L’accusation voulait rendre responsable le dirigeant palestinien de trente-sept chefs d’inculpation, de meurtre ou d’organisation ou de participation à des attentats. Des accusations que rien n’a pu étayer, ce qui n’a pas empêché le tribunal de le condamner pour « activités militaires intrinsèquement liées à son activité politique et à son lien de subordination à Yasser Arafat ». Ce 6 juin 2004, jour anniversaire de l’occupation des territoires palestiniens, jour également des quarante- cinq ans de Marwan Barghouti, celui-ci a de nouveau prononcé un réquisitoire sans compromis contre l’occupation et lié son sort à celui de la Palestine : il sera libre lorsque la Palestine le sera. Retour sur un procès politique avec
Me Daniel Voguet, avocat, qui a assisté à toutes ses audiences.
Comment, au sujet de ce procès et de cette condamnation, ne pas avoir d’abord à l’esprit leur contexte politique ? Un pays en occupe un autre et prétend pouvoir condamner ceux qui résistent à l’occupation. Rappeler cela peut sembler banal. C’est cependant essentiel », rappelle Daniel Voguet. « Ce genre de parodie de procès à vocation politique n’est pas sans en rappeler d’autres, notamment en France, qui a doublement connu l’occupation, comme pays occupé et comme pays occupant en Algérie. L’occupation se heurtea toujours à une résistance multiforme de la population, que les forces d’occupation cherchent à criminaliser.
Il me semble essentiel de rappeler qu’aucun tribunal israélien n’a la moindre légitimité pour juger Marwan Barghouti. D’abord pour des raisons juridiques mises en avant pour récuser ce procès et ce tribunal : d’une part, Marwan Barhouti a été enlevé à Ramallah, c’est-à-dire en zone " A " selon les accords d’Oslo, et son rapt constitue de ce point de vue une violation de ces accords ; d’autre part la quatrième Convention de Genève est tout à fait claire qui interdit tout transfert individuel ou collectif de population du territoire occupé, en particulier, vers le territoire de l’occupant. Ensuite, et peut-être surtout, pour des raisons politiques. D’une part, il s’agit d’un tribunal de la puissance occupante. Ensuite, cette puissance occupante s’est rendue et se rend coupable de crimes de guerre, qu’il s’agisse des assassinats, des rafles, des arrestations massives, de l’usage de la torture, y compris contre des enfants, des destructions de maisons, de l’éradication de quartiers entiers comme à Jénine…, lesquels sont absolument publics voire, pour une partie d’entre eux, médiatisés sur les écrans de télévision, et jouissent d’une totale impunité. Plus de trois mille cinq cents civils palestiniens ont été tués dans une impunité totale, on déplore des milliers de blessés et de handicapés à vie parmi la population palestinienne.
Les rafles, elles, peuvent avoir lieu la nuit, tandis que l’armée s’introduit dans les maisons, détruit tout sur son passage, brutalise les familles, encagoule ceux qu’elle choisit d’emmener dans des lieux inconnus, sans donner la moindre information. Les associations de défense des droits humains estiment à vingt mille le nombre de personnes ainsi arrêtées et emprisonnées depuis le début de cette Intifada. La plupart n’ont pu bénéficier d’aucune défense. En particulier parce que les avocats palestiniens sont soumis aux mêmes restrictions de circulation que l’ensemble de la population. Et ne peuvent se rendre en Israël où sont détenus, illégalement, nombre de prisonniers palestiniens.
« Il s’agit en fait pour Israël de criminaliser la résistance et de légitimer l’occupation et la répression. Marwan Barghouti a en fait été condamné pour des raisons politiques. A travers lui, il s’agit aussi de criminaliser et de condamner à la fois le Fath et le président Yasser Arafat, en continuant à affirmer qu’Israël n’a pas d’interlocuteur palestinien.
« Ceci est d’autant plus clair qu’aucune des accusations portées contre Marwan Barghouti ne tient. J’ai assisté à toutes les audiences. A chacune d’entre elles, les témoins palestiniens cités par l’accusation embrassaient le dirigeant du Fath et niaient avoir témoigné contre lui. Ils mettent en cause de faux aveux obtenus sous la torture, et des signatures de témoignages écrits en hébreu tandis qu’ils ne lisent pas cette langue.
D’autre part, il n’existe aucun témoin israélien. Certes, plusieurs sont venus témoigner de ce que sont les attentats, ce que nous savons, mais sans jamais établir le moindre lien avec Marwan Barghouti, dont on sait au contraire l’attachement au respect de la vie humaine. Marwan Barghouti est un résistant, favorable, en même temps qu’à la négociation, à la lutte armée parfaitement légitime et légale. Ce qui n’est pas de même nature que les attentats dont on voit bien par ailleurs que la politique israélienne ne fait que les susciter. En clair, le dossier est totalement vide. Il ne se compose que d’aveux extorqués sous la torture et récusés ensuite par leurs auteurs ».
Quel a été dès lors le rôle des avocats internationaux de Marwan Barghouti ? Quelles sont leurs perspectives d’initiatives aujour-d’hui ? Mandatés par Marwan Barghouti, reconnus officiellement en particulier par les autorités françaises, le ministère des Affaires étrangères, ces avocats, à commencer par Me Gisèle Halimi et Me Daniel Voguet ont pu, explique ce dernier, rencontrer le dirigeant palestinien, travailler de façon précise sur le dossier et en particulier sur l’illégalité de ce procès. Grâce notamment au travail du professeur de droit Géraud de la Pradelle, spécialiste notamment des conventions de Genève, ils ont pu donner pour le tribunal des arguments juridiques pour qu’il décline sa compétence - ce qu’il a refusé - et ont suscité des interventions de responsables politiques et d’élus en France et en Europe, plusieurs d’entre eux ayant également assisté aux audiences.
« Alors que Marwan Barghouti, récusant ce tribunal, n’entend pas faire appel du verdict, il s’agit aujourd’hui d’exiger sa libération, de même que celle d’un autre député palestinien, Hussam Khader, et des milliers de prisonniers politiques palestiniens. Ces emprisonnements politiques se font dans les pires conditions, entre périodes d’isolement -y compris de toute information-, tortures, privations, et situations sanitaires totalement insupportables ». Daniel Voguet rappelle du reste qu’au-delà de la simple justice, les dirigeants israéliens ne sont pas unanimes quant à l’opportunité d’une telle condamnation. Un ancien responsable du Mossad considère que sa libération s’impose, de sorte qu’il participe aux négociations que lui-même appelle de ses vœux.
D’où l’urgence, en tous cas, d’une campagne internationale de solidarité qui concerne tous les défenseurs des droits humains, parmi lesquels on espère compter les députés et autres élus français par-delà la diversité des appartenances politiques.