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Face à la censure, l’exigence de la vérité et du Droit
L’État d’Israël est-il coupable du crime d’apartheid vis-à-vis du peuple palestinien ?
Les Palestiniens sont soumis de la part de l’État d’Israël à un processus de dépossession de leurs terres et de leurs ressources, d’enfermement, de destruction de leur société. Et lorsque l’on observe la situation des Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem, de Gaza, d’Israël même, ainsi que dans les camps de réfugiés, le terme d’apartheid s’impose naturellement.
Mais il était particulièrement important, et d’une autre nature, qu’une agence de l’ONU pose la question en termes juridiques. Le crime d’apartheid est en effet un crime contre l’humanité, contre lequel les Nations Unies et leurs États membres ont l’obligation d’agir.
C’est la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO) de l’ONU qui a pris l’initiative de commander à deux juristes de renommée internationale, Richard Falk et Virginia Tilley, une étude sur cette question. Leur rapport, publié sur le site de la CESAO, conclut au terme d’une étude approfondie qu’il existe de très fortes présomptions qu’Israël soit coupable du crime d’apartheid vis-à-vis du peuple palestinien. Mais toute vérité n’est pas bonne à dire : cédant aux pressions d’Israël et des USA, le Secrétaire Général de l’ONU a exigé au bout de quelques jours le retrait de ce rapport. Unanimement respectée, la directrice exécutive de la CESAO, Rima Khalaf, a préféré démissionner.
La publication par nos soins de ce rapport dans sa version française est d’abord un acte de résistance contre cette censure. Nous voulons saluer le courage des deux auteurs, qui ont tenu bon malgré la pression, et la qualité de leur travail qui combine expertise juridique et connaissance approfondie de la situation : Richard Falk a été, de 2008 à 2014, le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens occupés, et il sait de quoi il parle.
Cent ans après la déclaration Balfour, qui marque la responsabilité des grandes puissances dans la situation, la question de la Palestine n’est pas résolue, mais elle est toujours posée, et traîne avec elle un long cortège de violences et d’injustices. Tant qu’elle ne sera pas résolue, tant que le peuple palestinien n’aura pas pu exercer son droit à l’autodétermination, la violence et l’injustice continueront.
Ce n’est pas en cachant les problèmes qu’on les résout. Il appartient aux Nations Unies et à l’ensemble de ses États membres, dont la France, de prendre leurs responsabilités en imposant le droit.
L’AFPS et l’AURDIP s’honorent de parrainer la visite de Richard Falk en France, et remercient tout spécialement la Fête de l’Humanité de lui donner l’occasion de s’exprimer.
Ivar Ekeland
Vice-président de l’AURDIP (Association des Universitaires
pour le Respect du Droit International en Palestine)
Bertrand Heilbronn
Président de l’AFPS (Association France Palestine Solidarité)
Préface à la 2e édition
L’apartheid israélien : une affaire internationale qui nous concerne tous
Cette deuxième édition en français du rapport de Richard Falk et Virginia Tilley intervient quelques mois après le vote, par le parlement israélien, de la loi fondamentale « Israël, État-nation du peuple juif », le 19 juillet 2018.
Cette loi, dont nous reproduisons la traduction à la fin de cette brochure, grave dans l’équivalent de la constitution israélienne les principes de l’apartheid analysés et dénoncés par ce rapport. Elle ne se contente pas de nier les droits des Palestiniens d’Israël et de dégrader le statut de la langue arabe : elle nie le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, et consacre le développement de la colonisation juive comme une « grande cause nationale ». Elle confirme et justifie les analyses et recommandations du rapport Falk-Tilley.
Un deuxième événement, moins connu, est survenu au cours de l’année 2018. Dès le 15 mai, au lendemain du déplacement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, l’État de Palestine a émis sa plainte auprès de la Cour Pénale Internationale.
Parmi les griefs mis en avant dans cette plainte, figure le « régime de séparation institutionnalisé » accompagné de « l’oppression et de la domination systématique des colons israéliens sur les Palestiniens ». Le crime d’apartheid est ici clairement mis entre les mains de la justice internationale.
On ne peut pas, on ne doit pas, pour la loi État-nation comme pour le reste de la situation, se retrancher derrière une prétendue « affaire intérieure à l’État d’Israël ».
L’apartheid est un crime au sens du droit international et, comme le rappellent Richard Falk et Virginia Tilley, les États ont les obligations collectives et individuelles de ne pas reconnaître cette situation comme légale et de contribuer à y mettre fin.
Le régime sud-africain d’apartheid ne serait pas tombé sans une action résolue de l’ONU et de l’ensemble des États.
En tant que citoyens nous ne pouvons pas non plus laisser ces crimes se dérouler devant nos yeux sans agir. Nous intégrons clairement la lutte contre l’apartheid israélien dans nos actions, notamment nos actions BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Nous portons devant le gouvernement et le président de la République l’exigence absolue d’action pour refuser la loi sur l’« État-nation du peuple juif » et pour mettre fin à l’occupation, à la colonisation, à l’apartheid, au processus insupportable de dépossession et de nettoyage ethnique que subit le peuple palestinien.
Il n’y aura pas de paix sans reconnaissance, par Israël, des Palestiniens et de leurs droits. Il n’y aura pas de paix tant qu’il ne sera pas mis fin à ce régime de domination et d’apartheid. Le rapport Falk-Tilley nous le rappelle bien opportunément, et nous encourage à agir.
Bertrand Heilbronn
Président de l’AFPS (Association France Palestine Solidarité)
Joseph Oesterlé
Président de l’AURDIP (Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine)
Préface de la traduction française par Richard Falk et Virginia Tilley
Il n’était pas prévu que la publication de ce rapport par la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO) des Nations Unies le 15 mars 2017 soit un événement politique tumultueux. Après tout, il s’agissait d’une étude universitaire écrite par deux chercheurs, dont le contenu avait été révisé par trois évaluateurs qui étaient des chercheurs de renommée internationale. En tant qu’auteurs, nous nous attendions à ce que notre approche suscite de l’intérêt au sein des universités et, avec un peu de chance, chez les militants de la société civile dont beaucoup pensaient depuis longtemps qu’Israël s’était rendu coupable d’ « apartheid » dans son attitude vis-à-vis des Palestiniens, particulièrement ceux vivant sous l’occupation. Ce qu’ils n’avaient pas était une étude détaillée appuyant leur impression par des preuves et une analyse, et encore moins une étude bénéficiant de l’imprimatur des Nations Unies. Nous étions conscients que le caractère sensible de l’étude stimulerait les protagonistes des deux côtés du conflit. Mais nous pensions qu’en définitive cette attention se manifesterait à l’intérieur des forums des Nations Unies, comme c’est le cas dans beaucoup de controverses.
Pourtant, et à certains égards heureusement, nous nous trompions complètement. La publication du rapport ouvrit presque immédiatement une boite de Pandore de réponses. Tout commença avec l’ambassadeur américain aux Nations Unies, Nikki Haley, qui déclencha une attaque sévère contre le rapport et particulièrement contre ses auteurs, couplée avec la demande que le Secrétaire général récemment élu, Antonio Guterres, prenne des mesures pour rejeter le rapport comme inacceptable, prétendument incompatible avec la position des Nations Unies sur l’attitude israélienne vis-à-vis des Palestiniens. Avec une vitesse inhabituelle, compte tenu des habitudes bureaucratiques des Nations Unies, le Secrétaire général informa la CESAO que le rapport devait être retiré sur le champ de son site web. La directrice exécutive de la CESAO, Rima Khalaf, démissionna plutôt que de suivre la directive de New York, expliquant à Guterres ses motifs dans une lettre émouvante. C’est cette suite de développements qui a donné à notre rapport dix fois plus d’attention internationale qu’il n’aurait autrement reçue s’il avait été traité d’une manière appropriée et responsable, c’est-à-dire comme une contribution sérieuse à la littérature universitaire sur une question internationale controversée qui mérite certainement des discussions et des débats, et selon nous, des actions.
Le contexte plus large qui doit être pris en compte est l’échec à trouver une solution au conflit 70 ans après que l’Assemblée générale des Nations Unies a proposé un partage et 50 ans après qu’Israël a gagné le contrôle des territoires palestiniens de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza. La diplomatie d’Oslo qui a été mise en avant comme la voie vers une issue pacifique qui permettrait aux deux peuples de vivre dans une paix durable s’est avérée une chimère, particulièrement coûteuse pour les Palestiniens. Israël continue à empiéter sur le territoire réservé pour un État palestinien, étendant sans relâche son archipel illégal de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, construisant un réseau de routes pour « Israéliens seulement » et un mur de séparation illégal qui crée toute une gamme d’enclaves de sécurité. Pendant ces décennies, les Palestiniens ont souffert d’une variété de mauvais traitements quotidiens, qu’ils vivent sous occupation, comme les résidents de Jérusalem Est, dans des camps de réfugiés, comme cibles d’attaques périodiques massives à Gaza, ou comme minorité discriminée en Israël. L’affirmation centrale de notre rapport est que cet ensemble de conditions correspond légalement à celles de l’apartheid, tel que ce crime international est défini dans la Convention de 1973 sur la prévention et la punition du crime d’apartheid et dans l’article 7 du Statut de Rome établissant le cadre légal de la Cour pénale internationale.
Nous pensons que notre rapport répond de fait à la situation actuelle dans laquelle la diplomatie paraît gelée et où il ne semble y avoir aucun espoir de mettre fin au calvaire palestinien sans de nouvelles formes de résistance militante de la part des Palestiniens et du mouvement global de solidarité qui se renforce chaque jour davantage. Nous disons, en fait, avec le soutien du droit international, que continuer maintenant à appeler une « solution à deux états » est devenu une duperie cruelle et qu’il est totalement insuffisant de demander « la fin de l’occupation ». Nous pensons au contraire que la position politique appropriée au sein des Nations Unies, de la société civile, et partout parmi les gens de bonne volonté, est de demander « la fin de l’apartheid ».
C’est seulement en démantelant ce régime d’apartheid qui est fondé sur une structure de domination raciale d’Israël sur le peuple palestinien délibérément fragmenté que peut être ouverte la voie pour une diplomatie crédible, qui vise enfin à réaliser une paix durable pour les deux peuples. Certains disent que notre analyse est un appel à la fin de l’État d’Israël. Ceci méconnaît les implications de la fin de l’apartheid. Exactement comme l’Afrique du Sud s’est perpétué comme État malgré le démantèlement de l’apartheid, Israël se perpétuera et rien dans notre étude ne menace cette existence. Ce sur quoi notre analyse juridique insiste, c’est qu’Israël devienne un état légitime en se libérant des politiques, des pratiques et des stigmates de l’apartheid.
Nous espérons que la société civile européenne sera réceptive à notre analyse et fera sa part en mettant en oeuvre les recommandations que nous proposons. Il semblerait que l’Europe a une opportunité d’exercer une pression sur ses institutions régionales et ses gouvernements pour adopter une approche plus objective à la lutte du peuple palestinien qui a été abandonné bien trop longtemps, à se languir dans des camps de réfugiés et dans l’exil, ou à constituer les cibles complètement vulnérables d’une guerre aveugle à Gaza, ou à survivre sous une occupation opprimante ou comme résidents de troisième classe de Jérusalem ou comme citoyens discriminés d’Israël. La reconnaissance que le peuple palestinien en totalité doit être émancipé de l’apartheid donne une cohérence et une signification particulières à notre évaluation des politiques et des pratiques israéliennes.
Finalement, nous admettons qu’en tant qu’auteurs, nous ne possédons que la capacité de proposer une analyse juridique fondée sur notre interprétation des preuves. Cette analyse n’est pas la sorte de jugement légal faisant autorité qui peut être fournie par une institution juridique internationale régulièrement constituée, comme la Cour internationale de justice ou le Cour pénale internationale. Nous voudrions encourager l’Assemblée générale des Nations Unies à obtenir un tel jugement faisant autorité aussi vite que possible. Il est aussi faisable que des cours nationales, agissant sur la base d’une juridiction universelle, examinent dans des circonstances appropriées si Israël est coupable du crime de l’apartheid, si des demandes correctement étayées pour un secours juridique sont faites par le peuple palestinien ou en son nom.
Nous serons heureux d’échanger avec les lecteurs de la traduction française de ce rapport, qui pourraient avoir des questions ou des désaccords avec notre cadre conceptuel et notre analyse juridique.
Richard Falk & Virginia Tilley
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La version originale du rapport en anglais est disponible ici