En l’état actuel du droit français, le
crime de guerre est un crime
« comme les autres », sa spécificité
n’est pas reconnue et les incriminations
sont dites couvertes par le droit
commun. Ainsi, il n’existe aucune disposition
ou section spécifique relative aux
crimes de guerre, que ce soit dans le code
pénal ou dans le code de justice militaire.
La question qui se pose est donc de savoir
quelle est la meilleure stratégie juridique
pour combler ces lacunes et reconnaître
enfin la spécificité des crimes de guerre.
Un examen du droit français actuel et des
différentes options fait apparaître que la
méthode de l’incorporation directe, qui
consiste à créer une disposition spécifique
dans le code pénal reflétant parfaitement
l’article 8 du Statut ainsi que les dispositions
des Conventions de Genève de 1949
et de leurs protocoles additionnels (dans
la mesure où ces derniers contiennent des
incriminations supplémentaires par rapport
à l’article 8), est incontestablement la
meilleure méthode.
Le système français de répression des crimes
de guerre est caractérisé par une absence
de spécificité des crimes de guerre dans le
code pénal français, la dispersion des définitions
de ces infractions et la disparité
de leur mode de répression.
Le code pénal français ne reconnaît
pas les crimes de guerre
en tant que tels ; en revanche,
il prend en considération les
crimes contre l’humanité commis
en temps de guerre. Il
convient d’examiner la compatibilité
avec le Statut de la
Cour pénale internationale dans
ces deux cas de figure.
I- LES CRIMES DE GUERRE
– Les sources françaises
Il y a trois sources juridiques
permettant la répression des
crimes de guerre en France. Il
s’agit du code pénal, du code
de justice militaire et du Règlement
de discipline générale dans les armées.
Mais il n’existe pas dans le droit pénal français
actuel de titre spécial qui englobe les
crimes de guerre visés par le Statut de
Rome.
La répression des crimes de guerre résulte
donc de dispositions ordinaires contenues
dans le code pénal, incriminant par exemple
l’homicide intentionnel, la torture, le viol
ou le fait de porter atteinte à l’intégrité
physique de diverses manières. Certaines
interdictions sont définies et réprimées par
le code de justice militaire, notamment
aux articles 427, 428, 429, 463 et 464 [1].
D’autres, enfin, ressortissent du Règlement de discipline générale dans les armées, institué
par le décret du 1er octobre 1966 [2] et remplacé par le décret du 28 juillet
1975 [3], qui prévoit qu’un militaire au combat
doit respecter « les règles de droit international
applicables aux conflits armés et aux
conventions internationales régulièrement
ratifiées ou approuvées » (art 7 à 9 bis) et
énumère un certain nombre de prescriptions - par exemple, « traiter avec humanité
sans distinction toutes les personnes mises hors
combat »- et d’interdictions - par exemple,
« refuser une reddition sans condition ou
déclarer qu’il ne sera pas fait de quartier. »
La portée juridique de ce Règlement de
discipline générale dans les armées est restreinte
puisqu’il s’agit uniquement d’un
texte disciplinaire. Certains auteurs et responsables
politiques estiment cependant
qu’il pourrait servir de base à une répression
générale des militaires français engagés
dans un conflit armé et qui se seraient
rendus coupables d’infractions graves au
sens du droit international, puisque selon
l’article 465 du code de justice militaire,
en temps de guerre, « tout militaire qui
viole une consigne générale donnée à la
troupe peut être condamné à une peine
maximum de 5 ans d’emprisonnement. » [4]
La durée maximale d’emprisonnement
prévu par ce texte montre suffisamment
qu’il n’a pas été conçu pour servir de base
à la répression pénale des crimes de guerre.
En outre, les règles d’interprétation stricte
qui prévalent en matière pénale ne permettraient
certainement pas au juge de se
substituer au silence du législateur, tant
sur la définition précise des crimes que
sur la procédure de répression.
- Comparaison avec le Statut de
Rome
– Elément matériel
Les incriminations françaises existantes
disséminées dans le code pénal, le code
de justice militaire et le Règlement général
de discipline des armées n’englobent
absolument pas tous les crimes prévus par
le Statut de Rome. Certaines des incriminations
telles que l’assassinat, la torture
ou le viol, le vol ou les destructions sont
effectivement couvertes par les dispositions ordinaires du code pénal. Mais ces dispositions
du code pénal ne permettent pas
d’appréhender les caractéristiques spécifiques
des crimes de guerre. En effet, pour
constituer des crimes de guerre, la plupart
de ces actes doivent être commis dans
le cadre d’un conflit armé et être en rapport
avec le conflit : l’acte est commis par
un membre des forces armées d’une partie
contre un membre des forces armées
adverses ou un civil de l’autre partie au
conflit, ou plus précisément, contre une
personne ou un bien « protégés » au sens,
notamment, des Conventions de Genève
et des Protocoles Additionnels de 1977.
Le droit pénal français actuel permet donc
de réprimer des actes individuels isolés,
mais il ne contient pas les dispositions et
les définitions permettant de prendre en
compte la spécificité des crimes de guerre
contenus dans le Statut de la Cour pénale
internationale. Ceci pose un problème
dans la mesure où, en vertu de ce Statut,
la Cour n’a pas vocation à juger des actes
individuels isolés. Le Statut prend en compte
le fait que ces crimes puissent s’inscrire
dans le cadre d’un plan ou d’une politique,
ou qu’ils fassent partie d’une série de crimes
analogues commis sur une grande échelle [5].
– Qualité de l’auteur
Pour être en conformité avec le Statut de
la Cour pénale internationale, le droit français
devrait permettre de poursuivre tous
les auteurs de crimes de guerre, qu’ils soient
militaires ou civils. Or, le code de justice
militaire et le Règlement de discipline générale
dans les armées ne concernent que les
militaires français. Ainsi, le droit pénal
français actuel ne permet pas de couvrir
l’ensemble des personnes qui devraient
pouvoir être condamnées pour crimes de
guerre.
II - LES « CRIMES DE GUERRE AGGRAVÉS » OU CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ COMMIS EN TEMPS DE GUERRE
Le droit pénal français n’utilise pas le terme
de crime de guerre. Toutefois le législateur
français a réservé un sort particulier aux
actes visés par l’article 212-1 du code pénal
concernant les crimes contre l’humanité
« lorsqu’ils sont commis en temps de guerre. » [6]
Mais dans ce cas, l’article 212-2 exige que
ces crimes soient commis « en exécution
d’un plan concerté contre ceux qui combattent
le système idéologique au nom duquel
sont perpétrés des crimes contre l’humanité. »
- Comparaison avec le Statut de Rome
– Elément matériel
L’article 212-2, fait référence à la définition
de crimes contre l’humanité. Les actes
visés ne concernent que la déportation, la
réduction en esclavage, la pratique massive
et systématique d’exécutions sommaires,
d’enlèvements de personnes suivis
de leur disparition, de la torture ou d’actes
inhumains. La liste du code pénal ne couvre
donc pas tous les actes visés par l’article 8
du Statut de Rome.
– Exigence d’un plan concerté
L’existence d’un plan concerté contenu
dans le code pénal constitue l’élément central
de l’incrimination. Selon l’article 8(1)
du Statut de Rome, « la Cour a compétence
à l’égard des crimes de guerre lorsque ces
crimes s’inscrivent dans le cadre d’un plan
ou une politique ou lorsqu’ils font partie
d’une série de crimes analogues commis sur
une grande échelle ».
La notion française de plan concerté recoupe
sans doute la notion de plan ou politique
prévue par le Statut de la Cour [7]. Mais
contrairement au Statut de la Cour, la définition
française ne permet pas de poursuivre
des crimes « commis sur une grande
échelle », même en dehors d’un plan
concerté.
– Circonstances
1. Le code pénal français utilise l’expression
« en temps de guerre » pour limiter
la définition de ces crimes. Cette formulation
est ambiguë car elle ne donne aucune
précision sur la nature du conflit concerné.
L’article 212-2 vise t-il uniquement les
crimes commis lors d’un conflit armé international
ou vise-t-il également le cas des
conflits armés non internationaux comme
le fait le Statut de Rome ?
2. Durant ce « temps de guerre », le code
pénal français limite encore la qualification
de ces crimes. Seuls les actes commis à
l’encontre des personnes « qui combattent
le système idéologique au nom duquel sont
perpétrés des crimes contre l’humanité » sont
couverts par l’article 212-2 du code pénal.
Ce faisant, cet article exclut les crimes commis
contre les personnes civils et autres
personnes protégées par le droit des conflits
armés.
L’examen de la législation française applicable
à la répression des crimes de guerre,
ainsi que l’étude de la jurisprudence disponible
à ce sujet dans notre pays conduisent
aux conclusions suivantes.
Tout d’abord, la meilleure solution
concernant l’adaptation de la législation
pénale française aux exigences du Statut
de la Cour pénale internationale consiste
à :
– adopter en droit français un texte spécifique
relatif aux crimes de guerre. Celui-ci
constituerait une section spécifique du
code pénal incriminant tous les crimes de
guerre visés par l’article 8 du Statut de
Rome. Cette section devrait également
faire référence aux Conventions de Genève
de 1949 et aux Protocoles additionnels de
1977. Ce texte devrait notamment inclure
les dispositions du Protocole n°1 de 1977
définissant les crimes de guerre, qui lient
la France mais qui ne sont pas incluses dans le Statut de la Cour pénale internationale ;
– Amender l’article 689 du code de procédure
pénale en créant deux articles, 689-10
et 689-11, incluant les Conventions de
Genève de 1949 et les Protocoles additionnels
de 1977 (article 689-10) d’une
part, et le Statut de Rome de 1998 créant
la Cour pénale internationale (689-11)
d’autre part, dans la liste des conventions
internationales au titre desquelles les juridictions
françaises sont compétentes.
Ensuite, il ne serait pas sain que le législateur
laisse délibérément place au flou, à la
contestation et à l’arbitraire sur un sujet
aussi sensible que la répression des crimes
de guerre.
Enfin, il ne serait pas admissible que la
France, qui a refusé de reconnaître la compétence
de la Cour pénale internationale
pour les crimes de guerre pendant sept
ans, en mettant en oeuvre la possibilité
ouverte par l’article 124 du Statut, ne dispose
pas pendant cette période d’un arsenal
juridique irréprochable pour juger au
niveau national de tels crimes.
CPI Déclaration interprétative de la France
– 1. Les dispositions du Statut de la Cour pénale internationale ne font pas
obstacle à l’exercice par la France de son droit naturel de légitime défense,
et ce conformément à l’article 51 de la Charte.
– 2. Les dispositions de l’article 8 du Statut, en particulier celles du paragraphe 2, concernent exclusivement les armements, classiques et ne sauraient
ni réglementer ni interdire l’emploi éventuel de l’arme nucléaire ni porter
préjudice aux autres règles du droit international applicables à d’autres
armes, nécessaires à l’exercice par la France de son droit naturel de légitime
défense, à moins que l’arme nucléaire où ces autres armes ne fassent l’objet
dans l’avenir d’une interdiction générale et ne soient inscrites dans une annexe,
au Statut, par voie d’amendement adopté selon les dispositions des articles
121 et 123.
– 3. Le Gouvernement de la République française considère que l’expression
« conflit armé » dans l’article 8, paragraphes 2 b) et c), d’elle-même et dans
son contexte, indique une situation d’un genre qui ne comprend pas la commission
de crimes ordinaires, y compris les actes de terrorisme, qu’ils soient
collectifs ou isolés.
– 4. La situation à laquelle les dispositions de l’article 8, paragraphe 2 b)
(xxiii) du Statut font référence ne fait pas obstacle au lancement par la
France d’attaques contre des objectifs considérés comme des objectifs militaires
en vertu du droit international humanitaire..
– 5. Le Gouvernement de la République française déclare que l’expression «
avantage militaire » à l’article 8 paragraphe 2 b) (iv) désigne l’avantage
attendu de l’ensemble de l’attaque et non de parties isolées ou particulières
de l’attaque.
– 6. Le Gouvernement de la République française déclare qu’un zone spécifique
peut être considérée comme un « objectif militaire », tel qu’évoqué dans
l’ensemble du paragraphe 2 b) de l’article 8, si, à cause de sa situation ou de
sa nature, de son utilisation ou de son emplacement, sa destruction totale
ou partielle, sa capture ou sa neutralisation, compte tenu des circonstances
du moment, offre un avantage militaire décisif.
– 7. Le Gouvernement de la République française considère que le risque
de dommages à l’environnement naturel résultant de l’utilisation des méthodes
et moyens de guerre, tel qu’il découle des dispositions de l’article 8 paragraphe
2 b) (iv), doit être analysé objectivement sur la base de l’information disponible
au moment où il est apprécié.
Le Gouvernement de la République française considère que les dispositions
de l’article 8 paragraphe 2 b) (ii) et (v) ne visent pas les éventuels dommages
collatéraux résultant des attaques dirigées contre des objectifs militaires.
Sanctionner en France les crimes de guerre
La haine et le rejet de l’Autre s’ancrent au coeur des peuples, hypothéquant
encore un peu plus les espoirs de paix mais ouvrant la
voie, aussi, aux pires dérèglements. Déjà, on voit fleurir les remugles
les plus odieux, appelant au meurtre, et se renvoyant, en miroir, la
volonté de détruire. C’est en fait, le monde entier qui est pris en otage
par un processus qui n’a rien de fatal.
Il n’est plus temps de commenter à l’infini les enchaînements qui ont
conduit à une telle situation. Le gouvernement israélien peut certes
faire valoir que trois de ses soldats ont été enlevés et que sa population
civile subit, au nord et au sud de son territoire, des attaques
indiscriminées. Autant le dire nettement, ces agressions contre des
villes israéliennes relèvent du crime de guerre avéré.
Nous n’ignorons pas, non plus, le jeu détestable de la Syrie et de l’Iran,
pays tous deux sous le joug de régimes insupportables pour leurs peuples
avant même que d’en condamner les nuisances pour les autres.
Aujourd’hui, au Liban et à Gaza, l’action du gouvernement israélien
le conduit à s’en prendre de manière indiscriminée et massive aux
populations civiles. Rien ne peut justifier la destruction d’usines
électriques, de productions alimentaires, d’industries, des routes, des
ponts, des ports, etc.
Rien ne peut justifier les pertes infligées aux populations civiles qui
ne sont plus des effets collatéraux d’actions de guerre mais traduisent
une volonté délibérée de punir collectivement une population,
y compris par le meurtre. Ce sont là des crimes de guerre d’une
exceptionnelle gravité, sciemment organisés par un gouvernement
démocratique.
En refusant la mise en oeuvre immédiate d’un cessez-le-feu, pourtant
impératif, la communauté internationale méprise le droit à la
vie de centaines de milliers de personnes. Cette attitude ne doit pas
empêcher que les victimes de ces agissements soient entendues et
que les auteurs de tous les crimes de guerre soient sanctionnés. C’est
un des moyens par lesquels, nous pouvons faire prévaloir le droit sur
la force et conjurer peut-être d’autres violences aveugles.
C’est pourquoi, la LDH et la FIDH apporteront, notamment aux ressortissants
franco-libanais, l’assistance nécessaire pour faire valoir
leurs droits en France contre les responsables des dommages qu’ils
ont pu subir.
– Communiqué de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et
de la fédération internationale des ligues
des droits de l’homme (FIDH) du 31 juillet 2006.