Au moment où j’écris ces lignes, trois de mes voisins sont à l’hôpital en salle d’opération, deux d’entre eux avec des blessures par balle, après que des colons israéliens armés ont attaqué le hameau de Khallet a-Daba’, dans le sud de la Cisjordanie.
L’incident a commencé le matin du 10 novembre, lorsqu’un groupe de 20 colons a commencé à établir un nouvel avant-poste juste à côté du village. Ils ont construit une tente et une structure pour leurs moutons, sur des terres agricoles appartenant à Jalal Amour, l’un des résidents du village.
Khallet a-Daba’ est situé dans la zone des collines du sud d’Hébron connue sous le nom de Masafer Yatta, où se trouvent plus d’une douzaine de hameaux palestiniens. Dans les années 1980, Israël a déclaré la région zone de tir militaire restreint. La Haute Cour israélienne devrait décider dans les mois à venir si les communautés palestiniennes pourront ou non rester sur leurs terres.
J’étais là quand un officier de l’administration civile, le bras du gouvernement militaire israélien qui administre les territoires occupés, est arrivé sur les lieux et a dit aux colons qu’ils pouvaient rester à Khallet a-Daba’.
Lorsque j’ai exprimé ma crainte que les colons n’attaquent les résidents palestiniens, l’officier s’est mis à rire en disant : "Que les colons fassent du thé, et les Palestiniens du café, et ils pourront s’asseoir ensemble". Les Palestiniens et les militants de la solidarité qui sont arrivés sur les lieux ont exigé que l’administration civile démantèle l’avant-poste illégal, mais l’officier les a écartés et a déclaré qu’ils avaient construit les tentes sur des "terres publiques."
Après de nouvelles pressions, l’armée a fini par demander aux colons de démonter les structures mais les a autorisés à rester sur place. Peu après, les colons ont commencé à détruire la propriété d’une famille palestinienne, à déraciner ses oliviers et à briser les pare-brise des voitures.
Puis, vers le soir, l’armée a déclaré la zone "zone militaire fermée". "Vous avez cinq minutes pour sortir d’ici ou je vous arrête", m’a dit un officier israélien.
Des rafales de tirs intenses
L’ordre militaire stipulait que tout le monde devait quitter la zone - mais en pratique, les soldats n’ont fait sortir de force que les Palestiniens et les militants qui s’étaient présentés pour les soutenir, laissant les colons seuls. Sept résidents palestiniens - tous membres de la famille Amour - ont été laissés seuls face aux colons, dans l’obscurité de la nuit.
"De plus en plus de colons ont commencé à arriver dans leurs voitures", a déclaré Jalal Amour. "Ils ont commencé à nous jeter des pierres - c’était effrayant.
"Tout à coup, par surprise, ils ont tiré à balles réelles. Je me suis enfui de la pièce où j’étais assis, pour ne pas être tué par les tirs. J’ai commencé à crier à l’aide. Des Palestiniens ont essayé de se rendre sur les lieux, mais l’armée les a arrêtés. De loin, j’ai pu voir du feu provenant de ma chambre, et j’ai compris que les colons y avaient mis le feu."
J’ai couru jusqu’à Khallet a-Daba’ après avoir entendu les appels au secours d’Amour. Quand je suis arrivé, je l’ai vu debout à côté de son père, Jamil, 64 ans, qui était allongé sur le sol et saignait après que des colons lui aient cassé la jambe avec des pierres.
Jusqu’alors, il n’y avait pas de victimes, et l’armée était toujours présente dans la zone. Dans l’obscurité du désert, je pouvais compter des dizaines de colons. Ils tenaient des fusils, des matraques et des lance-pierres. Ils agitaient leurs fusils dans le dos des soldats, comme pour effrayer les Palestiniens.
Puis, soudainement, les soldats sont montés dans leurs jeeps et sont partis - laissant derrière eux une milice de colons armés. Les soldats étant partis, les colons ont avancé dans notre direction.
À partir de ce moment, tout est devenu flou. J’ai entendu des cris et vu des jeunes gens qui essayaient d’empêcher les colons d’avancer vers le village avec leurs corps. Puis les coups de feu ont commencé. Il m’a fallu plusieurs secondes pour réaliser qu’ils tiraient directement des balles réelles dans notre direction.
Je me suis caché derrière la chambre brûlée d’Amour, où j’ai vu son père blessé, Jamil, toujours allongé sur le sol. Il marmonnait les mots de la Shahada, la prière que les musulmans récitent avant de mourir.
J’ai téléphoné à la police israélienne et j’ai exigé qu’elle vienne. Pendant que j’étais au téléphone, deux jeunes hommes ont porté un autre Palestinien blessé, leurs chemises trempées de sang ; les colons lui avaient tiré dans la main. Une ambulance palestinienne l’a transporté à l’hôpital.
Les colons ont alors commencé à ouvrir le feu par rafales successives et intenses. J’étais sûr que quelqu’un allait être tué. Les balles transperçaient l’air autour de moi et frappaient les voitures voisines. C’était des moments de pure horreur.
Au téléphone, Quamar Mashraqi-Assad, un avocat palestinien basé à Jérusalem qui aide les habitants du quartier, m’a dit qu’elle était en contact avec l’armée, qui lui disait que les soldats étaient à Khallet a-Daba’. Mais c’était un mensonge. Une minute plus tard, un autre jeune homme a été touché par des tirs de colons. Nous étions complètement seuls.
Ce n’est qu’après environ 40 minutes de carnage que l’armée est revenue sur les lieux. Les colons ont battu en retraite et ont continué à jeter des pierres, tandis que les soldats poussaient et insultaient les Palestiniens.
Le fils d’Amour a reçu une balle dans la main et est toujours hospitalisé dans un état stable. Son neveu a également été touché et se trouve dans un état modéré à grave. Sept autres Palestiniens ont été légèrement blessés.
En réponse à la nouvelle de l’attaque, un porte-parole de l’armée a déclaré que "les FDI avaient été informées d’une violente confrontation entre des dizaines de colons et des dizaines de Palestiniens près de la colonie de Mitzpe Yair". Selon le porte-parole, les soldats "ont pu séparer les parties" et ont déclaré la zone "zone militaire fermée" pour les colons et les Palestiniens. Le porte-parole a ensuite affirmé que les deux parties ont quitté la zone, jusqu’à ce que des "frictions se produisent" plus tard entre elles, et que les soldats viennent à nouveau séparer les deux parties.
Justification de la présence militaire
L’attaque de Khallet a-Daba’ n’est que la partie visible de l’iceberg. Les habitants, les militants et les groupes de défense des droits de l’homme ont été témoins d’une augmentation alarmante de la violence des colons en Cisjordanie au cours des derniers mois.
La plupart de ces événements ne sont pas documentés ou sont filmés à distance pour des raisons de sécurité. Contrairement au pogrom des colons qui s’est déroulé en plein jour dans le village de Mufagara fin septembre, cette fois à Khallet a-Daba’, l’obscurité a empêché les Palestiniens de filmer ce qui s’est passé.
Dans les collines du sud d’Hébron, le soutien que ces attaques reçoivent de l’armée fait partie d’un effort concerté pour créer un sentiment de friction à l’approche de la décision de la Haute Cour sur la légalité de la zone de tir, afin de créer une "justification" de la présence militaire dans la région.
Khallet a-Daba’ n’a pas été la seule communauté à subir de telles attaques la semaine dernière. Vendredi, des colons venus de la direction des avant-postes radicaux de Bat Ayin ont attaqué des agriculteurs palestiniens et des militants israéliens qui récoltaient des olives dans la ville de Surif. Le photographe Shay Kendler a pu documenter l’attaque de très près.
Des soldats israéliens étaient présents sur les lieux lorsque la récolte a commencé dans la matinée, mais ils ont fini par partir. Vers midi, des colons masqués sont descendus dans les oliveraies, armés de pierres et de matraques. Les colons ont blessé au moins trois militants israéliens, dont le rabbin Arik Ascherman, un éminent militant de gauche qui avait déjà été attaqué par des colons auparavant.
Le militant Gil Marshall, qui a été blessé à la main, a déclaré : "Au début de la journée, il y avait beaucoup de soldats, mais ils sont partis et ont laissé l’attaque avoir lieu. Nous les avons avertis une demi-heure avant l’attaque, mais ils ont pris leur temps pour revenir. Les colons ont commencé à jeter des pierres ou à nous attaquer physiquement avec des matraques. L’un d’eux avait une matraque qui semblait appartenir à Yamam [l’unité antiterroriste de la police israélienne]. Ils nous ont battus pendant quelques minutes avant de se retirer. Lorsque les agents de la police des frontières ont commencé à arriver, [les colons] ont fui vers l’avant-poste. La police ne les a pas poursuivis".
Samedi, l’armée a empêché pendant des heures des dizaines de militants israéliens de se rendre dans le village de Susiya, en Cisjordanie. Les militants espéraient montrer leur solidarité avec les habitants, une semaine après que des colons ont envahi le village et expulsé des enfants palestiniens de l’aire de jeux locale. Les soldats ont présenté aux militants un ordre interdisant l’accès à la zone. Les soldats ont finalement permis aux militants d’atteindre le terrain de jeu, où ils ont organisé des activités pour les enfants.
Un porte-parole de l’armée a qualifié l’assaut à Surif de "confrontation violente" entre colons, Palestiniens et civils israéliens. Les forces israéliennes, a déclaré le porte-parole, en coopération avec la police israélienne, "ont séparé les parties et dispersé le conflit." Au cours de l’opération, a poursuivi le porte-parole, la police a arrêté trois colons qui ont été emmenés pour une enquête plus approfondie, sans la moindre mention des attaques non provoquées des colons.
Traduction : AFPS