Photo : funérailles, Jénine, Cisjordanie, 26/01/2023. Crédit Activestills
La soirée du 25 janvier s’est probablement terminée comme toutes les autres pour Abdullah Marwan Juma’a Mousa, 17 ans, et Wasim Amjad Aref Abu Jaes, 16 ans. Les deux garçons vivaient dans le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, et comme tous les Palestiniens de la région, ils étaient probablement très conscients de l’escalade de la violence de ces derniers mois.
L’année dernière a été l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis 2005, avec au moins 146 morts, dont 36 enfants. Un bon tiers des jeunes Palestiniens assassinés en 2022 étaient originaires de Jénine, ce qui signifie qu’il est probable qu’Abdullah ou Wasim connaissait au moins l’un d’entre eux.
Il ne fait aucun doute que les garçons avaient connaissance du meurtre de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh dans le camp de réfugiés de Jénine en mai dernier. Après tout, c’est l’un des rares cas, où un Palestinien tué par les forces israéliennes a reçu une attention internationale.
En effet, la ville de Jénine où vivaient les garçons - située dans une partie de la Cisjordanie connue sous le nom de « zone A », où l’Autorité palestinienne est censée exercer un contrôle total sur la sécurité - est depuis longtemps une cible privilégiée des raids et des violences israéliens, régulièrement justifiés par des déclarations générales selon lesquelles il s’agit d’un "foyer de terrorisme."
Les garçons, qui avaient peut-être fini leur soirée en compagnie de leur famille et de leurs amis, ou à rattraper leurs devoirs, n’avaient aucune idée de ce qui les attendait.
Tragiquement, avant midi le lendemain midi, ils avaient tous deux été tués.
Les amis d’Abdullah ont appelé une ambulance après qu’il ait été abattu par un sniper israélien, mais les forces israéliennes ont d’abord empêché le personnel médical de pénétrer dans la zone. Il a été déclaré mort à son arrivée à l’hôpital.
Wasim a probablement été tué par une balle, mais selon Defense for Children International, il a été écrasé par un véhicule militaire israélien après avoir été abattu. Il a été laissé avec des blessures à la tête si graves que le personnel médical n’a même pas pu dire s’il avait été abattu.
Un peu plus d’un mois après le début de l’année 2023, 41 Palestiniens ont déjà été tués, dont de nombreux enfants. Des rapports indiquent que certains enfants portent même des lettres d’adieu dans leurs poches, anticipant leur propre mort prématurée.
Aujourd’hui, chaque jeune Palestinien a grandi en ne connaissant rien d’autre qu’une vie d’occupation, de blocus, d’injustice, de violence, de restriction et d’humiliation. Ils ne savent aussi que trop bien que la communauté internationale les regarde, parfois en pleurant et en condamnant, mais sans agir.
Ce n’est une vie pour personne, et encore moins pour un enfant.
Comme pour tous les Palestiniens tués par les forces israéliennes, que ce soit dans les territoires occupés ou ailleurs, quel que soit leur âge ou leur sexe, Israël et ses alliés considèrent que les Palestiniens sont si dangereux par nature, que le recours à la force meurtrière est la seule option.
Même après le raid brutal de Jénine, largement couvert par les médias internationaux, de nombreux rapports ont renforcé le discours d’Israël. Certains articles ont immédiatement reconnu que la plupart des morts étaient des militants méritant le meurtre extrajudiciaire, et le communiqué de presse du gouvernement américain sur l’événement l’a qualifié d’opération "antiterroriste." Dans le même temps, les États-Unis et leurs alliés ont accordé à l’Ukraine des dizaines de milliards de dollars d’aide militaire pour repousser l’occupation russe, saluant les "gens ordinaires [qui] prennent les armes et font preuve d’une bravoure éclatante face à l’agression russe."
Tout cela en dépit du fait que le gouvernement israélien a l’habitude d’occulter comment et pourquoi les Palestiniens sont tués. Dans le cas de la femme âgée tuée lors du raid, Majida Obaid, le porte-parole d’Israël a seulement déclaré : "Nous ne savons pas encore à qui attribuer la responsabilité, qui a tiré et où elle se trouvait."
Peut-être accuseront-ils les Palestiniens d’avoir tué Obaid, comme ils l’ont fait initialement avec Abu Akleh ; peut-être mettront-ils cela sur le compte d’une "défaillance morale et d’une mauvaise prise de décision" de la part des soldats israéliens, comme ils l’ont fait avec Omar Assad, 78 ans ; peut-être déduiront-ils que la femme de 61 ans a simplement été victime de "tirs non intentionnels visant des hommes armés" comme ils l’ont fait lorsque l’armée israélienne a tué Jana Zakarneh, 16 ans.
Les autorités israéliennes pourraient même finir par s’excuser, comme elles l’ont fait lorsque leur police a tiré sur Iyad Halak et l’a tué (bien que l’officier qui l’a tué ait été promu par la suite.)
Cependant, il y a plusieurs variables, dont l’âge et le sexe, qui jouent contre une quelconque justice pour les deux jeunes garçons tués. Sans compter qu’ils ne sont pas des citoyens américains comme certains des cas de Palestiniens tués mis en lumière au niveau international.
Les jeunes Palestiniens comme Abdullah et Wasim, qui constituent la grande majorité des Palestiniens tués en 2022 et jusqu’à présent en 2023, ont très peu de chances de bénéficier d’une enquête sur les responsables. Ils seront probablement classés comme de dangereux militants, quelles que soient les preuves qui suggèrent le contraire. Toute affiliation politique qu’ils ont pu avoir ou tout propos dénonçant Israël qu’ils ont pu poster en ligne, seront tous utilisés pour justifier leur mort, dépourvus de tout contexte de la réalité de leur vie.
Aucune preuve de crimes réels ne sera probablement fournie ; aucune excuse ne sera présentée.
Cette tendance - la catégorisation de tous les jeunes hommes comme militants - est une tactique adoptée par d’autres États également. Le programme américain de drones du début des années 2010 n’a fait état que de quelques victimes civiles au départ, car tous les hommes de plus de 16 ans vivant dans des zones connues pour être habitées par des groupes comme Al-Qaïda, étaient considérés comme étant "d’âge militaire." Ces victimes étaient donc régulièrement comptabilisées comme des combattants, permettant aux États-Unis de maintenir la façade d’une stratégie antiterroriste juste et efficace.
Il y a en effet quelque chose de particulièrement cynique à ce qu’une grande partie de la communauté internationale continue à accepter les justifications de l’armée israélienne lorsqu’il s’agit de la violence perpétrée contre les Palestiniens. D’autant plus que les innombrables rapports, vidéos et autres formes de preuves - dont beaucoup émanent d’individus et de groupes de la communauté internationale - montrent un État de plus en plus militarisé, dirigé par des politiciens qui bafouent fièrement toutes les lois du droit international.
La mort tragique d’Abdullah Marwan Juma’a Mousa, de Wasim Amjad Aref Abu Jaes et de tant d’autres avant eux, met en lumière l’injustice à laquelle les jeunes Palestiniens sont confrontés, même dans leur mort, et elle aggrave et amplifie les couches de cruauté subies par ces enfants dès leur naissance.
Traduction : AFPS