Le projet de « levée des barrages »
est repoussé, sous l’un ou l’autre
prétexte, depuis quelques années
déjà et, en attendant, leur nombre a augmenté.
On peut supposer avec un bon
niveau de certitude que cette nouvelle
tentative visant à faciliter la vie des Palestiniens
échouera elle aussi, tout comme
les précédentes. Parce que le régime des
barrages n’est pas l’affaire d’un geste
insignifiant, marginal, ni une question de
nombre dont la réduction serait susceptible
d’indiquer un changement quelconque
dans la situation existant dans les
territoires occupés. Les barrages constituent
le pilier central du contrôle israélien
sur la Cisjordanie et ils remplissent trois
fonctions fondamentales : symbolique,
géostratégique et sociopolitique. Dès lors,
à celui qui ne leur reconnaîtrait qu’une
signification tactique sécuritaire ou un
lien de dépendance aux colonies, il manquerait
l’essentiel.
De ce point de vue, les officiers de l’armée
israélienne (qui sabotent toute tentative
de lever des barrages) sont plus fidèles et
dévoués aux conceptions de base d’Israël
que le Premier ministre et le ministre de
la Défense qui utilisent les barrages comme
un moyen politique à court terme. Les
centaines de barrages fixes ou mobiles,
construits ou improvisés, blocs de béton
ou barrières tournantes, monceaux de
terre ou tranchées, sont tous conçus dans
un même but : marquer qui a le pouvoir
de contrôler la vie des Palestiniens.
De petits groupes de jeunes soldats font
office d’agents d’une autorité qui force
des centaines de milliers de personnes à
se conformer à des lois arbitraires qui
désorganisent leur vie au niveau le plus
élémentaire. Ce contrôle est mis en oeuvre,
pour l’essentiel, sans qu’il soit besoin de
recourir à la force mais en jouant sur la
peur et l’inquiétude des Palestiniens.
Le mépris pour les Palestiniens et le
recours à une mentalité de soumission ne
se manifestent pas seulement par les barrages,
mais aussi par les procédures de
« contrôle » appliquées sans égard pour
la dignité des Palestiniens. On attend
d’eux qu’ils patientent, en file, en silence
et dociles. Sinon, on les « punit ».
Enfermer pour contrôler
Les régimes coloniaux se sont toujours
appuyés sur l’arrogance de soldats peu nombreux, qui administraient la vie
de millions d’autochtones par un recours
minime à la force et en se fiant à une «
dissuasion » assurant un statut inférieur
aux sujets placés sous leur autorité. Israël
a perfectionné la méthode coloniale :
au lieu que les forces d’occupation gèrent
la vie des autochtones au niveau de
l’existence quotidienne, dans leurs villes
et leurs villages, elles leur imposent un
contrôle indirect par enfermement dans
des enclaves clôturées et en interférant
avec la routine de leur vie. Le maître
ne pénètre pas dans leur domaine, mais
les autochtones sont obligés de l’implorer
dans les temples de l’occupation - les
barrages - et tant qu’ils se plient aux
règles qui leur sont dictées, l’occupant
sait que sa position est solide.
Les barrages servent de moyen géostratégique
de premier ordre : institutionnalisant
l’expropriation de l’espace
physique et de l’infrastructure publique
de Cisjordanie et leur cession à l’usage
exclusif des Israéliens. La carte des centaines
de barrages installés à l’intérieur
des centres de population palestiniens dessine
le partage physique de la Cisjordanie
en territoires qui ont été annexés
de fait -l’ouest de la clôture de séparation
et la vallée du Jourdain coupée de
ce qui l’entoure- et en dix enclaves
palestiniennes, de Jénine au nord jusqu’au
sud du mont Hébron.
Les monceaux de terre et les blocs de
béton placés sans ordre apparent constituent
en réalité tout un système géostratégique,
et l’enlèvement de quelques
tas de terre ou de fermetures de routes
pourrait altérer un dispositif planifié
avec tellement de méticulosité. Ceux
qui croient que l’idéologie du Grand
Israël a disparu, évanouie, feraient bien
de comprendre que les barrages sont le
symbole de l’expropriation des territoires
de la Cisjordanie, sans annexion,
en sus de la création de « réserves » palestiniennes.
Entraîner l’éclatement de la
communauté palestinienne
La division géographique crée une réalité
sociale et politique qui entraîne
l’éclatement de la communauté palestinienne
en sous-communautés faibles
et pauvres, où ce qui domine c’est la
coupure entre le centre et la périphérie,
la dégénérescence des centres urbains et
l’appauvrissement de l’espace villageois,
la séparation des familles, l’empêchement
d’accéder aux soins médicaux
et aux centres d’enseignement - le tout
avec l’espoir que ce blocus politique et
social conduira à des problèmes démographiques
et peut-être à une émigration.
Les planificateurs du régime des barrages
ont voué d’importants efforts à
l’élaboration du système et à sa mise en
oeuvre, mais ils semblent avoir mal évalué
l’efficacité de leur méthode. La
société palestinienne montre une cohésion
et une capacité d’adaptation aux
conditions de vie pénibles, impitoyables,
qui lui sont imposées, et on ne voit pas
de signes que les objectifs stratégiques
programmés auraient été atteints. Les
concepteurs des barrages ont dès lors
l’impression qu’il leur faut en augmenter
le nombre chaque année. Il y en a
déjà 522, soit un barrage pour 3500
Palestiniens.
Celui qui aspire sérieusement à ce qu’il
soit mis un terme à cette marche folle -
dont même la maigre utilité au plan
sécuritaire est mise en doute et dont le
préjudice est clair pour tout le monde -
celui-là est tenu d’ordonner le démantèlement
de tous les barrages qui ne sont
pas situés à la frontière d’Israël souverain,
et de ne pas se soumettre au maquignonnage
que les officiers de l’armée tentent
d’imposer.