Photo : montage AFPS © Jack Sanders/Chad J. McNeeley/Secrétariat de la défense des Etats-Unis
Il aura donc fallu six mois, contre trois à six semaines habituellement, pour que les trois juges qui composent la Chambre préliminaire I décident de l’émission de ces trois mandats d’arrêt, à la suite du dépôt le 20 mai dernier de requêtes en ce sens du Bureau du Procureur de la Cour, dirigé par l’avocat britannique Karim Khan.
De toute l’histoire de la Cour (créée par le Statut de Rome en 1998), jamais un délai aussi long n’avait été observé pour l’émission de mandats d’arrêt par les juges de la Cour. Cela s’explique par plusieurs raisons.
Les réticences des alliés d’Israël
Tout d’abord, depuis l’ouverture d’un examen préliminaire par le Bureau du Procureur, alors dirigé par la juriste gambienne Fatou Bensouda, en 2015, puis d’un examen par la même Procureure en 2021, la Cour a fait l’objet – et continue de faire l’objet – de pressions, de menaces et de sanctions sans précédent, instiguées par Israël et certains de ses alliés, au premier rang desquels les États-Unis – rappelons qu’Israël et les États-Unis ne comptent pas parmi les 124 États parties à la Cour.
S’y ajoutent les nombreuses tentatives de certains États parties à la Cour (principalement l’Allemagne et le Royaume-Uni) visant à retarder la procédure. Ces États contestent la compétence de la Cour pour enquêter sur des crimes commis par des citoyens israéliens en Palestine, affirmant qu’au regard des Accords d’Oslo, la Palestine n’a pas de juridiction pénale et ne peut donc demander une enquête pénale de la CPI.
Ce 21 novembre, la Cour pénale internationale a émis trois mandats d’arrêt dans le cadre de son enquête sur la situation en Palestine, ouverte depuis 2021. Sont visés deux dirigeants israéliens – le premier ministre Benyamin Nétanyahou et l’ex-ministre de la Défense (décembre 2022-novembre 2024) Yoav Gallant –, ainsi que le chef de la branche armée du Hamas, Mohammed Deif, présumé mort depuis juillet dernier. Ces trois personnes sont accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les charges retenues sont lourdes, mais le chemin vers des procès devant la Cour de La Haye est encore long et sera semé d’embûches.
Il aura donc fallu six mois, contre trois à six semaines habituellement, pour que les trois juges qui composent la Chambre préliminaire I décident de l’émission de ces trois mandats d’arrêt, à la suite du dépôt le 20 mai dernier de requêtes en ce sens du Bureau du Procureur de la Cour, dirigé par l’avocat britannique Karim Khan.
De toute l’histoire de la Cour (créée par le Statut de Rome en 1998), jamais un délai aussi long n’avait été observé pour l’émission de mandats d’arrêt par les juges de la Cour. Cela s’explique par plusieurs raisons.
Les réticences des alliés d’Israël
Tout d’abord, depuis l’ouverture d’un examen préliminaire par le Bureau du Procureur, alors dirigé par la juriste gambienne Fatou Bensouda, en 2015, puis d’un examen par la même Procureure en 2021, la Cour a fait l’objet – et continue de faire l’objet – de pressions, de menaces et de sanctions sans précédent, instiguées par Israël et certains de ses alliés, au premier rang desquels les États-Unis – rappelons qu’Israël et les États-Unis ne comptent pas parmi les 124 États parties à la Cour.
S’y ajoutent les nombreuses tentatives de certains États parties à la Cour (principalement l’Allemagne et le Royaume-Uni) visant à retarder la procédure. Ces États contestent la compétence de la Cour pour enquêter sur des crimes commis par des citoyens israéliens en Palestine, affirmant qu’au regard des Accords d’Oslo, la Palestine n’a pas de juridiction pénale et ne peut donc demander une enquête pénale de la CPI.
Le 26 septembre dernier, Israël contestait lui aussi la compétence de la Cour vis-à-vis de ses ressortissants. Mais dans la décision du 21 novembre, les juges ont estimé qu’« il n’est pas nécessaire qu’Israël accepte la compétence de la Cour, étant donné que la Cour peut connaître de la question sur la base de sa compétence territoriale vis-à-vis de la Palestine ». En effet, le 1er avril 2015, la Palestine est devenue le 123e État partie à la Cour pénale internationale, après avoir ratifié le Statut de Rome.
La Palestine donnait alors compétence à la Cour pour enquêter sur des crimes commis sur son territoire depuis juin 2014 et relevant du Statut de Rome. C’est sur la base de cette compétence territoriale que l’enquête du Procureur se mène, et c’est sur cette même base que les mandats d’arrêt ont pu être émis.
Les mandats visent trois personnes (la demande déposée par le Bureau du Procureur le 20 mai concernait également les leaders du Hamas Ismaïl Haniyeh et Yahya Sinouar, mais tous deux ont depuis été tués par l’armée israélienne). Le dirigeant de la branche armée du Hamas, Mohammed Deif, est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité (meurtres, prise d’otages, torture, traitements cruels, atteintes à la dignité de la personne…) commis le 7 octobre 2023 et plus tard. Les deux dirigeants israéliens, Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, sont eux aussi accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le cadre de la guerre menée dans la bande de Gaza depuis le 8 octobre 2023. Ils sont accusés de persécution, de meurtres, d’utilisation de la famine comme méthode de guerre, de traitements inhumains, etc. Pour la Cour, les crimes contre l’humanité allégués commis par les deux dirigeants israéliens « s’inscrivent dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique lancée contre la population civile de Gaza ».
Si pour le dirigeant du Hamas, présumé mort depuis plusieurs mois, l’émission de ce mandat d’arrêt ne changera pas sa situation – quand bien même il serait toujours en vie, il n’aurait sans doute pas la possibilité de quitter la bande de Gaza et de se rendre officiellement dans un pays étranger –, les conséquences juridiques et politiques sont plus importantes pour les deux responsables israéliens.
Les conséquences politiques et juridiques pour Israël et ses dirigeants
L’émission de ces mandats est incontestablement un moment majeur, voire historique, dans l’histoire de la Cour pénale internationale. Pour la première fois, un État qui revendique son caractère démocratique voit ses principaux dirigeants mis en accusation par la juridiction internationale chargée de poursuivre les responsables de crimes internationaux. Ils se retrouvent accusés de crimes internationaux, au même titre que Vladimir Poutine par exemple.
En se retrouvant sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI, Nétanyahou et Gallant voient incontestablement leurs déplacements internationaux réduits. En effet, les 124 États parties à la Cour (bientôt 125 avec la future adhésion de l’Ukraine en janvier prochain) ont l’obligation de coopérer avec la juridiction. Cela signifie que si l’un des accusés venait à visiter l’un de ces États, celui-ci aurait l’obligation d’interpeller l’accusé pour le transférer à La Haye, siège de la CPI.
Il est, certes, déjà arrivé que des États parties ne respectent pas leurs obligations à l’égard de la Cour. Par exemple, la Mongolie, membre de la Cour, a reçu Vladimir Poutine en septembre dernier. Pour autant, elle a refusé d’arrêter et de transférer le président russe, obligeant la Chambre préliminaire II de la Cour à conclure que la Mongolie avait manqué à ses obligations ; « compte tenu de la gravité » de ce manquement, elle a renvoyé la question à l’Assemblée des États parties pour l’adoption d’éventuelles sanctions.
Cependant, à la suite de l’annonce de l’émission des mandats d’arrêt du 21 novembre, de nombreux États ont annoncé leur intention de respecter leurs obligations et de coopérer avec la Cour. C’est le cas de la France, du Canada, de l’Italie, des Pays-Bas, de l’Irlande, de la Norvège, etc. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a affirmé que l’UE respecterait et appliquerait la décision de la Cour, car il ne s’agit « pas d’une décision politique. C’est une décision d’une cour, d’une cour de justice, d’une cour de justice internationale ».
Il faut toutefois être lucide. Il est peu probable que Nétanyahou et Gallant soient demain traduits devant la Cour pénale internationale et qu’un procès ait lieu, aboutissant à leur condamnation. Les dirigeants israéliens ne prendront pas le risque de se déplacer dans un des États parties sans garantie de ne pas être arrêtés. La CPI ne dispose d’aucune force de police ; elle ne peut compter que sur la coopération des États.
Reste que le simple fait que les deux responsables israéliens réduisent considérablement leurs déplacements marque un succès pour la justice internationale, qui parvient à rappeler que la violation du droit international doit avoir des conséquences et que les dirigeants israéliens ne peuvent être une exception à la règle. Les conséquences sont davantage diplomatiques et politiques que juridiques : il est peu probable de voir prochainement le premier ministre actuel et son ancien ministre de la Défense oser se rendre à Paris, Madrid, Dublin ou Oslo.
Sans volonté politique, pas de justice internationale
Si l’émission de ces mandats d’arrêt était nécessaire pour éviter de saper définitivement la crédibilité et la légitimité de la juridiction internationale, et plus largement de l’ordre juridique international, ce tournant majeur ne produira pas d’effets à court terme sur la conduite des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza.
Selon l’ONU, depuis le 8 octobre 2023 plus de 43 000 Palestiniens ont été tués, plus de 100 000 autres ont été blessés, et des centaines sont portés disparus, probablement morts sous les décombres. La nouvelle étape dans l’avancement de l’enquête en Palestine ne mettra pas fin aux violations systématiques du droit international dont est victime la population palestinienne. Il revient aux acteurs politiques, États et Conseil de sécurité notamment, de s’affirmer en garants de la stabilité, de la paix et de la sécurité internationales. Or, cette semaine encore, le Conseil de sécurité a été incapable d’adopter une résolution exigeant un cessez-le-feu à Gaza, en raison du veto américain. Preuve en est que la justice internationale aura beau tenter de faire appliquer le droit international, sans volonté politique il est peu probable que la guerre au Proche-Orient prenne fin prochainement.