Paris, le 31 mars 2010
Monsieur François Fillon
Premier ministre
Hôtel Matignon
75007 Paris
Monsieur le Premier ministre,
Je vous ai écrit, le 4 mars dernier, une lettre ouverte au sujet de votre discours au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), dans lequel vous aviez dénoncé les « scandaleux mouvements de boycott des produits casher ou israéliens ».
Si je vous écris à nouveau, c’est pour deux raisons :
parce que plus de 4 000 citoyens, via Internet, ont soutenu la lettre que je vous avais adressée et que j’aimerais vous rencontrer pour vous transmettre cette pétition ;
mais aussi et surtout parce que plusieurs militants de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), que je préside, ont été convoqués par les services de votre police. Le président d’honneur de notre association, M. Bernard Ravenel, et moi-même avons également été convoqués par la police judicaire.
Je n’ignore pas les directives scandaleuses données aux Parquets par votre ministre de la Justice, Mme Alliot-Marie. Non contente d’invoquer faussement – et c’est très grave – un boycott des « produits casher » dont elle avait pourtant nié l’existence devant l’Assemblée nationale, elle appelle désormais à requalifier les plaintes de grandes surfaces où des citoyens expriment leur exigence de droit en demandant que ces plaintes déposées pour « dégradation légère » soient requalifiées en « discrimination », voire « incitation à la haine raciale ».
Elle demande également dans le même esprit de mettre en cause les sites Internet qui évoquent ce sujet.
Si nos militants convoqués devaient être finalement poursuivis, a fortiori avec cette accusation infâmante, ce serait vraiment le monde à envers.
La position officielle de la France concernant la solution du conflit israélo-palestinien est la suivante, sauf erreur : la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 aux côtés de l’Etat d’Israël, avec Jérusalem-Est pour capitale. L’AFPS, de longue date, ne dit rien d’autre sur ce point. C’est même un des objets centraux de son action basée sur l’application du droit.
Notre association diverge sérieusement, il est vrai, avec votre gouvernement sur les moyens pour atteindre cet objectif. Votre ministre des Affaires étrangères prétend que, pour peser sur le gouvernement israélien, il convient d’éviter de le contrarier et d’agir au contraire sur les « leviers positifs ». Outre que cette politique marque une rupture avec la politique française traditionnelle au Proche-Orient, elle n’a visiblement donné aucun résultat positif.
Nous sommes quant à nous convaincus qu’il convient d’adopter une autre démarche : pour qu’Israël accepte enfin de négocier la paix fondée sur le droit international, il faut sanctionner ses violations répétées et systématiques de ce même droit.
A ce titre, nous estimons qu’il est d’ailleurs grand temps d’envisager une suspension de l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël en vigueur depuis l’an 2000, accord qui est « fondé » sur le respect des droits humains fondamentaux (article 2) et dont le Parlement européen, en 2002, avait demandé la suspension. Au contraire vous envisagez de « rehausser » les relations entre l’Union européenne et Israël et ne trouvez rien à dire contre son incroyable adhésion envisagée, alors que son économie est de guerre, à l’OCDE – ceci alors que la France est « dépositaire des instruments de ratification et d’acceptation » à cette organisation.
S’agissant des actions que vous avez dénoncées, j’ose croire que vous avez été mal informé par vos conseillers : il n’est évidemment pas question, il n’a jamais été question de boycotter les produits casher. Pas une association, pas un dirigeant, pas un militant du mouvement de solidarité avec la Palestine en France n’a jamais envisagé une telle folie.
Quant à l’AFPS, chacun sait qu’elle a toujours combattu et qu’elle continue à combattre avec la dernière intransigeance le racisme dont l’antisémitisme est une expression insupportable.
Nous n’entendons donc pas accepter sans réagir vos propos non seulement insultants mais calomnieux. D’autant que, en agissant pour une paix juste et durable au Proche-Orient, nous contribuons aussi à éviter grandement, face à des comportements quotidiens inacceptables ou à des crimes commis en Palestine occupée tels que ceux dénoncés par le rapport officiel du juge Goldstone, que la colère qui existe en France ne dérive vers des comportements communautaristes voire racistes.
En vérité, pour l’AFPS, le boycott des produits dont il s’agit c’est celui des produits issus des colonies de Cisjordanie, dont Jérusalem-Est. Ils sont illégaux. C’est vers eux que se concentre notre action. Ce faisant, nous faisons « tout simplement »… ce que votre gouvernement devrait faire – mais, hélas, ne fait pas."
Comme vous le savez, la Cour européenne de justice (CEJ) vient de réaffirmer que les avantages fiscaux dont bénéficient les produits vendus par Israël sur le territoire de l’Union européenne ne s’appliquent pas à ceux issus des colonies (article 83 de l’Accord d’association). A cela s’ajoute la violation des « règles d’origine », ce qui constitue une fraude, à laquelle s’ajoute un mensonge pour les consommateurs. Tout cela est clairement répréhensible mais vous ne faites rien.
En ciblant les produits issus des colonies qui entrent sur nos marchés sous le faux label « made in Israël », les militants de l’AFPS ne font donc qu’appliquer le droit européen et français que vous vous refusez à mettre en œuvre malgré nos démarches nombreuses.
Il serait donc pour le moins paradoxal qu’ils soient poursuivis tandis que vous vous exonérez des devoirs et responsabilités que vous confère votre fonction. Au-delà l’AFPS sera solidaire de tous les militants inscrits dans la campagne BDS et victimes de votre répression.
Telles sont, Monsieur le Premier ministre, les raisons pour lesquelles je souhaiterais vous rencontrer.
Avec l’expression de ma haute considération,
Jean-Claude Lefort
Président de l’AFPS
Député honoraire.