L’association israélienne de défense des droits de l’homme B’tselem a demandé à la Cour pénale internationale (CPI) d’intervenir de toute urgence pour empêcher Israël d’expulser les Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres à Masafer Yatta, au sud d’Hébron, en Cisjordanie occupée.
B’tselem a écrit lundi au procureur de la CPI, Karim Khan, parce qu’il souhaite que la cour basée aux Pays-Bas "intervienne de manière préventive, pour empêcher Israël de commettre un crime de guerre", a déclaré Dror Sadot, porte-parole du groupe, à Middle East Eye.
Les autorités israéliennes prévoient d’expulser 1 000 habitants palestiniens de Masafer Yatta, une zone rurale située dans les collines du sud d’Hébron, afin de créer une "zone de tir" militaire, ou terrain d’entraînement pour les forces israéliennes.
Après la décision de la Cour suprême israélienne, il est clair que les juges israéliens sont également responsables de ces violations et font partie du système d’apartheid.
- Dror Sadot, B’tselem
Huit villages, dont quatre écoles, des cliniques et des centaines d’autres structures dans la région vont être démolis.
Le transfert forcé de résidents en territoire occupé constitue une violation de la Quatrième Convention de Genève et du Statut de Rome, le traité qui a créé la CPI.
Après des décennies de querelles juridiques, la Cour suprême d’Israël a ouvert la voie au rasage des villages en mai, en rejetant une pétition contre l’expulsion des habitants.
David Mintz, juge de la Cour suprême, a écrit que les pétitionnaires palestiniens n’avaient pas réussi à prouver qu’ils avaient vécu dans les villages en tant que résidents permanents avant que l’armée ne déclare la région zone d’entraînement au début des années 1980.
"Depuis lors, Israël a intensifié ses actions - en termes de portée, de sévérité et de fréquence - contre ces communautés, les poussant à quitter leurs maisons", a déclaré Sadot.
S’exprimant sur les raisons pour lesquelles B’tselem avait choisi d’écrire à la CPI, Sadot a souligné l’intervention de la cour en 2018 concernant la communauté de Khan al-Ahmar en Cisjordanie, qu’Israël s’apprêtait à raser.
La CPI a averti Israël que la destruction de Khan al-Ahmar constituerait un crime de guerre. La communauté est intacte, bien que la menace d’expulsion ne se soit pas éloignée, car la délibération juridique en Israël sur la démolition est toujours en cours.
"C’est la première fois que B’tselem demande directement à la CPI une intervention préventive", a déclaré M. Sadot. "Après la décision de la Cour suprême israélienne, il est clair que les juges israéliens sont également responsables de ces violations et font partie du mécanisme d’apartheid. Une intervention internationale est indispensable."
Omar Shakir, directeur d’Israël et de la Palestine à Human Rights Watch, a déclaré à MEE que les résidents de Masafer Yatta "sont confrontés à la perspective effrayante qu’à tout moment, les bulldozers israéliens se présentent pour raser leurs maisons et leur communauté de longue date parce qu’ils sont Palestiniens et vivent dans une zone convoitée par Israël".
"Des déclarations tièdes n’ont pas arrêté les bulldozers qui ont rasé des milliers de maisons palestiniennes au fil des ans et n’arrêteront pas ceux qui viendront à Masafer Yatta", a déclaré Shakir.
"Seule la perspective d’une action concrète a une chance d’y parvenir. Le procureur de la CPI doit jouer son rôle pour mettre fin à l’impunité qui alimente l’apartheid israélien et les graves abus commis contre les Palestiniens."
À la suite de la décision de la Cour suprême en mai, les avocats représentant les résidents de Masafer Yatta ont déposé une pétition pour contester les démolitions. Celle-ci a été rejetée en août.
"Israël veut nous mettre dehors et ils feront tout pour y parvenir", avait alors déclaré à Middle East Eye Sami Huraini, un militant local.
Des décennies de lutte
Masafer Yatta, qui borde la ligne verte, abrite plusieurs communautés d’éleveurs qui vivent dans de petits hameaux sur son terrain rocheux et vallonné.
Dans les années 1980, environ 3 000 hectares de terres de la région, englobant 12 villages, ont été déclarés zone de tir militaire, l’armée israélienne cherchant à en déloger les habitants. Elle a ensuite été déclarée zone de tir 918.
En 1999, l’armée a expulsé de force environ 700 résidents de Masafer Yatta de leurs maisons après avoir déclaré qu’ils vivaient "illégalement" dans une zone de tir.
Peu après l’expulsion, les habitants ont adressé une pétition à la Cour suprême israélienne, qui a rendu une injonction provisoire leur permettant de retourner chez eux, mais interdisant toute nouvelle construction ou tout nouveau développement dans la zone.
Depuis lors, les habitants de la zone sont engagés dans une bataille juridique avec les autorités israéliennes, bataille qui a reçu un coup dur avec l’arrêt de la Cour suprême de mai et le rejet d’août.
Les habitants palestiniens de la zone sont régulièrement menacés par les soldats et les colons israéliens, et vivent dans un état d’incertitude constante quant à leur avenir depuis des décennies.
L’armée israélienne a fait usage de tirs réels et a conduit des véhicules armés dans la zone dans le cadre de ce qu’elle présente comme un "entraînement".
En septembre 2021, près de 100 colons israéliens masqués ont envahi le village de Masafer Yatta, à Khirbat al-Mufkara, blessant une douzaine de Palestiniens, dont un garçon de trois ans touché par une pierre lancée sur lui alors qu’il dormait dans sa maison.
Les Nations unies ont condamné cette année le "harcèlement" par Israël des défenseurs des droits de l’homme et des travailleurs humanitaires dans les villages de Masafer Yatta.
"L’hubris des autorités israéliennes s’avère sans limites. Elles harcèlent même les défenseurs des droits de l’homme et les travailleurs humanitaires qui cherchent à soutenir et à protéger les personnes confrontées à de graves violations des droits de l’homme à Masafer Yatta", ont déclaré quatre experts des Nations unies en août.
Traduction et mise en page : AFPS / DD