Jadis pilier de l’économie locale, l’agriculture dans la rocailleuse Cisjordanie est en déclin. Les agriculteurs luttent pour protéger leurs terres et leurs moyens de subsistance.
Privés d’eau et d’accès à leurs principaux marchés, les agriculteurs des territoires palestiniens occupés ne peuvent que regarder avec un mélange de colère et d’envie les colons israéliens qui sont en mesure d’irriguer abondamment leurs cultures et d’exporter à volonté.
La pression est forte pour préserver l’agriculture car les fermiers palestiniens craignent d’être chassés de leurs terres par les autorités israéliennes et les colons juifs s’ils les laissent en friche. Mais, en raison des restrictions quant à l’utilisation de l’eau et de la terre, ils n’arrivent pas à concurrencer les producteurs israéliens en termes de rapport qualité/prix.
Selon la Banque Mondiale, l’agriculture palestinienne ne représentait plus que 6 % du PIB (produit intérieur brut) en 2010 contre 13,7 % en 1994. A cette époque, le secteur employait 22 % de la population active contre seulement 12,7 % aujourd’hui (source : le Bureau palestinien de la statistique).
« Les agriculteurs palestiniens se battent quotidiennement, et sans succès, contre les restrictions israéliennes concernant l’accès aux terres et à l’eau," a déclaré à Reuters le ministre de l’Agriculture, Walid Assaf. Dans un rapport de septembre 2012, une agence de l’ONU affirme que l’impact de l’occupation israélienne sur l’économie palestinienne – notamment l’agriculture, naguère florissante – « a été dévastateur ». « Les Palestiniens ne peuvent faire fructifier une grande partie de leurs ressources, soit : 40 % des terres de Cisjordanie, 82 % des nappes phréatiques et plus des deux tiers des pâturages », souligne la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
Israël, qui occupe les régions les plus riches en eau, contrôle plus de 80 % des ressources hydriques de la Cisjordanie en vertu des accords signés en 1994. Les organisations humanitaires internationales affirment que les autorités israéliennes mettent à profit cette situation pour distribuer beaucoup plus généreusement l’eau aux colons et aux citoyens israéliens qu’aux Palestiniens, dont les revendications ne concernent donc pas seulement la maîtrise du territoire mais aussi celle des ressources aquifères du sous-sol.
Selon Amnesty International, les Palestiniens utilisent en moyenne 70 litres d’eau par jour alors que les Israéliens et les colons juifs consomment 300 litres en moyenne. La différence est encore plus grande si l’on se réfère à la consommation des colons vivant dans la Vallée du Jourdain et au nord de la Mer Morte. Selon B’Tselem, une association israélienne de défense des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, ces derniers ont utilisé environ 1312 litres par jour en 2008, principalement pour l’agriculture. Ces colons consomment ainsi presque 18 fois plus que la quantité d’eau allouée aux Palestiniens indique B’Tselem dans un rapport de 2011 tout en précisant que les seconds doivent acquitter un prix trois fois plus élevé que les premiers pour s’en procurer.
Les conséquences de cette politique sont visibles
La ville agricole de Beit Ummar, située au nord d’Hébron, ne reçoit que de faibles précipitations de pluie, et les vergers sont en piteux état. En revanche, une ferme de colons située dans les environs est équipée de nombreux tuyaux d’arrosage qui irriguent régulièrement les cultures et les rangées d’arbres luxuriants, ce qui favorise la croissance rapide des fruits. La cueillette a, d’ailleurs, été effectuée il y a quelques mois.
« Ces prunes se vendront 1 shekel le kilo ou 0,25 dollar. C’est presque gratuit ! Les prunes israéliennes sont déjà disponibles sur le marché depuis un mois", se désole Oum Hussein, une femme de 75 ans qui cueille des fruits poussiéreux dans un verger adjacent à une colonie juive. « Nous avons à peine les moyens de boire de l’eau potable, encore moins d’arroser les arbres », déclare un agriculteur, Nafez Khalaylah.
En Cisjordanie, les agriculteurs palestiniens ne peuvent creuser de nouveaux puits qu’avec l’autorisation des autorités israéliennes, lesquelles ne l’accordent quasiment jamais, comme l’indiquent les diplomates européens. Les autorités israéliennes rétorquent en soutenant qu’elles distribuent déjà plus d’eau aux Palestiniens que ce qui était convenu, en 1994, dans les accords de paix intérimaires d’Oslo et que la répartition définitive des ressources ne pourra être décidée que dans le cadre d’un accord de paix final – accord aléatoire au regard des années de récriminations mutuelles et d’occasions manquées.
Prisonniers du passé
Les experts agricoles israéliens affirment que les Palestiniens pourraient accroître la productivité s’ils adoptaient des méthodes agricoles modernes : technique d’irrigation goutte à goutte, utilisation de nouveaux engrais... Les Palestiniens répondent en soulignant, encore une fois, l’insuffisance de l’approvisionnement en eau et les restrictions à l’importation.
Par ailleurs, les habitants reçoivent peu d’aide ou d’encouragement de l’Autorité Palestinienne (AP) qui ne dispose que de pouvoirs limités en Cisjordanie. A peine 1 % du budget de l’AP est ainsi alloué à l’agriculture, en dépit de son importance stratégique. Dans un discours visant à mettre fin aux récentes manifestations contre la hausse des impôts, le premier Ministre, Salam Fayyad, a cependant promis de faire davantage pour le secteur.
Les agriculteurs se plaignent aussi du fait que l’accès à certaines des terres les plus fertiles de la Cisjordanie leur soit interdit. C’est le cas notamment en zone C, contrôlée par les Israéliens, qui inclut la vallée du Jourdain. Selon Peace Now, un groupe de défense des droits de l’homme, Israël a annexé depuis 1967 25 000 hectares, soit 16 pour cent de la Cisjordanie, en les qualifiant de « terres d’Etat » et a ensuite utilisé ces terres pour accroître la superficie des colonies. D’autres zones risquent de subir le même sort.
En Août, la COGAT, l’autorité israélienne chargée de l’administration de la Cisjordanie, a ordonné à un groupe d’agriculteurs des environs de Jéricho, ville située non loin de la Mer Morte, d’arracher plus de 35 000 palmiers dattiers et de quitter leur terre. La COGAT a déclaré à Reuters que les arbres avaient été plantés illégalement, les palmeraies se trouvant sur des terres dont la propriété n’a pas encore été établie. Dans un document écrit, la COGAT affirme que les agriculteurs ont aussi siphonné illégalement l’eau de sources israéliennes.
Les agriculteurs et les officiels palestiniens affirment que le terrain appartient au Waqf islamique, organisation religieuse qui le loue aux fermiers depuis des années. Ils considèrent qu’il s’agit d’une mesure de rétorsion en réponse au succès de leur entreprise. Ils se spécialisent, en effet, dans la récolte de dattes Medjoul, une variété de datte grasse et sucrée, l’une des plus chères au monde. Or les colonies juives situées à proximité font également pousser ce type de datte mais plusieurs pays musulmans voisins refusent aujourd’hui de les leur acheter.
Gaspillage
Les agriculteurs palestiniens affirment aussi qu’Israël limite l’accès des produits de Cisjordanie à leur marché principal, à savoir Jérusalem, jadis centre commercial majeur. Enfin, tout produit destiné au marché israélien ou aux autres marchés étrangers doit passer par les check points israéliens, en plus d’être soumis à des contrôles et des procédures qui prennent beaucoup de temps, ce qui entraîne une augmentation considérable des coûts de production et une baisse de la rentabilité.
Les importations palestiniennes de primeurs en provenance d’Israël représentaient 72,2 millions de dollars en 2010 alors que les exportations palestiniennes des mêmes produits s’élevaient à moins de 3 millions de dollars. Sur le marché local également, les fermiers palestiniens rencontrent des difficultés pour vendre leur production comme l’indiquent les statistiques officielles. Mohammad Awad, un agriculteur vendeur en gros, nous en donne une idée. Il est assis dans son magasin, au milieu de piles de prunes et de 10 tonnes de raisins provenant de la région de Beit Ummar, variété très recherchée à une certaine époque. Mais, aujourd’hui, le raisin invendu commence à fermenter. Selon Awad, l’unique marché se trouve au nord de la Cisjordanie, région où les prunes et les raisins ne sont pas cultivés. Mais, là-bas, les étals sont remplis de fruits israéliens, plus beaux et plus chers (le prix de vente au kilo est de 5 shekels ou 1,4 dollar). « Mes raisins finiront par être vendus à un établissement vinicole pour un demi shekel le kilo ou 0,17 dollar », précise-t-il en fumant une cigarette. « Je conseille aux agriculteurs de ne pas récolter leurs fruits, il n’y a pas de marché », ajoute-t-il.
Pourtant, Beit Ummar était surnommée, autrefois, la corbeille de fruits de la Palestine. Aujourd’hui, les agriculteurs laissent une partie de leur récolte pourrir sur place, dans les vergers brûlés par le soleil, pour ne pas vendre à perte.
Vu les problèmes rencontrés, il n’est pas donc étonnant que de nombreux agriculteurs jettent l’éponge. Nafez Khalaylah se souvient qu’il y a 20 ans des centaines de paysans se levaient tous les jours, à cinq heures du matin, pour travailler dans leurs vergers. "Maintenant, je travaille toute la journée et je ne vois pas un seul agriculteur ou une seule personne heureuse. » Ce propriétaire de 80 arbres est à peine capable de joindre les deux bouts. L’an dernier, le kilo de prunes valait 2 shekels (ou 0,50 dollar) contre environ 4 shekels dans les années 1980. "Peut-être que l’année prochaine, il nous sera impossible de les vendre », ajoute-t-il tristement.
Traduction N pour l’AFPS