GENÈVE, le 14 juillet 2022 - Les experts des droits de l’homme de l’ONU* ont exhorté aujourd’hui le gouvernement d’Israël à libérer immédiatement Ahmad Manasra, un Palestinien de 20 ans détenu dans les prisons israéliennes depuis l’âge de 14 ans, alors qu’il souffre de graves problèmes de santé mentale.
"L’emprisonnement d’Ahmad depuis près de six ans l’a privé de son enfance, de son environnement familial, de sa protection et de tous les droits qu’il aurait dû se voir garantir en tant qu’enfant", ont déclaré les experts.
"Ce cas est obsédant à bien des égards et sa détention continue, malgré la détérioration de son état mental, est une tache pour nous tous en tant que membre de la communauté internationale des droits de l’Homme".
En 2015, Ahmad Manasra, alors âgé de 13 ans, et son cousin de 15 ans ont été accusés d’avoir poignardé deux Israéliens dans la colonie de Pisgat Ze’ev, en Cisjordanie occupée. Son cousin a été abattu sur place, tandis qu’Ahmad a été renversé par une voiture et a subi de graves blessures à la tête alors qu’une foule israélienne le raillait. Après son arrestation, des séquences vidéo, largement diffusées sur les médias, ont montré le jeune Ahmad en détresse, traité durement et soumis à un interrogatoire sévère sans la présence de ses parents ou de son représentant légal.
"Les scènes déchirantes d’un enfant aux os brisés, allongé sur le sol sous un barrage d’insultes et de menaces hurlées par des adultes armés dans une langue étrangère, de ce même garçon nourri à la cuillère par des mains inconnues alors qu’il est enchaîné à un lit d’hôpital, puis violemment interrogé en violation des normes et principes des droits de l’homme relatifs à l’arrestation et à la détention d’un enfant, continuent de hanter notre conscience", ont déclaré les experts.
"À Ahmad, nous disons : nous regrettons de ne pas avoir su te protéger".
Après avoir eu 14 ans en 2016, Ahmad a été reconnu coupable de tentative de meurtre et condamné à 12 ans de prison, bien que la loi à l’époque où le crime aurait été commis, en 2015, ne permettait pas d’emprisonner des mineurs de moins de 14 ans. La peine a ensuite été réduite à neuf ans et demi. Son état mental s’est, semble-t-il, régulièrement détérioré, peut-être en raison des conditions difficiles de sa détention, des cas récurrents d’isolement et, plus tragiquement, de la solitude, loin de sa famille.
"L’arrestation et la détention d’Ahmad ont eu lieu à une période absolument critique pour le développement émotionnel, intellectuel et social d’un enfant. Dans toutes les actions concernant les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale", ont déclaré les experts. "En violation de ce principe fondamental, la considération primordiale dans cette affaire semble être la volonté d’Israël de contenir ceux qu’il qualifie de menaces terroristes", ont-ils ajouté.
Malgré l’état mental aggravé d’Ahmad, les autorités israéliennes ont rejeté les demandes des avocats d’Ahmad en vue d’une libération anticipée. Les autorités israéliennes soutiennent que l’infraction pour laquelle Ahmad a été condamné constitue un acte de terrorisme, ce qui le rend inéligible à une libération anticipée en vertu de la loi antiterroriste. Cependant, cette loi n’est entrée en vigueur qu’en novembre 2016, et les amendements à la loi antiterroriste qui interdisent la libération anticipée des personnes condamnées pour des crimes graves impliquant des actes terroristes ont été introduits en décembre 2018, bien après la condamnation d’Ahmad pour tentative de meurtre en mai 2016.
"Comme cela a été répété à plusieurs reprises aux autorités israéliennes, sa loi antiterroriste mal définie et trop large a conduit à beaucoup trop de cas d’arbitraire et d’abus. Le cas d’Ahmad est une autre conséquence moralement et juridiquement injustifiable de cette loi. Son application rétroactive à Ahmad, qui a entraîné le refus de sa libération anticipée, est illégale, disproportionnée et discriminatoire ", ont déclaré les experts.
Les rapports médicaux indiquant qu’Ahmad souffre de schizophrénie ont confirmé l’impact dévastateur du traitement sévère auquel il a été soumis à un jeune âge. "L’isolement d’un enfant pendant une période aussi prolongée peut s’apparenter à de la torture, interdite en toutes circonstances par le droit international des droits de l’homme", ont déclaré les experts. "Ahmad doit recevoir de toute urgence les soins de santé mentale et les conseils nécessaires, en particulier à la lumière des informations selon lesquelles il s’est mis à plusieurs reprises en danger d’automutilation."
"Le cas d’Ahmad fournit des preuves évidentes des pratiques délibérées d’Israël consistant à soumettre des Palestiniens, y compris des enfants, à la détention arbitraire, à la torture et à des traitements inhumains, souvent déguisés en une réponse "légitime" de lutte contre le terrorisme", ont déclaré les experts. L’affaire soulève également de sérieuses inquiétudes quant à d’éventuelles violations des normes internationales de procès équitable applicables aux enfants, notamment l’interdiction d’inciter par la coercition un enfant à faire des aveux ou un témoignage auto-incriminatoire. "Ces pratiques inhumaines doivent cesser : beaucoup trop d’entre eux ont déjà fait les frais d’une instrumentalisation inacceptable des outils juridiques comme moyen de soumettre la population locale protégée et de la forcer à accepter une occupation qui reste illégitime et illégale".
Les experts ont critiqué la détention d’Ahmad dans les prisons israéliennes, en violation du droit humanitaire international. "Israël, en tant que puissance occupante, n’a pas le droit de détenir des personnes protégées accusées d’infractions sur son propre territoire", ont-ils déclaré. "Cette pratique viole l’article 76 de la Quatrième Convention de Genève et peut également s’apparenter à un transfert forcé, qui constitue une violation grave de la Quatrième Convention de Genève et est également reconnu comme un crime de guerre en vertu de l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale."
"Nous lançons un appel à Israël pour qu’il libère de toute urgence Ahmad, lui permette de retourner auprès de sa famille et de bénéficier d’une aide et d’un soutien psychologique", ont déclaré les experts.
"Il est également temps que le système omniprésent d’arrestation et de détention mis en place par Israël dans le territoire palestinien occupé, qui détient actuellement 4 700 Palestiniens, dont 170 enfants et 640 en détention administrative, reçoive l’attention de la communauté internationale, car il fait partie intégrante du régime d’oppression systémique et généralisé qu’Israël a imposé aux Palestiniens pendant 55 ans d’occupation militaire."
Les experts ont pris contact avec le gouvernement israélien pour lui faire part de leurs préoccupations concernant le cas d’Ahmad.
*Les experts : Mme Francesca Albanese, Rapporteure spéciale sur la situation des droits de l’Homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967 ; Mme Fionnuala Ní Aoláin, Rapporteure spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste ; Mme E. Tendayi Achiume, Rapporteure spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée ; et Mme Tlaleng Mofokeng, Rapporteure spéciale sur le droit à la santé.
Les rapporteurs spéciaux font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme. Les procédures spéciales, le plus grand groupe d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations unies, sont le nom général des mécanismes indépendants d’enquête et de surveillance du Conseil qui traitent soit de situations nationales spécifiques, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.
Traduction et mise en page : AFPS /DD