Mariam Abudaqqa, figure historique de la résistance palestinienne et défenseuse des droits des femmes, a été invitée à venir pour la première fois en France à l’automne dernier, pour une série de conférences organisée à l’initiative du collectif Palestine en résistances de Marseille, avec la participation d’autres associations de solidarité, dont l’AFPS.
Munie d’un visa de cinquante jours délivré par le consulat de France à Jérusalem, Mariam est arrivée de Gaza le 30 septembre, son billet d’avion retour était réservé pour le 11 novembre.
Née en 1951 à Khan-Younis (Bande de Gaza), Mariam a été incarcérée dans les prisons israéliennes entre l’âge de 15 et 17 ans pour faits de résistance à l’occupation, puis exilée de force pendant près de 30 ans, sans contact avec sa famille, avant de pouvoir rentrer à nouveau à Gaza. Titulaire d’un doctorat en philosophie obtenu en Bulgarie, elle milite depuis 55 ans pour la liberté et l’indépendance, pour la justice et l’égalité pour les femmes palestiniennes et toutes les femmes du monde. Membre du Front populaire de libération de la Palestine, et membre de l’Union générale des Femmes palestiniennes depuis sa création, elle est particulièrement engagée dans le soutien aux prisonnières politiques palestiniennes. Elle préside le conseil d’administration de l’association féministe Palestinian Development Women Studies Association à Gaza.
Dès le début de sa tournée en France, des mesures visant à empêcher Mariam de s’exprimer sont prises par les autorités françaises : à Lyon, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche demande l’annulation de son intervention lors de la conférence prévue à l’Université de Lyon 2, à Metz et à Montauban les conférences sont interdites par arrêté préfectoral, à Martigues et Marseille les salles retenues de longue date annulent les réservations…
Mais cela ne suffit pas. Le 14 octobre Mariam est arrêtée à Marseille : un arrêté d’expulsion en urgence a été pris à son encontre par le Ministère de l’intérieur sous prétexte de « la menace qu’elle représente pour l’ordre public dans le contexte de vives tensions » relatives à la guerre au Proche-Orient. Son visa lui est retiré, elle est assignée à résidence avec obligation de pointer quotidiennement au commissariat. Pendant ce temps, la maison de Mariam à Gaza est bombardée et plusieurs membres de sa famille sont tués (plus de 60 personnes au cours de son séjour). Son cœur et son esprit sont là-bas, dit-elle, elle veut crier la douleur de son peuple et on veut la réduire au silence. Alors que sa famille meurt, elle ne peut pas parler d’eux, on lui interdit de faire entendre la voix des femmes et des enfants de Gaza !
Le juge des référés du tribunal administratif de Paris qui est immédiatement saisi, suspend le 20 octobre l’arrêté d’expulsion au motif que celle-ci n’est « ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée à la nature des troubles à l’ordre public que sa présence est susceptible d’entraîner ». Le tribunal administratif relève même que, durant son séjour en France, la militante n’a « pas appelé à soutenir le Hamas, ni tenu de propos antisémites, ni commis d’agissements de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ». De fait, lors de ses prises de paroles, Mariam s’exprime toujours de façon posée pour rappeler que le peuple palestinien sous occupation illégale ne demande que la liberté et l’indépendance, en application du droit international, et pour porter un message d’espoir qui ne la quitte jamais malgré les massacres qui déciment la population de Gaza.
Mais le ministère de l’intérieur s’entête à vouloir faire taire la voix de Mariam et saisit en appel le Conseil d’Etat qui rend son ordonnance le 8 novembre. Tout en confirmant qu’« aucun trouble matériel à l’ordre public n’a été constaté à l’occasion de ses interventions publiques », le CE annule cependant la décision du tribunal administratif et valide l’arrêté d’expulsion de Mariam au motif que « sa présence sur le sol français, en vue de s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien […] est susceptible de susciter de graves troubles à l’ordre public » et ce, du fait de son appartenance au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) qui figure sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne (quand bien même ce parti de la gauche laïque palestinienne est une composante de l’OLP, organisation internationalement reconnue comme représentant le peuple palestinien).
Dans la nuit qui suit, alors qu’elle rejoint son domicile à Paris au sortir d’une projection-débat du film Yallah Gaza, Mariam est violemment interpellée par cinq hommes en civil qui se jettent sur elle par surprise en se déclarant être de la police et en bousculant les personnes qui l’accompagnent dont une se retrouve au sol. Mariam est « jetée » à l’arrière d’une voiture banalisée qui démarre à toute allure. Ses avocates, prévenues de cette interpellation scandaleuse digne de celle d’un grand criminel, ont toutes les difficultés à obtenir des informations sur le lieu où elle est retenue. Des rassemblements pour dénoncer cet acharnement contre Mariam et pour demander sa libération, sont organisés devant les deux lieux où elle est successivement retenue avant d’être transférée le 10 novembre au centre de rétention administrative de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. Le soir même, malgré la mobilisation citoyenne et les interpellations au plus haut niveau par différentes organisations parmi lesquelles l’AFPS et la LDH dénonçant les traitements humiliants faits à Mariam et demandant qu’elle quitte la France librement par son vol réservé pour le 11 novembre, Mariam est mise de force dans l’avion pour le Caire. Elle y attend depuis de pouvoir entrer à Gaza pour y retrouver ses proches qui auront pu survivre aux massacres en cours.
Jointe au téléphone peu avant de monter dans l’avion, Mariam dit être profondément choquée et traumatisée d’avoir été traitée comme une criminelle de droit commun, comme une vulgaire voleuse : « c’est une honte pour la France ! Ce qui m’arrive est à l’image de ce qui arrive à l’ensemble du peuple palestinien, cela ne fait que renforcer ma détermination à poursuivre notre lutte pour la liberté et l’indépendance ».
Nous sommes à ses côtés pour continuer cette lutte et pour que ses droits à venir librement en France et s’y exprimer soient restaurés.
V. H.