Très attendues, les élections législatives
libanaises (29 mai- 20
juin) n’ont pas tenu leurs promesses.
Ce premier scrutin « libre » depuis
30 ans, affranchi - en principe - de toute
manipulation syrienne, aurait dû incarner
le « renouveau ». Mais le Liban n’est
décidemment pas l’Ukraine. C’était
méconnaître la toute prégnance d’un système
politique qui veut que l’espace
public soit accaparé par le communautaire
et les candidats choisis sur la base
de leur religion. C’était oublier que les
particularismes de tous genres bloquent
l’émergence d’une conscience citoyenne
et qu’au Liban la politique reste une histoire
de familles et de clans.
La première Assemblée de l’ère postsyrienne
ne verra donc s’affronter ni
gauche et droite, ni conservateurs et
réformistes, ni libéraux et nationalistes,
ni même deux blocs pro et anti-syrien,
mais quatre groupes aux contours nettement
confessionnels, conduits par des
leaders traditionnels - pour la plupart
anciens chefs de guerre. « Le sunnite
Saad Hariri, sultan du Nord après Beyrouth,
Nabih Berri (Amal) et Hassan
Nasrallah (Hezbollah) se partageant les
terres chiites (Sud-Liban et Bekaa), le
druze Walid Joumblatt, maître du Chouf,
et Michel Aoun, roi du Marounistan ». [1]
Chassez le confessionnel,il revient au galop
Le Liban, qui a pris l’habitude d’incriminer
la Syrie de tous ses maux, pourra
difficilement, cette fois, imputer aux
moukhabarat honnis cette montée en
puissance du confessionnalisme politique.
Le « Liban nouveau » chanté par
les indépendantistes, « coeur d’un nouvel
arabisme porté par la volonté de citoyens
et de citoyennes libres » [2], peine à se
frayer un chemin. Aux antipodes, le communautarisme
s’installe comme jamais
et balaie au passage tout pluralisme.
Chaque communauté semble s’être soudée,
presque comme un seul homme,
autour de la figure d’un chef censé
défendre ses intérêts et son poids sur
l’échiquier politique ; les candidats élus
sur une liste indépendante se comptent
sur les doigts d’une main et on peine à
identifier le moindre élu plébiscité pour
un programme, un projet, ou même
quelques idées. Sans compter que plus
de la moitié des 128 députés ont retrouvé
leurs sièges - certains ayant prudemment
tourné leur veste dès le départ de
leur grand Frère protecteur - ce qui donne
la mesure du « renouveau ». Dans ce
contexte monolithique de très forte polarisation,
l’élection d’Elias Atallah, dans
la circonscription de Tripoli où la bataille
a fait rage, fait figure de miracle. Cet
ancien chef militaire de la résistance au
sein du Parti Communiste libanais conduisait
la liste « militante » du tout récent
mouvement de la « Gauche démocratique
» (GD) dont il est l’un des fondateurs.
Sa liste est la seule à défendre un
Etat de droit laïc et social... La députation
de Samir Frangié, ancien compagnon
de la gauche des années 70 et politologue
progressiste, est aussi une bonne
nouvelle - même si, depuis, il a rejoint
les rangs de sa grande famille féodale
zghortiote et qu’il fait office de proche
conseiller du patriarche maronite Nasrallah
Sfeir.
A l’inverse, l’entrée pour la première
fois à la Chambre de six députés des
Forces libanaises (FL), cette milice, autrefois
ouvertement pro-israélienne, créée
par l’ancien président assassiné Béchir
Gemayel pour lui permettre de s’emparer
du pouvoir, n’est pas fait pour rassurer.
Les FL, dissoutes puis interdites au début
des années 90, renaissent donc de leurs
cendres sans que l’on sache vraiment
s’ils ont mis, depuis, de l’eau dans leur
vin. Mieux, ils s’apprêtent à fêter à grand
bruit la libération imminente de leur chef
de guerre, Samir Geagea, emprisonné
depuis 11 ans dans les caves du ministère
de l’Intérieur. Un décret d’amnistie
permettant son élargissement - négocié
longuement par les FL avec l’opposition
et condition de leur ralliement -
devrait être, d’ailleurs, le premier « geste »
politique du nouveau Parlement. Tout
un symbole.
Certes, l’opposition conduite par Saad
Hariri, à coups de dollars et avec l’aide
d’une machine électorale monstre - bien
surnommée « le bulldozer » - a gagné
son pari en remportant la majorité des
sièges (72 sur les 128 en jeu). Cette coalition
anti-syrienne a beau jeu de crier
victoire et de se présenter comme le symbole
« du changement ». Mais l’arithmétique,
en pays du Cèdre, n’est pas forcément
synonyme de clarté. Le départ
des troupes syriennes étant déjà acquis,
reste à définir le « changement », mais
aussi la nature et la dynamique de ce
gain en souveraineté. Seule certitude :
ce scrutin est avant tout la victoire
posthume et annoncée du grand chahid
(martyr) Rafic Hariri. Cruellement inexpérimenté,
dépourvu de tout charisme, peinant
à s’exprimer, le fils, rentré précipitamment
d’Arabie Saoudite, n’a fait
campagne qu’à l’ombre omniprésente
du portrait pharaonique du père [3] et avec
pour seul mot d’ordre « Marak » (avec
toi). L’héritier a été porté « naturellement
» par toute la « famille » sunnite -
ce qui ne souffrait d’aucune discussion.
La société, encore traumatisée, a suivi.
La politique est bien une histoire de
dynastie au Liban.
« L’insoutenable légèreté de l’être libanais » [4]
Il reste à comprendre ce regain de communautarisme
qui réveille les vieux
démons des dissessions confessionnelles.
Nul n’en prédisait la virulence, en particulier
après les grandes manifestations
de rue du printemps dernier à Beyrouth
qui avaient exprimé une forte aspiration
populaire à l’unité et au rassemblement.
La première explication tient sans doute
à la campagne électorale elle-même.
Sans contenu ni programme, elle a donné
lieu aux alliances les plus surprenantes,
déroutant les électeurs. De tout temps
au Liban, l’argent et le clientélisme ont
été le moteur des élections (coutume des
« dons électoraux », achat de voix, transformation
de l’administration en « véritable
réservoir électoral » etc.). Mais
rarement les retournements d’alliances - les ennemis d’hier devenus les alliés
d’aujourd’hui - n’ont été aussi incohérents.
Que l’on en juge. Prenons, pour commencer,
la coalition anti-syrienne conduite
par Saad Hariri et son allié Walid Joumblatt.
Cette « opposition » dite « plurielle »
non seulement ratissait de l’extrême
droite (FL) ... à l’extrême gauche (Gauche
démocratique), mais, grâce à une « réconciliation
» de dernière minute, intégrait
les deux mouvements chiites - pourtant
grands absents de la ferveur « indépendantiste
» de février-mars 2005 et qui
n’ont jamais cessé de clamer leur amitié
pour la Syrie. Résultat de la course :
la liste Hariri à Beyrouth comprenait à
la fois un candidat Hezbollah... et Solange
Gemayel, la veuve de l’ancien président
le plus pro-israélien de l’histoire du pays.
L’affaire était si embarrassante que le
candidat chiite a préféré s’absenter de
la cérémonie officielle de présentation de
la liste pour ... ne pas apparaître sur la
photo. Geste de pure forme, puisque leurs
deux noms sont apparus en fin de compte
sur les mêmes bulletins de vote. Dans
son fief intouchable du Sud-Liban, le
« duopôle » Amal-Hezbollah alignait,
quant à lui, deux candidats du parti Baas
et du Parti syrien national social (PSNS),
sans que personne dans l’opposition ne
trouve à y redire. Ils ont été élus haut la
main. Dans la montagne du Chouf, théâtre
dans les années 80 de terribles massacres
et de déplacements de populations entre
chrétiens phalangistes et druzes, Joumblatt
n’a pas fait mieux. Sa liste incorporait
un candidat des Forces libanaises,
ennemi de toujours dont le programme
politique est aux antipodes du sien. On
peut multiplier les exemples.
Prenons, ensuite, le général Michel Aoun - naguère champion numéro un de la
lutte (sanglante) contre la Syrie et sa
seule « légitimité ». Mieux que les autres,
il s’est employé avec brio à brouiller
définitivement les cartes. De retour de
15 ans d’exil, multipliant les propos
mégalomaniaques et contradictoires, il a
choisi rapidement de faire cavalier seul
et de dénoncer avec fracas « l’opposition
» qu’il aurait dû - en toute logique -
rejoindre. Son alliance contre nature avec
les pires symboles de l’ancien régime -
les personnalités pro-syriennes notoires
et corrompues telles l’ancien ministre
Soleiman Frangié, Omar Karamé, Michel
Murr ou encore le féodal druze Talal
Arslan, a consterné tout le monde. Son
électorat l’a-t-il pour autant, logiquement,
sanctionné ? Pas le moins du
monde. Par crainte de voir la représentation
chrétienne marginalisée au Parlement,
les terres maronites profondes du
Kesrouan et du Metn ont fait un triomphe
à Aoun. Le « tsunami orange », comme
on l’a surnommé, de la couleur de son
parti le Courant Patriotique Libre (CPL),
a raflé la totalité des 21 sièges chrétiens
du scrutin du Mont-Liban, créant l’unique
surprise des législatives.
L’imprévisible général Aoun peut, avec
raison, reprocher au fils Hariri d’avoir
joué sur la fibre confessionnelle en mobilisant
l’électorat sunnite contre « l’invasion
chrétienne » au Nord-Liban, y compris
par le truchement des principaux
ulémas de Tripoli. Il a fait pareil. Dans
cette course effrénée aux sièges, tous
les coups étaient permis.
Face à cette « incroyable frivolité politique
libanaise » [5], à la rapidité et à
l’étrangeté avec laquelle les allégeances
politiques se font et défont, les électeurs
libanais ont tranché. En l’absence de
tout projet réel de réforme, ils se sont soudés
finalement autour de la seule valeur refuge
restante : la communauté.
Une loi scélérate
Pour autant, la frivolité cynique de la
classe politique n’explique pas tout. Le
résultat des urnes tient aussi, pour une
large part, à la loi électorale en vigueur.
Concoctée en 2000 par l’ancien chef des
renseignements syriens au Liban, le général
Ghazi Kanaan, cette loi anti-constitutionnelle
impose un scrutin majoritaire
à un tour et découpe arbitrairement
les six mohafazat (préfectures) en 14
circonscriptions artificielles de tailles
différentes qui ne respectent pas la proportion
entre le nombre d’électeurs et le
nombre de sièges.
Ainsi, la ville de Beyrouth avec ses
418.570 inscrits (19 sièges) est découpée
en trois circonscriptions seulement,
à majorité automatique sunnite. Avec
30 % d’électeurs en plus, le Sud-Liban
n’a droit, lui, qu’à 23 députés (et non
27) et se retrouve divisé en deux immenses
circonscriptions dont la seule visée est
de diluer entièrement les poches chrétiennes
dans une masse chiite. Résultat,
il n’y a pas eu de bataille électorale lors
des scrutins du 29 mai (Beyrouth) et du
5 juin (Sud) car les jeux étaits faits
d’avance : les deux « rouleaux compresseurs » - la liste du sunnite Saad Hariri
et le duopôle chiite Amal-Hezbollah -
ont raflé tous les sièges, ne laissant aucune
chance à leurs adversaires qui ont préféré
se désister. Près d’un tiers des candidats
de chacune des deux listes ont
même été élu d’office, faute de concurrents.
Ce déficit démocratique a d’ailleurs
été sanctionné à Beyrouth par le plus
faible taux de participation (28%) de son
histoire.
Même là où la bataille a fait rage, comme
au Mont-Liban et dans les deux circonscriptions
du Nord-Liban, la question
de la légitimité et la représentativité
des élus demeurent posées. Prenons
un exemple : bien qu’ayant recueilli plus
des deux-tiers des votes dans son fief
maronite de Zghorta, au nord, et une
confortable majorité dans les deux autres
districts chrétiens de Batroun et de Koura,
l’ancien ministre Soleiman Frangié a
échoué le 20 juin - non en raison de son
allégeance notoire à la Syrie mais parce
que sa circonscription incluait Tripoli -
la deuxième ville du pays - et sa campagne.
Les sunnites, majoritaires, ont
« préféré » voter pour les candidats chrétiens
de la liste Hariri -triomphante.
Autrement dit, ces derniers ont été élus
en n’obtenant en moyenne que le tiers des
votes chrétiens.
On voit bien comment ce découpage
hybride - qui visait, à l’origine, à donner
l’avantage aux alliés libanais de
Damas et à marginaliser le vote chrétien
(traditionnellement anti-syrien) - a
été récupéré par les grosses machines
électorales à leurs fins propres. Le type
de scrutin - majoritaire à un tour - a également
joué un rôle de vérouillage, disqualifiant
toutes les petites listes.
On comprend mieux pourquoi « l’opposition
» a finalement cédé au chantage
de Nabih Berri et de Hassan Nasrallah
qui avaient fait du maintien de cette loi
scélérate - censée être abrogée en mai -
une condition sina qua non à leur participation
aux élections ; sans leur appui,
celles-ci n’auraient pas eu lieu.
On comprend moins, en revanche, les
folles pressions de la France et des Etats-
Unis pour que le scrutin se tienne - absolument - à la date prévue. Ne fallait-il pas
le repousser en attendant la réforme,
annoncée, de la loi ? Les observateurs
européens et onusiens, déployés sur le terrain,
ne s’y sont pas trompés. S’ils ont
félicité diplomatiquement le Liban pour
la « victoire de la démocratie », ils ont
aussi exprimé leurs profondes réserves
sur un « système électoral non exempt
de manipulations » et appelé à sa « refonte
d’urgence ».
Envolé, le rêve du 14 mars ?
En attendant, pour la jeunesse, de tous
bords, qui avait largement contribué à
l’effervescence du « printemps libanais »,
l’heure est au désenchantement. Il/Elle
reproche à la classe politique et singulièrement
à l’opposition de l’avoir « courtisée,
utilisée et abusée ».« L’histoire se
répète » ; « ces élections sont une farce » ;
« c’est comme si les acteurs d’une pièce
de théâtre avaient fait tomber les
masques » ; « nos politiciens ignorent
nos rêves et notre volonté de changement
». Ces phrases amères entendues à
Beyrouth proviennent de jeunes Libanais
qui votaient pour la première fois.
Refusant de « voter pour des symboles de
la guerre », bon nombre d’entre eux ont
choisi le bulletin blanc. Sans affiliation
partisane particulière, tous ont en commun
d’avoir participé activement aux
manifestations monstres de février et de
mars 2005. Ils défendent cet esprit de
concorde et de révolte et réclament une
« véritable indépendance, c’est-à-dire la
démocratie et un Etat de droit » libéré
de ses pesanteurs communautaires. Pour
eux - mais pas seulement - il y a un avant
« soulèvement du 14 mars » et un après.
Ce jour-là, à Beyrouth, près de la moitié
de la population totale du Liban avait
déferlé en vagues incessantes sur la place
des Martyrs, rebaptisée « place de la
liberté ». Les oeillères du sectarisme et du
chauvisme confessionnel semblaient
bannies de cette fièvre nationale. Que
s’est-il passé depuis ?
Témoin et acteur de premier plan durant
toute cette mobilisation, Ziad Maged [6],
vice-président du mouvement « la Gauche
démocratique » se risque à une explication.
S’il qualifie l’effervescence de rue
de « mouvement social » non violent
inédit - « pour la première fois l’individu
a eu au Liban un espace pour s’exprimer
» - et pointe l’importance de cet
« esprit de fraternité » et l’« apprentissage
de la citoyenneté et de la solidarité »,
il admet que « ce qui manquait était le
débouché politique ». « Tout le monde a
projeté ses souhaits sur ce mouvement,
indépendamment de ce qu’il contenait
réellement. Le 14 mars était avant tout
un mouvement magnifique de réconciliation
nationale, de réconciliation avec
le politique, un soulèvement populaire
pacifiste. Mais il n’était pas porté par un
projet de réformes. L’aspiration com-
mune était de se libérer des Syriens et ce
qui faisait lien était une très grande
colère envers l’Etat sécuritaire libanais.
Mais la victoire trop rapide a déboussolé
les gens. L’absence d’un projet politique
clair, cohérent et commun concernant
l’avenir du Liban, a été un facteur de
démobilisation. Faute de temps et pris
dans l’action, nous n’avons pas su profiter
de cette formidable énergie populaire
pour faire un travail politique en
profondeur ; tel aurait du être l’objectif.
De plus, la retombée du mouvement
a gelé les négociations sur les points de
convergences et la définition d’un programme
commun » à l’opposition. « A
partir de là, il faut tout bâtir ».
La vitalité associative
Responsable de l’association LADE
(Lebanese Association for Democratic
Elections), le sociologue Karam Karam [7]
se veut optimiste. Comme Ziad Maged,
il insiste pour replacer les événements
des derniers mois dans un « processus
accumulatif » en construction depuis
plus d’une décenie. Il situe ses prémisses
en 1987, lors des grandes grèves syndicales
de la CGTL et l’émergence d’un
mouvement contre la guerre - avec notamment
une grande marche du nord au sud
du pays où les participants de tous bords
font le choix de transcender leurs
appartenances primaires et communautaires
pour s’opposer aux
projets miliciens. Avec le verrouillage
syrien du système et de
l’espace politiques entre 1992 et
1996 (partis scindés ou interdits,
CGTL brisée..), le secteur associatif
à caractère politique (droits
humains, défense des libertés
publiques, femmes, étudiants,
Fondation Moghaizel pour la
démocratie, Association de
Défense des Libertés (ADL), tous
les centres culturels, les mouvements
des disparus, le mouvement
social de Grégoire Haddad
etc.) va prendre la relève et inverser
la problématique. Ce sont ces
associations qui désormais vont
« porter » les partis politiques, les
nourrir en textes et en projets,
lancer une série d’initiatives, initier
des mouvements sociaux. Et
pour cause : à leur périphérie
« gravitent tous les intellectuels
engagés, des “cellulles grises”, les
cadres militants » les plus brillants. « Ce
sont eux - comme Samir Kassir, Elias
Khoury, Paul Achkar, Joe Bahout, Ghassan
Moukeiber, Ziad Maged etc.- qui
créent LADE en 1996 ». Ce sont en partie
les mêmes qui conseilleront les personnalités
politiques « alternatives »
comme Habib Sadeq (« Forum démocratique
») ou Nassib Lahoud (« Renouveau
démocratique »), après 2000, lorsque
le retrait israélien du sud-Liban et la
mort de Hafez el-Assad rendent à nouveau
possible l’éclosion de nouvelles
formations politiques. On les retrouve au
coeur de la dynamique qui aboutira, en
2004, à la création du mouvement de la
« Gauche démocratique ». Puis, en février-mars
2005, en pointe du soulèvement
pour l’« indépendance », place des Martyrs.
Pour Karam Karam, la continuité
ne fait aucun doute.
Pour l’heure, son association LADE,
qui a réussi l’exploit de mobiliser quelque
700 bénévoles formés aux techniques
de surveillance du scrutin, préfère minimiser
les résultats des législatives - « une
simple étape, faussée à la base par une
loi électorale absolument tordue ».
« L’enjeu réel est pour demain : il
concerne la bataille pour l’adoption
d’une nouvelle loi juste et représentative,
l’imposition d’un scrutin à la proportionnelle,
la représentation des femmes
et la réglementation de la publicité et des
dépenses électorales ». Mais en amont,
l’éducation civique et démocratique
demeure une priorité.
A un niveau plus théorique, Samir Frangié [8] réfléchit aux suites du 14 mars et
à son apport dans la « définition d’une
voie arabe vers la démocratie ». La
recherche doit porter sur la relation,
repensée, entre groupe et individu. Aux
communautés, « le domaine de l’être ensemble
» et aux citoyens et aux structures
de solidarité reliées à l’Etat, « l’agir ensemble
». Si « la loi ne peut accorder
des droits qu’aux individus », elle doit
« ménager aux groupes les garanties
qu’ils réclament » pour encourager « le
vouloir-vivre en commun ».
A plus court terme, le pays a des priorités
plus triviales. Avec une dette qui frôle
les 40 milliards de dollars, les réformes
économiques sont vitales. La purge des
services de renseignements, mouillés
probablement dans les derniers assassinats,
aussi. Le dossier régional lié à la résolution
1559 du Conseil de sécurité n’est
pas moins épineux. Le nouveau paysage
politique en Iran, comme l’autisme du
Baas syrien, risquent fort de radicaliser
le Hezbollah. Au-delà de l’abcès de fixation
du désarmement ou non du Hezbollah,
la question centrale demeure la
stratégie de l’Etat libanais. Il devra se
résoudre tôt ou tard à trancher : qui décide
de l’usage des armes ? qui décide de la
guerre et de la paix au Liban ?
De toute évidence, l’ère post-syrienne au
Liban ne fait que commencer.
Claire Moucharafieh