La Maison Blanche a enfin dévoilé aujourd’hui le plan économique très attendu de ce que l’administration Trump avait appelé de manière infâme « l’accord du siècle ». Il a été rendu public quelques jours avant l’atelier économique prévu à Bahreïn les 25 et 26 juin. Le Plan économique comprend trois parties : un site Web avec un résumé, un descriptif du plan de 40 pages et une liste détaillée de 96 pages des programmes et projets de Peace to Prosperity. Je viens de tout lire.
Honnêtement, je ne sais pas s’il faut en rire ou pleurer, alors au lieu de cela, j’ai pensé qu’il serait préférable de partager mes pensées par le biais de la lettre ouverte suivante à Jared Kushner, l’architecte du plan, et gendre du président Trump.
Cher Jared,
J’espère que ça te va si j’ai abandonné les formalités de salutation. Je viens de lire dans Médium un article d’Aaron Gell, leur contributeur, intitulé « Jared Kushner était mon patron », alors j’ai vraiment l’impression de te connaître personnellement. De plus, j’écris sur toi depuis plusieurs mois, alors soyons amis.
Je viens de lire ton plan économique Peace to Prosperity. Je dois te l’accorder : tu l’as fait. Tu as produit 136 pages de néant, en couleur et avec des photos aussi.
J’ai lu ceci sur ma véranda, celle faisant face à la colonie israélienne illégale de Psagot de l’autre côté de la vallée. Chaque fois que je levais les yeux pour prendre une gorgée d’eau, je regardais les lumières de la colonie qui me fixaient, puis je regardais ton plan pour voir où il en parle ; je vois qu’il en parle parfaitement, car tu ne dis même pas qu’elle existe. Je sais que nous, Palestiniens, ne devrions pas nous embourber dans des constats dérangeants faits sur le terrain.
J’ai vraiment aimé la partie de la présentation du plan qui note qu’il ne peut être réalisé que « suite à un accord de paix » et que « ce n’est que par la paix que les Palestiniens pourront atteindre la prospérité ». Tu touches juste là, Jared, mais n’est-ce pas ce que les dirigeants et le peuple palestinien t’ont dit depuis le début : montrez-nous les paramètres politiques et ensuite nous pourrions parler d’économie ? N’est-ce pas ainsi que sont construits les « business plans » ? Vous vous interrogez sur les lois et règlements applicables, puis vous construisez votre plan ? Aah, je comprends que ton expérience des affaires peut être différente de celle que m’ont enseignées mon diplôme à la Youngstown State University et les MBA à la Northwestern University et à la Tel Aviv University.
J’ai adoré la façon dont tu as lancé la partie narrative du plan : « Des générations de Palestiniens ont vécu sans connaître la paix et la Cisjordanie et Gaza sont tombés dans une crise prolongée. » Vraiment ? Je me demande pourquoi. « Tomber » dans une telle crise est tellement enquiquinant… nous devrons être plus prudents la prochaine fois.
Maintenant sérieusement, Jared, je lis bien l’anglais, du moins le pensais-je, mais certaines parties de ton plan me laissaient interrogatif. Peux-tu expliquer ?
Tu dis que le plan a « le potentiel de générer plus de 50 milliards de dollars de nouveaux investissements sur dix ans ». « Potentiel de générer », est-ce que cela me confère le « potentiel de générer » pour atteindre la lune sur mon vélo ? Après tout, la science évolue si rapidement que le potentiel est là et que tout ce que je dois faire, c’est avoir pour objectif de faciliter le travail, de sorte que je n’ai pas vraiment besoin de quitter la Terre.
Tu déclares que le plan peut « transformer fondamentalement la Cisjordanie et Gaza et ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire palestinienne - un chapitre défini non pas par l’adversité et la perte, mais par la liberté et la dignité ». « Adversité et perte », un autre enquiquinement. Je me demande comment nous en sommes arrivés là. J’étais tellement heureux que tu ne sois pas allé chercher plus loin. Ç’aurait fait si « ancien monde » d’expliquer le pourquoi. Faisons comme si un tremblement de terre nous avait frappé, et restons concentrés sur l’avenir.
Le plan ne cesse de mentionner les « autorités palestiniennes adéquates ». Maintenant, qui cela pourrait-il être ? Ça ne peut pas être l’OLP, parce que Trump a fermé son bureau à Washington il y a plusieurs mois. Ce ne peut pas être l’État de Palestine, car bien que plus de 130 pays reconnaissent la Palestine, les États-Unis ne le font pas. S’il te plaît Jared, j’ai besoin de savoir. Tu ne peux pas remplir ton rapport avec de tels mots et ne pas savoir à qui tu fais référence.
De même, tu répètes, Jared, « après l’adoption » tout au long du rapport. Adoption par qui ? Dis-moi s’il te plaît car je suis impatient de les appeler et de leur dire à quel point ce plan est formidable.
Tu tapes à nouveau dans le mille, Jared, quand tu dis : « Aucune vision pour les Palestiniens ne peut être réalisée sans le soutien total du peuple palestinien et de ses dirigeants. » Je pourrais t’embrasser pour celle-là.
J’étais tellement heureux que tu saches qu’il est nécessaire de « garantir la certitude et la prévisibilité pour les investisseurs » et que ton plan le promet. Le plan promet également « d’ouvrir la Cisjordanie et la bande de Gaza ». Le seul problème que cela pose, mon ami, est que tu ne dis pas le comment ? et le qui ? ne permet pas « la certitude et la prévisibilité », et pourquoi nous sommes « enfermés » aujourd’hui. Jared, tu me perds ici.
Ton plan promet de « fournir une assistance financière et technique pour renforcer la capacité des fonctionnaires des services d’immigration et des douanes à exploiter et gérer les points de passage en coordination avec les États voisins » et « créera de nouveaux points d’entrée ». Excuse mon ignorance ici, mais cela nécessite un État, cette chose que vous avez déjà écartée et que l’ambassadeur des États-Unis en Israël ne sait pas définir. Je dois donc demander quelle sera la nationalité de ces « agents de l’immigration et des douanes » et à quel pays appartiendront ces nouveaux points d’entrée.
Le plan promet d’apporter « des services de télécommunications 5G » aux Palestiniens. Cool, même les États-Unis ne les ont pas, et il a fallu 12 ans pour que les fréquences 3G ne soient libérées que l’année dernière. Je ne dirai pas qui les a libérées, ainsi je reste positif, comme toi.
Jared, mon pote, tu connais « Rukab’s Ice Cream » ? Bon sang, mes amis de « La crème glacée Balanda » vont être fumaces.
Ton plan indique : « Bien que l’agriculture représente environ 8% des emplois palestiniens, ce secteur n’a pas encore atteint son potentiel en raison de l’accès limité des agriculteurs palestiniens à la terre, à l’eau et à la technologie ». Jared, tu n’as pas mentionné le pourcentage avant le dernier plan de paix dirigé par les États-Unis depuis 25 ans et appelé Oslo. Je sais, je sais, regarde vers l’avenir, reste positif. J’essaie, vraiment, j’essaie, mais quand tu as remarqué que c’était à cause de « l’accès limité des agriculteurs palestiniens à la terre, [et] à l’eau », j’ai juste levé les yeux et vu à nouveau cette fichue colonie de l’autre côté de la vallée, mais ne t’inquiètes pas, j’ai fait comme si elle n’était pas là et je me sens vraiment bien maintenant.
Une nouvelle université. C’est si gentil de ta part, Jared. Dommage que tu ne comprennes pas du tout pourquoi nous n’avons pas besoin d’une nouvelle université, du moins pas comme celle que tu proposes. Mais j’ai un projet universitaire, prenons un café quand tu seras dans le coin et je te le présenterai. Tu es prêt à mettre 500 millions de dollars, je te promets que je ferai le mien pour 200 millions de dollars et nous pourrons nous partager la différence.
Jared, oh Jared, j’ai littéralement sauté de joie en lisant ceci : « Conformément aux principes de la primauté du droit et de la séparation des pouvoirs, l’indépendance du pouvoir judiciaire palestinien doit être réévaluée et renforcée. Un système judiciaire solide et fiable permet aux entreprises de savoir que leurs investissements seront sécurisés et que leurs entreprises et les produits qu’elles créent seront protégés de tout traitement injuste. La confiance dans les questions juridiques est un élément essentiel de la réduction des risques des entreprises, qui attire des capitaux privés et des investissements étrangers. À cette fin, ce projet s’associera aux autorités palestiniennes pour encourager l’adoption de lois et de réglementations garantissant l’indépendance du système judiciaire. Il investira dans le renforcement des capacités des tribunaux, en mettant tout particulièrement l’accent sur l’amélioration de leur capacité à traiter des affaires couvrant des abus potentiels du gouvernement. » OUI ! OUI ! OUI, mais pouvons-nous convenir de faire cela aux États-Unis d’abord, tu sais, en tant qu’essai. Nous pouvons commencer par appliquer tout cela à ton administration !
Je peux continuer, mais je sais que tu es occupé. Tu as produit un plan pour la Palestine sans mentionner la Palestine. Tu as parlé du peuple palestinien sans reconnaître que 300 000 d’entre nous sont à Jérusalem et que 5 millions d’entre nous attendent de pouvoir rentrer chez eux. Tu n’as pas utilisé le mot « occupation » une seule fois dans les 136 pages du plan. Enfin si, tu t’en es approché en utilisant « high-growth occupations » [« professions à forte croissance »] ce qui pourrait être un jeu de mots, mais involontaire.
Jared, tu sais que la plupart ne liront même pas ton plan, ils y jetteront un coup d’œil, verront tous les projets étonnants énumérés et diront : vas-y, lâche-le un peu, il essaie au moins. Moi, j’ai plus de jugeotte, Jared. Je suis sur le terrain dans le secteur privé depuis 25 ans. C’est un bon enfumage. Dans le monde du conseil en management, nous appelons cela de la recherche documentaire, sans travail sur le terrain, sans hypothèses et certainement aucune agence capable de concrétiser le projet. Presque tous les projets que tu as énumérés ne sont pas originaux, mais je dois t’en créditer, tu le dis toi-même, dans le rapport, « les projets sont élaborés à partir de propositions du secteur privé, de documents de planification gouvernementaux, d’analyses indépendantes et de travaux d’études antérieures, d’organisations telles que le Groupe de la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, le Bureau du Quartet, etc. ».
Jared, tu conduis en état d’ébriété, ivre de pouvoir, et comme nous sommes maintenant amis, écoute-moi. D’un Américain à l’autre : sors de la voiture. Rentre chez-toi. Tu perds ton temps et l’argent des contribuables en essayant de blanchir 52 ans d’occupation militaire israélienne, une réalité qui se porte bien même si tu y es aveugle.
Sincèrement à toi,
Sam I Am
Sam Bahour est un consultant en affaires américano-palestinien de Ramallah / Al-Bireh en Cisjordanie. Il est président du conseil des Américains pour une économie palestinienne dynamique (AVPE), conseiller politique d’Al-Shabaka, le Réseau politique palestinien et co-auteur de « Homeland : Histoires orales de la Palestine et des Palestiniens » (1994). Il blogue sur ePalestine.com. @SamBahour
Traduit de l’anglais par l’AFPS Alsace