu, une femme se détache et apostrophe durement le ministre, ses gardes du corps l’entourent, le protègent, il lance quelques mots à la femme puis il rentre précipitamment dans le bâtiment.
Tout à côté, dans un terrain vague, des jeunes se sont enchaînés, à l’intérieur d’un enclos de barbelé, rapidement monté. La foule se regroupe là, quelques discours, des chants, des prises de paroles spontanées. Nous nous comptons, nous sommes uns dizaine de Français. En début d’après midi, le cortège se forme et nous regagnons lentement le centre ville.
Au rond point Al Manara, le rassemblement a déjà commencé. M. propos à deux d’entre nous de monter immédiatement sur la tribune, dressée le matin. Plusieurs dizaines de personnes se serrent, se bousculent, demandent la parole. Celui qui apparaît comme étant un organisateur, tend le micro à l’un, à l’une puis à une enfant et à d’autres.
Enfin on nous passe le micro, un camarade des missions civiles dit quelques mots de soutien, en anglais, un résumé de la note de l’AFPS, que nous avons remise à la presse.
Combien de manifestants ? L’estimation est difficile, le rond point est noir de monde, mais il n’y a pas de débordements dans les rues. Avec M. on dira cinq mille personnes. Il est un peu déçu. Nous lui expliquons que les rassemblements ont lieu toute la semaine, partout en Cisjordanie...
Le président du « Comité des Familles de Prisonniers » et sa femme, militante active, se sont donnés à fond pour préparer cette journée, avec très peu de moyens. Ils ont tiré et distribué de nombreux tracts, par de nombreux contacts individuels. Leurs liens avec les militants du Comité dans toute la Cisjordanie sont très étroits, mais également avec d’autres ONG comme « Le Comité des amis de prisonniers », ou le « Club des prisonniers », qui ont aussi appelé à la manifestation.
Ce soir là, ils ont certainement une pensée très forte pour leur fils de 21 ans, prisonnier depuis trois ans et condamné à trente années de prison. Accusé d’avoir été en possession d’un fusil pour tirer sur un soldat israélien. Ce qu’il a toujours nié. Ses parents sont sans nouvelles de lui et ils ignorent son lieu actuel de détention. C’est une pratique courante de l’armée israélienne de changer les lieux de détention sans en informer les familles.
Après la manifestation, nous accompagnons M. pour rencontrer dans un café, deux syndicalistes du PGFTU (Palestnian Federation General of Trade Union), Mm. membre du bureau national, section de la sécurité sociale et plus récemment membre d’une coalition démocratique regroupant des syndicats indépendants et A. responsable des finances. Participe également Tony syndicaliste d’Oxford, un habitué des rassemblements et forums internationaux.
Mm. nous explique le sens de leur lutte qui est d’obtenir des élections libres dans les entreprises mais également au sein même du syndicat pour la désignation des dirigeants. Depuis la création du PGFTU en 1990, il n’y a pas eu d’élection, sauf dans certains secteurs comme l’eau et les télécom. Ils veulent une organisation syndicale unifiée, démocratique et indépendante de l’Autorité palestinienne. Il insiste sur le caractère spécifique de leur lutte, née de la base, dirigée contre l’occupation israélienne et contre la corruption de certains de leurs dirigeants. M. nous fait comprendre que le DWRC partage les mêmes objectifs.
Lundi 18 avril.
Nous partons à sept heures pour Hébron. Premier taxi que nous quittons au check-point de Kalandia. Beaucoup de monde, principalement de nombreux jeunes qui se pressent en ce lundi matin pour rejoindre leur établissement scolaire à Jérusalem. Ils sont tous contrôlés, fouilles minutieuses de leurs sacs par les soldats israéliens. Le silence de ces jeunes, alignés en double file est impressionnant, pas un rire, pas une parole, pas un bruit. Rien.. Ils sont dignes, face à l’humiliation. Nous devinons sur les visages de ces enfants toute la souffrance d’un peuple qui reste debout.
Contrôle de nos passeports, geste qui se répétera de nombreuses fois aujourd’hui. Nous nous asseyons dans un taxi collectif, au milieu des enfants. Arrêt à l’entrée de Jérusalem ouest, le soldat monte dans le véhicule, se fait présenter quelques cartes d’identités et nos passeports. Terminus à la place centrale des taxis collectifs, en haut de Nablus Road, avant d’en reprendre un autre près de la porte de Damas, pour Hébron. En réalité, après un nouveau contrôle, sur la route israélienne qui contourne Bethléem, nous serons obligés de descendre au barrage, route palestinienne coupée, à l’entrée de cette ville, pour prendre un nouveau véhicule.
Encore un contrôle puis enfin arrivée au centre de la ville moderne d’Hébron. Il est 9 h15, nous avons mis plus de deux heures, pour une distance normale de quarante kilomètres !
Amal Abu Asabeh avocate, employée à “Hebron-Beer Al Mahgar" près du minstère de l’Administration locale, nous attend devant la mairie. Nous montons dans sa voiture pour aller à l’Université, où nous rencontrons Naim Daour le directeur des relations publiques, Hibrahim Helouki, professeur de français qui assurera la traduction pendant toute la journée, et qui nous apprend que son frère habite à Lezay, à quarante km. de Niort.
La rencontre est présidée par le doyen Musa Ajweh, qui est également le président de « l’Union des professeurs et employés des Universités palestiniennes », qui compte 5000 adhérents qui luttent pour le respect de leurs droits, mais également pour la création d’un Etat palestinien ainsi que pour le développement de l’enseignement et pour l’instruction de chaque individu face à la volonté d’Israël qui s’oppose à cet enseignement et voudrait que les universités palestinienne soient privées de moyens de recherche.
Par exemple l’université d’Hébron créée en 1971 et qui compte 5000 étudiants dont 70% de femmes, totalise depuis son ouverture, cinq années de fermeture et subit régulièrement des agressions contre des professeurs et des étudiants. Il nous précise que les universités palestiniennes ont eu 300 tués. En sortant dans la cour, nous nous arrêtons, devant une stèle, modeste monument à la mémoire de deux étudiants assassinés par un colon.
A quelques dizaines de mètres de l’université, nous allons faire une rapide visite à « l’Association d’Echanges Culturels Hebron-France », dont les activités couvrent des domaines culturels et sociaux. Parmi les principaux partenaires français on note, l’AFPS, le CCFD, les conseils généraux du Val de Marne et de Seine Saint Denis, les villes de Belfort, Champigny-sur-Marne, Saint-Pierre-des-Corps...Les portes des bureaux affichent les noms de Voltaire, Montesquieu...Nous resterons en relation.
Dans le même immeuble nous faisons connaissance avec une ONG de jeunes pour la non violence et la paix, qui a pour nom « Mandela Institute ». Cette activé s’adresse aux jeunes de 14 à 18 ans, par la publication de documents et de livres, par des actions de formation au respect des droits humains, à la résistance par la non violence, à la recherche de résolutions des conflits. Autant d’actions animées par des jeunes éducateurs de quartiers, principalement dans la zone B (vieille ville), lorsque l’accès leur est possible, ce qui est difficile et risqué.
Puis réunion avec des responsables du « syndicat des ouvriers, employés et ingénieurs des Télécommunications », d’Hébron. C’est un syndicat indépendant, qui entretient des liens avec DWRC. Des élections ont lieu tous les deux ans. Onze membres responsables du syndicat national ont été arrêtés. Nos interlocuteurs nous expliquent leurs difficultés pour obtenir des permis de zones hertziennes, avec des fréquences limitées selon les régions, Israël ayant un contrôle total, l’armée effectuant des coupures lorsqu’elle fait des incursions dans les villes. Nous notons que les télécoms sont une entreprise privée, les investisseurs étant des hommes d’affaires palestiniens et de pays arabes. Avant de les quitter les syndicalistes insistent sur leur volonté d’entretenir des relations avec les syndicats français pour « bénéficier de leur expérience ».
Puis Amal, notre « pilote » pour Hébron, nous conduit à son bureau, où le responsable nous explique que l’ONG est une société de sécurité crée à l’initiative d’anciens prisonniers. Son rôle s’exerce en complément de l’Autorité palestinienne pour aider les familles à régler leurs différends, en respectant la tradition, afin d’éviter de faire appel à la police. Elle est également un lien entre les familles de prisonniers et l’Autorité.
Ensuite nous partons pour la vieille ville, historique (zone B), au « Comité de réhabilitation de la ville d’Hébron », où nous attend Delphine, une jeune Française, originaire des Sables d’Olonnes qui s’est portée volontaire pour venir à Hébron, dans le cadre d’un SVE (Contrat Volontaire Européen) pour une durée de six mois, mais qui souhaiterait y rester davantage. Le Comité a été créé en 1996, pour protéger et réhabiliter la vielle ville et tout son héritage cultuel et encourager les habitants à y revenir, après l’avoir abandonnée à la suite des interventions militaires israéliennes.
Il faut savoir que cette ville comptait auparavant 10.000 habitants, il n’en restait que 600 lorsque le Comité s’est installé. Nous montons sur la terrasse pour découvrir, la forte présence militaire israélienne, ainsi que les colonies construites sur les collines. Trois postes puissamment armés dominent la ville. Delphine nous explique que les colons sont également installés dans le centre de la ville et que certaines rues sont interdites aux Palestiniens. Une école a été confisquée pour être transformée en habitation, le marché aux fruits et légumes détruit.
Elle nous cite un décret israélien du 11 février 2005, portant création d’une nouvelle route, pour relier la colonie de Tel Rumaida aux autres colonies de la vieille ville. Cette route confisquerait des terres et propriétés de familles palestiniennes, l’arrachage de nombreux vieux oliviers, la démolition d’un cimetière musulman, du site religieux musulman d’Alsaqawati, de parties de bâtiments historiques, comme d’anciens monuments de la Zone Tel Rumaida.
Puis elle nous guide vers la Mosquée d’Abraham, tombeau des Patriarches. Dans les rues les Palestiniens sont rares, les soldats en armes sont partout, ils ne cessent pas de patrouiller. Peut être pour nous impressionner. Les maisons sont fermées, les rideaux des commerces fermés. C’est une véritable ville morte. Le temps nous manquera pour poursuivre jusqu’aux quartiers que se sont appropriés les colons, quartiers fermés par des check-points. Il nous faudra nous soumettre aux contrôles et aux fouilles des militaires à trois postes successifs, avant de pouvoir pénétrer dans le lieu Saint. Rite habituel, nous laissons nos chaussures à l’entrée et les femmes revêtent une large cape. Le sol est recouvert d’épais tapis et nous observons que d’autres petits tapis sont en cours d’être posés rapidement par dessus les autres, comme pour marquer un cheminement jusqu’au tombeau d’Abraham.
Nous avons immédiatement l’explication, en voyant arriver, à notre grande surprise, un groupe de jeunes militaires israéliens, qui ont refusé de se déchausser, pour aller jusqu’au tombeau, alors qu’il s’agit de la Mosquée. Une humiliation parmi d’autres ! La partie opposée du bâtiment pour les deux tiers de sa surface est la Synagogue, dans laquelle les juifs accèdent par une autre porte dont l’entrée est rigoureusement interdite aux musulmans ! Chacun se souvient du massacre de 29 Palestiniens par un colon, en 1994 dans la Mosquée.
A la sortie de la Mosquée, nous reprenons une courte visite d’un quartier réhabilité de la ville, toujours entourés de soldats israéliens. Nous admirons l’excellent travail réalisé pour la restauration des maisons , des rues et passages, avec l’utilisation des matériaux traditionnels, ce qui a permis de créer plus de 300 emplois directs d’ouvriers qualifiés et non qualifiés. Pour atteindre ces objectifs le Comité se heurte à de nombreux obstacles, de l’armée israélienne qui n’hésite pas à arrêter les ouvriers et les familles qui viennent s’installer dans la vieille ville, allant jusqu’à détruire, comme nous l’avons constaté, des bâtiments réhabilités.
Delphine nous indique que les financements sont assurés, en grande partie par l’Autorité Palestinienne ainsi que par le Fonds Saoudien de Développement, le Fonds Arabe de Développement Economique et Social et les gouvernements d’Espagne, de Norvège et de Suède.
Il est quinze heures lorsque nous prenons place dans le restaurant « Al Mana Italiano restaurant », où le commandant des « renseignements Généraux » du district d’Hébron vient nous rejoindre. Puis nous allons rencontrer le directeur du Croissanr Rouge Palestinien, branche d’Hébron, qui nous fait part des activités : gestion d’un hôpital dans la zone B, avec la création d’un jardin d’enfants handicapés. Les militaires israéliens ont mis les enfants pendant dix jours dans une petite pièce, pour utiliser le jardin comme poste de contrôle. Création dans le ville, de douze petits centres de soins pour éviter les transports des malades et des blessés, par crainte des agressions fréquentes des ambulances et stockage de matériels dans des lieux cachés, afin de les soustraire à leur destruction par les Israéliens. Leurs ambulances ne sont plus autorisées au transport à Jérusalem, des malades et des blessés graves, qui parfois meurent dans les ambulances faute de soins urgents Dans le district d’Hébron, 4 ambulanciers ont été tués et 120 blessés.
Enfin il nous indique que les soins sont gratuits pour les familles pauvres ainsi que pour celles des prisonniers. Ils font de nombreuses et permanentes interventions auprès des familles traumatisées par les fouilles de nuit à leur domicile, ou par l’arrestation de leurs proches. Il est 18h.30 lorsque nous quittons Hébron, dans une voiture privée mise à notre disposition par nos amis, pour rejoindre directement le check-point de Kalandia, puis Ramallah.
Mardi 19 avril.
A 11 heures précises nous sommes reçus dans son bureau par Mahmoud Labadi, directeur général du Conseil Législatif Palestinien, où vient nous rejoindre le vice Président de l’Assemblée Parlementaire le docteur Ghazi Hanania. Mahmoud Labadi qui parle très bien notre langue, assurera la traduction.
Le vice Président nous remercie de notre soutien en nous indiquant qu’il revient d’un séjour à Paris où il a notamment rencontré Jean Louis Debré président de l’Assemblé Nationale. Il est très sensible à la lecture du message du bureau de l’AFPS, que nous remettons à son service de presse. Il voudrait que la Communauté Internationale réagisse à la gravité de la situation politique actuelle, menée par Israël et qui consiste ouvertement à diviser la Cisjordanie en plusieurs parties, par la multiplication des colonies et la construction de routes et de postes militaires. D’abord entre Jérusalem-Est et Jéricho, entre Qalqilya et Naplouse et dans le sud à Hauteur d’Hébron. Cette politique empêchera de fait, la création d’un véritable état palestinien.
Quant à l’évacuation de Gaza, décidée unilatéralement par Israël, Ghazi Hanania ne nous dissimule pas ses réserves, en précisant que les terres riches ont déjà été prises par les colonies et que Gaza continuera à être victime d’un blocus israélien qui la privera de tout échange commercial et industriel avec l’extérieur. Les conséquences immédiates se font sentir par des prix à la consommation très élevés et donc le développement d’une grande et durable pauvreté. Les Palestiniens dit-il, ont besoin d’une aide internationale et le gouvernement compte sur la fidélité de la politique française. Enfin il insiste sur le constat que Mahmoud Abbas fait respecter la trêve, fidèle à ses engagements de février dernier à Cham-el-Chek, contrairement à Israël qui maintient les check-points et développe les colonies.
En nous quittant il nous invite à venir le lendemain matin, assister à la séance du Parlement consacrée au budget et pour que nous soyons témoins de l’obligation faite aux députés de Gaza, privés de leur liberté de se déplacer, de correspondre avec leurs collègues de Cisjordanie, par le système de vidéo-conférence. Le lendemain le quotidien « Jérusalem » fera un fidèle compte rendu de cette rencontre.
Mercredi 20 avril.
En début de matinée nous allons rencontrer des responsables du PWWSD , les Femmes Travailleuses( The Palestinian Working Women Society ), dont les bureaux se situent en centre ville, au quatrième étage d’un vieil immeuble. Le PWWSD est une organisation pour le développement et l’éducation des femmes. Sa mission est précisée dans un document :
« Soutenir et encourager les femmes à participer à la vie sociale et économique.
Lutter pour l’égalité dans tous les domaines légaux, tels la législation, les réglementations et procédures.
Offrir des débouchés permettant aux femmes de devenir des éléments actifs de la société palestinienne.
Eliminer l’exclusion, la pauvreté et la violence à l’encontre des femmes.
Résister contre l’occupation israélienne, l’hégémonie paternaliste et les courants fondamentalistes ».
Le PWWSD gère plusieurs centres de rencontres et d’activités au travail, ou apporte son soutien actif à des initiatives locales comme une chaîne de boutiques (alternative aux habits chers), des coopératives gérées par des femmes, en partenariat avec le Centre Agricole Arabe ( pour améliorer le niveau de vie des femmes vivant dans la précarité).
Cette organisation est associée à plusieurs ONG palestiniennes et internationales. Nous quittons nos hôtes en indiquant que nous les associerons à notre projet d’inviter à Niort le 8 mars 2006 (journée de la femme), une délégation de femmes palestiniennes.
Nous entrons à 11h.30 dans la cour du Conseil Législatif. Notre venue a été signalée, les gardes nous laissent passer sans difficulté. A l’entrée de la salle, sous un porche, quelques manifestants se font entendre, au milieu des journalistes de la télévision et de la presse écrite. On nous explique qu’il s’agit de représentants d’associations de familles de prisonniers et de martyres. Nous saluons Mahmoud Labadi, qui nous guide, en passant dans la salle des délibérations, jusqu’à la partie réservée aux auditeurs.
Peu à peu les députés prennent place, nous comptons la présence de cinq femmes, qui interviendront. Les photos des deux députés emprisonnés par les Israéliens, sont posées sur leurs sièges : Marwan Barghouti et Houssam Khader. De chaque côté de la salle deux grands écrans visionnent celle des députés qui à la même heure, sont en séance à Gaza et qui participent, à distance, au débat avec leurs collègues.
Cette sorte de surréalisme démocratique est impressionnant. Des députés élus démocratiquement par le peuple, sont privés d’exercer librement leur mandat par une puissance occupante, puissance qui se targue aux yeux du monde d’être un exemple de démocratie !
La séance est ouverte depuis environ quarante cinq minutes, lorsque deux auditeurs, assis juste derrière nous, interpellent fortement les députés. Des gardes arrivent, deux ou trois autres personnes s’interposent. Le président suspend la séance, des élus quittent leur place pour venir parlementer avec les intéressés qui ne contiennent pas leur colère. Il faudra bien attendre trente minutes pour que le calme revienne et que la séance reprenne. Le président prend la parole, il est applaudi y compris par les auditeurs qui ont perturbé la séance. Que s’est il passé ? Pourquoi cette interpellation spontanée ? Nous ne comprenons pas la langue arabe. L’explication nous est donnée. Il s’agit de responsables d’associations de familles de martyrs, qui ont vivement réagi, au projet d’accorder des subventions aux dites associations, alors qu’ils attendent des élus une reconnaissance des martyrs qui se ont été sacrifiés pour le peuple palestinien. A la reprise de la séance le Président avait reconnu le sacrifice des martyrs. Le fond de la question soulevée concerne nos amis palestiniens, mais sur la forme nous avons remarqué l’expression démocratique, qui laisse à des représentants de la société civile la possibilité d’intervenir directement en séance et d’être écoutés par les élus du peuple.
Nous quittons le Conseil législatif vers 13 heures pour rejoindre nos amis M et L qui nous ont préparé un repas délicieux et abondant. Puis c’est le départ, nous les quittons avec beaucoup d’émotion, nous disons également un revoir à nos camarades des missions civiles.
Au check-point de Kalandia, les soldats prirent leur temps pour la fouille minutieuse de nos bagages, y compris de nos valises, à terre, dans la poussière. Pendant ce temps, derrière nous, la file des gens s’allongeait. Notre pensée est pour eux. Nous retrouvons Jérusalem, la vieille ville. L’une de nous descend à l’hôtel Imperial que l’Eglise chrétienne orthodoxe grecque, a selon des informations, vendu récemment à des financiers juifs.
Jeudi 21 avril.
Nous partons à 8h.30 pour Bethléem, toujours en bus collectif, qui nous laisse, en rase campagne, assez loin de la ville, avant un barrage. Là, pas de soldats, mais un énorme monticule de terre et de grosses pierres qui coupe la route, par-dessus lequel nous passons. De chaque côté du barrage, des marchands ambulants vendent quelques vêtements et des produits artisanaux.
Nous montons dans un taxi qui nous conduit jusqu’à la vieille ville, à proximité de l’église de la nativité et l’église de Sainte-Catherine. Visite rapide des lieux. Nous parcourons la vieille rue commerçante, réservée aux piétons. Puis nous remontons, dans un taxi qui nous mène vers une autre sortie de la ville, que celle du matin.
Le chauffeur nous laisse à trois cents mètres environ du mur de béton de huit mètres de haut, qui entoure une bonne partie de Bethléem et qui à cet endroit laisse une percée de la largeur de la route. Sur la gauche, en sortant se dresse une haute tourelle militaire, poste habituel de garde et d’observation. Vite, quelques photos en nous cachant derrière un arbre. Il n’y a pratiquement aucune circulation de véhicules, sauf ceux des militaires israéliens et un autocar de touristes. Nous continuons notre marche sur cette route quasiment déserte, jusqu’au check point, fortement militarisé, fouilles, passeports, puis nous poursuivons, par un sentier entouré de rouleaux de barbelés, avant de rejoindre bien plus loin, la route où stationne un taxi collectif qui nous laissa à la porte de Jaffa, à Jérusalem.
En début d’après midi, quelques courses, et cartes postales, rapidement effectuées dans le Souk-El-Bazar et le Quartier chrétien puis nous allons à la poste centrale de Jérusalem-Ouest, en haut de Jaffa Road, pour envoyer notre courrier pour la France. Après le dîner, nous quittons l’amie qui prendra le lendemain un autre vol que nous.
Notre avion est à 5h.30, nous réservons un « sherout » [1] pour 2 heures 45, le lendemain matin, à la porte neuve, à deux pas de notre hôtel « Knight’s Palace ».
Vendredi 22 avril
Une tasse de café pour nous réveiller, la température de la nuit est douce plus de vingt degrés, au pied des remparts de Soliman le Magnifique. Mille lumières scintillent la nuit de Jérusalem. Quel beau spectacle ! Le « Sherout » arriva avec un retard de trente minutes. Nous commencions à nous inquiéter.
A l’aéroport, c’est la foule. Nous avons du mal à nous repérer, dans la partie neuve, que nous avions découverte à notre arrivée, décorée en son centre, d’un grand patio d’eau et de verdure. Le luxe. Une hôtesse en costume militaire nous reproche notre retard. Fouille rapide de la valise, enfin pas vraiment rapide, à la découverte de l’assiette décorée, offerte par le directeur du Croissant Rouge d’Hébron. Rien moins que trois jeunes filles militaires pour nous interroger et passer l’assiette à plusieurs contrôles électroniques. Elles ne comprenaient pas comment nous pouvions en notre qualité de touristes être en possession d’une telle assiette ! Enfin tout s’est bien terminé, nous avons refermé notre valise, avec l’assiette dedans et nous sommes montés dans l’avion.
Nous quittâmes Tel Aviv, avec le lever du jour.
Compte rendu de C J.