Le film se nomme Le Téléphone Arabe, et il sort le 25 juillet. La production est franco-belgo-israélo-palestinienne, et le réalisateur, Sameh Zoabi, est israélien. Bien que communauté discriminée, mis en marge de la société israélienne, c’est sous l’angle de l’humour qu’il a choisi de traiter de cette épineuse question, si peu relayée.
Le film nous plonge dans la vie de Jawdat, un jeune Arabe israélien, qui voudrait tout simplement avoir une vie "normale" : s’amuser entre potes, passer des heures à discuter sur son portable, et surtout, trouver l’amour. Mais c’est la galère : il multiplie les rendez-vous ratés avec des jeunes filles de toutes confessions, et tente désespérément de réussir son test d’hébreu pour entrer à l’université et enfin quitter son village. Les choses se compliquent quand Salem, son râleur de père, veut l’enrôler dans son combat contre l’antenne installée dans un champ voisin par la compagnie israélienne de téléphone. Salem les soupçonne d’irradier les villageois et sa récolte d’olives...
Le film a reçu l’Antigone d’Or au 33ème Cinemed de Montpellier, en 2011.
Pour ceux qui s’interrogent encore sur le film, voici une interview du réalisateur :
Comment est née l’idée du film ?
Lorsque j’ai commencé à voyager en dehors d’Israël, en particulier aux États-Unis, j’ai réalisé que beaucoup de gens n’avaient jamais entendu parler des Palestiniens vivant en Israël, des Palestiniens qui avaient la nationalité israélienne. Ces gens, appelés aussi Arabes-israéliens, sont les autochtones restés après 1948 et à qui on a donné un passeport israélien. A chaque fois, les gens pensent que si vous venez d’Israël, vous êtes Juif. J’ai dû ainsi souvent expliquer mon histoire, et d’où je viens. J’avais donc très envie d’écrire un film traitant de la réalité dans laquelle j’ai grandi. Très naturellement, j’ai choisi de raconter une histoire ayant lieu dans ma ville natale et inspirée par des personnes et des lieux réels. En tant que réalisateur, mon approche est de faire des films à la fois politiquement et socialement engagés, mais aussi distrayants, car je pense que c’est une fonction essentielle du cinéma.
Jawdat est comme beaucoup de jeunes, en conflit avec son père, toujours fourré avec ses copains, et attiré par les filles de son âge. Dans le même temps, toutes ces relations renvoient à la situation dans laquelle il vit : le quotidien d’un Arabe en Israël.
20% de la population israélienne est palestinienne et vit dans des villages et villes ghettos à travers le pays. Nous grandissons au sein de notre propre communauté, avec nos propres écoles, lesquelles ne sont pas intégrées à la société israélienne au sens large. Après le lycée, beaucoup de jeunes gens entrent à l’université ou commencent à travailler. Et c’est la première fois qu’ils vivent avec la population juive israélienne. Quitter la maison est une période de transition majeure dans la vie des jeunes adultes, dans toutes les cultures, mais elle est particulièrement singulière pour les Palestiniens-Israéliens qui prennent alors pleinement conscience de leur statut de citoyen de seconde zone. Dans les médias, la lutte pour l’égalité des droits est éclipsée par la géopolitique régionale. Il est difficile d’éviter de parler politique au Moyen-Orient mais je pense que tous les jeunes à travers le monde cherchent les mêmes choses. C’est ce qui rend l’histoire du film universelle. Mais la réalité politique dans laquelle évoluent les personnages de mon film ajoute une autre dimension à l’histoire.
La lutte contre l’antenne symbolise-t-elle l’attachement à la terre et l’usage du téléphone portable le passage des frontières ?
C’est un problème complexe en effet. L’antenne est le symbole de l’oppression, celle d’un peuple en souffrance qui se retient à sa terre afin de survivre. Ce peuple ce sont les Palestiniens, qui ont été traumatisés par les événements de 48. L’idée que vous pouvez perdre votre terre et votre maison et devenir réfugié du jour au lendemain, cela est terrifiant pour n’importe quel peuple. Plus un peuple se sent opprimé et plus il s’accrochera à sa terre. Cela est particulièrement vrai pour l’ancienne génération. A l’opposé, pour la jeune génération, l’antenne n’est pas tant une menace qu’une porte ouverte sur le monde. Elle permet de s’ouvrir à un éventail d’opportunités et de possibilités ; elle permet de traverser les frontières. Ainsi, Jawdat, dans le film, essaye de rencontrer une fille de Ramallah grâce à son téléphone portable. La technologie a créé un fossé intergénérationnel.
Est-ce que la jeune génération parviendra à ses fins ? Peut-elle le faire en ignorant la génération précédente ? Mon sentiment est qu’il n’est pas possible de mûrir et de traverser les frontières si l’on n’a pas au préalable compris son identité et ses racines.
Les différences de langue (arabe/hébreu) marquent-elles les limites de l’intégration des Arabes en Israël ?
Effectivement, avoir un accent arabe en hébreu crée une barrière pouvant limiter, voire empêcher, toute possibilité d’intégration dans certains domaines de la société israélienne.
Au risque de paraître simpliste, je dirais que nous venons tous au monde avec l’idée que tout est possible et que nous sommes tous les mêmes. Ça c’est Jawdat dans le film. Il croit que "l’amour n’a pas de frontières".
Mais d’une façon ou d’une autre, la réalité nous rattrape. Musulmans, Chrétiens, Juifs, Blancs, Noirs, de gauche, de droite, toutes ces définitions créent des frontières entre nous. Dans le film, grâce aux femmes, Jawdat franchit certaines barrières et avec cela il perd sa naïveté et devient plus conscient de la réalité qui l’entoure.
Comme dans votre court-métrage « Be Quiet », pourquoi choisissez-vous le ton de la dérision pour aborder ce contexte particulier ?
Je pense qu’utiliser la comédie pour traiter de sujets sérieux est plus efficace. L’humour est un dénominateur commun et grâce à cela il permet à l’histoire de sortir de son particularisme pour atteindre une forme d’universalité. Par ailleurs, j’ai grandi dans un village et une famille possédant un sens de l’humour et de la dérision très développé. L’humour fait partie de notre quotidien. Je voulais montrer cet aspect de notre société que l’on ne voit pas souvent.
Alors que nous sommes dans la comédie, vous restez réaliste ?
Le film est réaliste en effet et je pense que la comédie peut révéler la réalité. Je pense aussi qu’étant donné le climat politique difficile, l’humour s’est développé comme antidote contre la tension politique anxiogène entre Israël et Palestine.
Où avez-vous tourné ?
Dans mon village natal Iksal et près de la ville Daburiya – les deux étant juste à côté de la ville de Nazareth.
Comment s’est constitué le casting ?
Le casting est la partie la plus longue de mon processus de réalisation car je mélange toujours acteurs professionnels et amateurs. Dans ce film, la majorité des acteurs ne sont pas des professionnels. Je passe ainsi un temps fou à chercher les comédiens qui sont presque exactement les personnages décrits dans le script. C’est un mélange de chance et de temps.
À la fin, le père de Jawdat dit : « On a perdu une bataille, pas la guerre. » De quelle guerre parlez-vous ?
La guerre pour que votre voix soit entendue alors que d’autres œuvrent à la faire taire !
Le Téléphone arabe, le 25 juillet au cinéma.