Monsieur Emmanuel Macron
Président de la République
Palais de l’Elysée
55 rue du Faubourg Saint Honoré
75008 PARIS
Le 7 décembre 2018
Monsieur le Président de la République,
Nous nous adressons à vous en toute urgence dans la perspective du Conseil Européen des 13 et 14 décembre.
Lors de ce Conseil, une résolution de quelques lignes (voir annexe) est prévue pour avaliser la déclaration adoptée par le Conseil Justice et Affaires intérieures de l’UE sur la lutte contre l’antisémitisme et la protection des communautés juives en Europe. Nous n’avons aucun problème avec cet objectif affiché, mais, comme nous l’avons indiqué par lettre à Madame la ministre de la Justice et à Monsieur le ministre de l’Intérieur, l’article 2 sur la « définition IHRA » de l’antisémitisme est lourd d’ambiguïtés, et en contradiction totale avec les recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé qu’il soit retiré dès que nous en avons eu connaissance.
Nous n’en sommes malheureusement plus là, mais certaines ambiguïtés doivent être impérativement levées. D’après les informations dont nous disposons, ce texte a fait l’objet de longues négociations, qui ont conduit notamment à retirer la référence aux « exemples » associés à la définition IHRA de l’antisémitisme, exemples particulièrement tendancieux et dangereux pour nos libertés, qui citent neuf fois l’État d’Israël alors qu’il devrait être question d’antisémitisme. Exemples qui n’ont d’ailleurs jamais été formellement adoptés par l’IHRA.
Le texte final ne mentionne pas les exemples, mais il n’indique pas non plus qu’ils sont exclus de l’article 2. La Commission européenne, par la voix de son vice-président Frans Timmermans et de la commissaire tchèque à la Justice Vera Jourova, n’a pas attendu une heure pour exploiter cette faille et insister, dans son communiqué, sur l’importance de la définition IHRA pour indiquer ce contre quoi porte notre combat commun. Vu l’indigence de la définition elle-même, comment douter qu’il s’agit bien des exemples ?
Monsieur le Président, quelles que soient les négociations qui aient pu se tenir sur ce sujet, l’ambiguïté du texte est un véritable danger pour nos libertés. Cette ambiguïté ne manquera pas d’être exploitée par l’État d’Israël et les lobbies inconditionnels de sa politique pour faire taire toute critique, faire annuler des réunions, attaquer personnellement des militants des droits de l’Homme, multiplier les manœuvres contre nos libertés. L’exemple du Royaume-Uni est là pour en témoigner.
Face à ce danger exceptionnel pour nos libertés, et au stade actuel du débat dans les instances de l’Union européenne, nous vous demandons une démarche exceptionnelle : demander et obtenir de vos partenaires l’ajout, dans le projet de délibération du Conseil européen (voir ci-dessous), d’une phrase précisant que le consensus du Conseil Justice et Affaires intérieures de l’UE porte sur la définition et n’inclut pas les exemples. Et en faire une condition impérative pour l’adoption de cette résolution.
Ajoutons que la remise lundi prochain d’un rapport de l’Agence des droits fondamentaux (FRA) sur ce sujet est un élément nouveau qui peut renforcer cette argumentation.
Monsieur le Président de la République, c’est aussi dans ce domaine la sérénité du débat public qui est en cause. Nous y sommes attachés, nous vous demandons solennellement de la préserver.
Nous sollicitons d’urgence une entrevue avec vos collaborateurs sur cette question.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.
Bertrand Heilbronn
Président de l’AFPS
Copies adressées à Monsieur le Premier ministre, Monsieur le ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères, Madame la Garde des Sceaux ministre de la Justice, Monsieur le ministre de l’Intérieur
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Annexe :
Projet de résolution du Conseil européen
« The European Council condemns any form of racism and xenophobia, including antisemitism. It welcomes the adoption of the 6 December 2018 Council Declaration on the fight against antisemitism and the development of a common security approach to better protect Jewish communities and institutions in Europe. »
Exemple d’ajout dans le sens de notre demande
« En ce qui concerne l’article 2 de cette Déclaration, le Conseil rappelle que le consensus trouvé par le Conseil Justice et Affaires intérieures n’inclut pas les exemples associés à la « définition IHRA ».