Camp de réfugiés de Jénine, Cisjordanie occupée - Dans le quartier d’Umm Yousif, presque chaque maison et chaque voiture est criblée d’impacts de balles et de vitres brisées après ce que les habitants décrivent comme un "massacre."
Les enfants ne jouent pas avec des billes, mais avec les douilles de balles qui jonchent les ruelles étroites et les toits adjacents après un raid israélien meurtrier jeudi dans le camp de réfugiés de Jénine.
"Toutes les vitres de ma maison ont volé en éclats. Nous sommes tous restés allongés sur le sol pendant deux heures alors qu’il y avait des bruits d’explosions au-dessus de nos têtes", a déclaré cette mère de quatre enfants, âgée de 47 ans.
"Nous nous attendions à mourir d’une seconde à l’autre."
Neuf habitants, dont deux enfants, ont été tués au cours de l’assaut israélien qui a ravivé les souvenirs de 2002, lorsqu’un autre raid à grande échelle et des affrontements avaient fait de Jénine un symbole de la résistance palestinienne. Une dixième personne a succombé à ses blessures dimanche, tandis que plusieurs autres restent hospitalisées après avoir été blessées par des balles réelles.
Cinq des dix Palestiniens tués seraient des résistants armés, tandis que les cinq autres seraient des civils non armés, selon des habitants.
Au cours du raid, les forces israéliennes à bord d’un véhicule militaire ont écrasé et tué un enfant de 16 ans, selon un groupe de la société civile. Une mère de six enfants, âgée de 61 ans, a également été abattue par la fenêtre de sa chambre alors qu’elle venait de terminer sa prière.
Selon des responsables palestiniens, les forces israéliennes ont également tiré sur des véhicules d’ambulance, les empêchant d’avancer pour soigner les blessés, et ont tiré en direction de l’hôpital public de Jénine des gaz lacrymogènes qui se sont infiltrés dans le service pédiatrique, ce que les responsables israéliens affirment n’ être pas intentionnel.
Retour à 2002
Le plus grand raid militaire israélien sur le camp de réfugiés de Jénine depuis plus de 20 ans a eu lieu peu avant 7 heures du matin (05h00 GMT).
Des forces israéliennes en civil sont entrées dans le camp à bord de véhicules privés portant des plaques d’immatriculation palestiniennes, comme le montrent des vidéos de surveillance.
Peu après, ils ont été soutenus par des dizaines de soldats qui se sont faufilés dans le camp à bord d’un grand camion d’une compagnie laitière palestinienne.
Lors d’une opération conjointe avec les services de renseignement et la police israéliens, l’armée a encerclé une maison dans le quartier Joret al-Dahab - où trois résistants s’étaient réfugiés - et a lancé une attaque surprise à l’aide de missiles antichars et d’explosifs.
La maison a été presque entièrement détruite et a pris feu. Les hommes qui s’y trouvaient - Mohammad Soboh, 30 ans, et les frères Nour al-Din et Mohammad Ghneim, respectivement 28 et 25 ans - ont été tués.
Un autre combattant, Izz al-Din Salahat, 21 ans, a été abattu en haut de la rue de la maison, alors qu’il tirait sur les soldats.
Des affrontements armés avec des combattants palestiniens ont eu lieu pendant plusieurs heures avant que les forces israéliennes ne se retirent, laissant derrière elles une traînée de sang et de destruction - et un lourd tribut pour les résidents.
"En 2002, 50 Palestiniens ont été assassinés en 13 jours. Jeudi, nous avons eu neuf martyrs en un jour", a déclaré à Al Jazeera Mahmoud Salawneh, un résident de 28 ans.
"Ils nous ont fait basculer dans l’horreur. L’armée tirait à gauche et à droite - tout le monde était une cible - des enfants aux personnes âgées", a-t-il déclaré.
L’armée israélienne a justifié l’opération en affirmant que le raid était prévu pour arrêter des combattants du Jihad islamique.
Le camp de réfugiés de Jénine abrite plus de 22 000 Palestiniens qui ont été expulsés de leur maison d’origine en 1948 lors de la Nakba, ou catastrophe - le nettoyage ethnique de la Palestine par les milices sionistes pour créer l’État d’Israël.
Le 9 avril 2002, lors du deuxième soulèvement massif des Palestiniens (Intifada), les forces israéliennes, soutenues par des avions de chasse, ont envahi le camp avec plus de 150 chars blindés et bulldozers. Une bataille avec les combattants de la résistance s’est ensuivie pendant plus de 10 jours, au cours de laquelle au moins 52 civils et combattants palestiniens, et 23 soldats israéliens, ont été tués.
Au cours de ce raid, l’armée israélienne a détruit plus de 400 maisons et gravement endommagé des centaines d’autres, déplaçant plus d’un quart de la population du camp, qui a ensuite été reconstruit par les Nations unies.
"Cela m’a ramené 20 ans en arrière - à l’époque où j’étais enfant. C’était comme l’invasion", a déclaré Ahmad Mousa, 35 ans, à Al Jazeera, à propos du raid de jeudi.
Les murs de sa maison et sa voiture sont criblés d’impacts de balles.
"Ils tiraient sur des personnes non armées, détruisaient des biens avec des tracteurs, des grenades Energa", a déclaré Mousa, qui partage sa résidence avec 14 membres de sa famille, dont sept enfants.
Une autre résidente, Diana Qreini qui est mère de cinq enfants, a déclaré que sa maison a été touchée par des balles provenant de trois directions différentes, transperçant son salon et les chambres de ses enfants.
"Je ne me soucie pas de la maison ou de moi-même. Je me soucie de mes enfants. Je suis juste heureuse que mes enfants soient sains et saufs - ils auraient pu être tués", a déclaré la jeune femme de 35 ans d’une voix tendue, tentant de retenir ses larmes.
"Les soldats de l’occupation ont tiré directement sur moi à travers la fenêtre lorsque j’ai essayé de déplacer le rideau", a-t-elle déclaré à Al Jazeera.
Alors que les politiques de l’Autorité palestinienne et d’Israël après la fin de la deuxième Intifada en 2005 ont largement conduit au démantèlement de la résistance armée en Cisjordanie occupée, les combattants de Jénine ont commencé à se réorganiser dans le sillage du soulèvement populaire palestinien de mai 2021, qui a commencé par des manifestations à Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est occupée, et a vu un nouveau bombardement israélien de la bande de Gaza assiégée.
La création des Brigades de Jénine, un petit groupe de combattants inter-factionnels dont l’objectif est de dissuader les forces israéliennes et de protéger le camp, a conduit à l’apparition de groupes similaires dans un certain nombre de villes, de villages et de camps de réfugiés dans le nord de la Cisjordanie occupée, un phénomène qu’Israël tente d’écraser par des raids et des meurtres quasi quotidiens de Palestiniens depuis plus d’un an.
Grave escalade
L’impact de l’attaque de la semaine dernière a été ressenti non seulement dans le camp, mais aussi dans l’ensemble des territoires occupés en 1967.
Des responsables du groupe palestinien Jihad islamique, basé à Gaza, ont déclaré à Al Jazeera qu’ils étaient "prêts à tout" - faisant allusion à la possibilité d’une nouvelle guerre contre la bande de Gaza, qui a subi cinq assauts israéliens de grande envergure au cours des 15 dernières années, qui ont tué des milliers de Palestiniens.
Vendredi, un Palestinien - Khairy Alqam, 21 ans - a mené une attaque armée qui a tué sept Israéliens dans une colonie juive illégale de Jérusalem-Est occupée, construite sur des terres prises aux quartiers palestiniens de Beit Hanina, Hizma et al-Ram.
Samedi, une autre fusillade a eu lieu dans le quartier palestinien de Silwan, à Jérusalem-Est occupée, au cours de laquelle deux Israéliens ont été blessés.
Ces attaques, qui interviennent après une année d’intensification de la violence de l’armée israélienne et des colons, qui a fait de 2022 l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens de Cisjordanie depuis 2005, ont déclenché une série d’événements qui mènent vers une grave escalade.
Depuis jeudi, les forces israéliennes ont tué trois autres Palestiniens à al Ram, Silwan et Hébron - dont un enfant de 17 ans - et en ont blessé des dizaines d’autres par des tirs à balles réelles lors d’affrontements en Cisjordanie.
Ces derniers jours, des colons israéliens ont également mené des dizaines d’agressions contre des Palestiniens les jours derniers à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupées, en tirant et en blessant des résidents à balles réelles et en provoquant des incendies criminels contre des maisons et des voitures.
Depuis le début du mois de janvier 2023, au moins 35 Palestiniens, dont huit enfants, ont été tués par l’armée et les colons israéliens. Vingt d’entre eux se trouvaient dans la région de Jénine ou en étaient originaires.
Le règlement de tir ouvert employé par l’armée israélienne depuis plus d’un an et les projets du nouveau gouvernement d’extrême droite israélien d’armer davantage d’Israéliens à la suite des fusillades de Jérusalem ont conduit la situation au bord du gouffre.
Il reste à voir comment les choses vont se dérouler - mais au camp de réfugiés de Jénine, les résidents ont dit qu’ils étaient préparés.
"Il y aura une invasion du camp - il n’y a aucun doute", a déclaré Salawneh.
"Israël veut faire haïr la résistance dans le camp, mais nous sommes unis comme les doigts de la main ici. Nos combattants sont les plus honorables d’entre nous, et ils sont prêts à continuer à se battre", a-t-il ajouté.
Alaa Abu Qandil, dont la famille est propriétaire de la maison où les combattants se sont réfugiés, a déclaré à Al Jazeera que la destruction de sa maison était "insignifiante lorsqu’il s’agit de la dignité du peuple palestinien, de nos fils et de nos lieux saints".
"Cette occupation attaque tout le monde - qu’il s’agisse de civils ou de combattants. Tout être humain défendra sa maison lorsqu’elle est attaquée, et nos maisons sont sacrées, tout comme la Palestine est sacrée."
Traduction : AFPS