Au regard de l’inertie apparente de la Cour pénale internationale (CPI) dans les premiers moments de l’offensive génocidaire, plusieurs États du Sud ont, dans le cadre du Statut de Rome qui institue cette juridiction, officiellement demandé au procureur d’élargir ses investigations du point de vue temporel (en remontant avant le 7 octobre 2023) et du point de vue des crimes (en incluant le génocide). Ces demandes (appelées « renvois étatiques ») ont été formulées dès le 17 novembre 2023 par l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti. Le 18 janvier 2024, ce sont le Chili et le Mexique qui s’associent à cette démarche par un nouveau « renvoi ». Ceci a sans doute contribué à accélérer l’enquête même si, finalement, le cadre temporel n’a pas été élargi, et l’accusation de génocide n’a pas encore été intégrée aux mandats d’arrêts émis par la CPI le 21 novembre 2024.
Dans cette même période, il est bien connu que l’Afrique du Sud, un État particulièrement en pointe, a saisi l’organe judiciaire principal des Nations Unies, la Cour internationale de justice (CIJ), contre Israël, sur la base de la Convention génocide de 1948. Cette démarche courageuse de l’Afrique du Sud a donné lieu à trois ordonnances de la Cour. Elles affirment l’existence d’un risque de génocide à Gaza le 26 janvier, le 28 mars et le 24 mai 2024. Cette réitération du risque de génocide et des ordres à l’intention d’Israël est inédite. Et même si l’on sait que ces ordonnances n’ont pas été respectées par Israël, elles ont altéré son image et contribué à l’isoler diplomatiquement. Il faut aussi souligner l’initiative extrêmement importante du Nicaragua qui décidait lui aussi de saisir la CIJ d’une action contre l’Allemagne pour défaut de prévention et complicité de génocide à Gaza. Cette affaire cruciale se poursuit et l’ordonnance rendue le 30 avril 2024, rappelant les obligations de tous les États face au risque de génocide à Gaza, est une base juridique incontournable pour analyser, notamment, le comportement des États occidentaux.
Suite à ces ordonnances de la CIJ mais aussi à son avis historique du 19 juillet 2024 sur l’illicéité de l’occupation du territoire palestinien, suite à la résolution de l’Assemblée générale reprenant le contenu de cet avis le 18 septembre 2024 (résolution votée par la France) et suite aux mandats d’arrêts émis par la CPI contre les dirigeants israéliens le 21 novembre 2024, plusieurs États du Sud se sont réunis en un « Groupe de La Haye », par une déclaration du 31 janvier 2025. Il s’agit du Belize, de la Bolivie, de la Colombie, de Cuba, du Honduras, de la Malaisie, de la Namibie, du Sénégal et de l’Afrique du Sud. Leur ambition est de mettre en pratique les obligations pesant sur tous les États telles que rappelées par la CIJ (des obligations dites erga omnes, c’est-à-dire à l’égard de tous), ou découlant du Statut de la CPI pour les États qui y sont parties. Se référant à ces obligations, les États du Groupe de La Haye insistent sur l’interruption de toute assistance militaire à Israël. Ils affirment aussi s’engager à « empêcher l’accostage de tout navire dans tout port relevant de leur juridiction » dès lors que ces navires transporteraient « du carburant militaire et des armes à destination d’Israël ».
L’initiative de La Haye honore tous ses participants, qui invitent les autres États à les rejoindre dans cette mise en œuvre de leurs obligations : ils appellent « toutes les nations » à les rejoindre. Aucun État arabe ni européen n’a participé à la constitution du Groupe de La Haye, aucun ne l’a rejoint. Pourtant, son programme ne peut être contesté, et les opinions publiques des différents États devraient demander à leurs gouvernements d’y participer.
De même, on peut être légitimement inquiet, du point de vue du droit international, du « plan arabe » pour Gaza, récemment accepté par la Ligue des États arabes (sommet du 4 mars 2025, en l’absence de l’Algérie), soutenu par l’Organisation de la coopération islamique et plusieurs États européens. Certes, le « plan arabe » s’oppose à la déportation des Palestiniens de Gaza souhaitée par le nouveau président des États-Unis et Israël, mais… c’est bien la moindre des choses. À l’aune des informations disponibles, il semble en revanche prévoir une « reconstruction » financée par des États volontaires, sous l’égide d’une autorité « indépendante », tandis qu’un « comité technocratique » serait censé administrer Gaza, avant le retour d’une Autorité palestinienne largement discréditée. Il prévoit que la sécurité de Gaza serait assurée par l’Égypte et la Jordanie. Il ne respecte pas le « principe de responsabilité » qui veut que la commission d’actes illicites impose à l’État qui en est l’auteur de réparer les dommages causés, principe rappelé par une résolution de l’Assemblée générale du 5 décembre 2024. Enfin, encore une fois, il retarde le soutien à l’émergence d’un État palestinien, qui ne serait envisagé qu’après cinq ans. Dans ce plan, les Palestiniens de Gaza seraient finalement les témoins impuissants d’une reconstruction qui leur échappe. Et si plusieurs États européens, dont la France, semblent avoir accueilli positivement ce plan, ils ne l’ont fait qu’en exigeant l’exclusion du Hamas de toute gouvernance future, pour la sécurité d’Israël, rejoignant ainsi les buts de guerre officiels de cet État.
Hors du cercle de La Haye, peu d’États semblent donc disposés à respecter leurs obligations pour imposer à Israël la fin du génocide de Gaza et le respect du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. À l’heure où nous écrivons, Israël, en plus d’empêcher l’acheminement de l’aide à Gaza, a décidé d’y couper l’électricité, prolongeant impitoyablement un siège qui relève, lui aussi, de la prohibition du génocide. Plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU, experts indépendants, ont, le 6 mars 2025, dénoncé le soutien qui continue pourtant d’être apporté à Israël : « Nous sommes particulièrement déçus par l’approbation rapide de certains États et organisations régionales de l’interruption par Israël de l’aide à Gaza, présentée comme une réaction au prétendu non-respect du cessez-le-feu par le Hamas, alors que les nombreuses violations du cessez-le-feu par Israël n’ont pas été signalées » affirment-ils, en une référence implicite à la position de l’Union européenne.
Cet état de fait tragique ne peut que convaincre de l’importance du Groupe de La Haye. Les États qui le composent refusent de « rester passifs » face « aux actions génocidaires d’Israël » et entendent soutenir « la réalisation du droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination ».
Rafaëlle Maison
Agrégée des facultés de droit ; professeur des universités.
Photo : Les juges de la Cour internationale de Justice, à La Haye © CIJ




