Moins d’un jour après que la loi de l’état-nation d’Israël a été approuvée par la Knesset, Haaretz a publié un commentaire de Jonathan Lis abordant la signification pratique de celle-ci. « La loi de l’état-nation est principalement une mesure symbolique destinée à inscrire les valeurs nationales dans une loi fondamentale », écrivait-il.
On a entendu à l’époque de nombreux commentaires de cette nature : Israël est défini comme un état juif, avec toutes les ramifications discriminatoires qui en découlent. Beaucoup ont cherché sur cette base à étouffer les critiques de la nouvelle loi. D’autres ont compris que la loi, en légalisant officiellement l’apartheid à l’intérieur des frontières d’Israël, serait davantage que simplement symbolique.
L’avocat Hassan Jabareen, fondateur de l’association de défense juridique Adalah, dont la requête contre la loi est en attente depuis plus de deux ans, me l’a joliment décrite à l’époque : si jusqu’à présent les citoyens arabes pouvaient se tourner vers les tribunaux pour obtenir de l’aide dans la lutte contre la discrimination au nom de la loi, désormais le système juridique lui-même peut valider l’apartheid, également au nom de la loi.
Terres confisquées
Un article du 30 novembre dans Haaretz prouve à quel point l’argument de Jabareen était exact, étant donné que le Tribunal de première instance de Krayot a récemment invoqué la loi de l’état-nation comme motif pour rejeter une requête de la part d’enfants arabes de Karmiel cherchant à obtenir le remboursement du prix de leurs trajets en bus vers des écoles en langue arabe hors de la localité, puisqu’il n’y a pas d’écoles en langue arabe à Karmiel.
« Karmiel, localité juive, a été fondée pour renforcer l’implantation des Juifs en Galilée », a écrit le Greffier Principal, Yaniv Luzon, dans son jugement. « La création d’une école en langue arabe... [et] le financement du transport scolaire pour des élèves arabes, pour tous ceux qui en ont besoin où que ce soit, pourrait modifier l’équilibre démographique de la localité et porter atteinte à son identité ».
Il convient de noter les circonstances de la création de la « localité juive » de Karmiel, dont l’identité préoccupe tant le greffier en chef : Karmiel a été créée en 1964 sur des terres confisquées aux villages arabes environnants.
Carmel un des plus de 700 villages que l’état ait bâti pour la population juive depuis la création d’Israël, en comparaison avec le fait qu’aucun n’ait été bâti pour la population arabe - à l’exception de quelques localités dans le Néguev destinées à la réinstallation ordonnée des Bédouins, dont l’état convoitait les terres.
Bien que les deux populations aient augmenté depuis 1948 à un rythme similaire, la politique d’apartheid d’aménagement des terres, qui confisque des terres à une population pour construire des villages pour l’autre, a tellement rétréci les villages arabes sur le plan géographique que beaucoup de leurs habitants ont été forcés de trouver un logement dans les villages juifs proches.
Mais l’apartheid n’est pas satisfait de cela non plus, apparemment. Il ne veut pas d’Arabes dans les villages, et il ne veut pas non plus les laisser habiter sur leurs propres terres, de façon séparée. D’un côté, le vol pur et simple ; de l’autre, un sentiment de supériorité et de pureté raciale.
« L’égalité des droits, en tant qu’individus »
A l’époque, quand la loi de l’état-nation a été présentée devant la Knesset, son instigateur, Avi Dichter, a lancé l’appel suivant aux citoyens arabes : « vous serez en mesure de vivre parmi nous en tant que minorité nationale et vous pourrez bénéficier de droits égaux en tant qu’individus, mais pas de l’égalité en tant que minorité nationale ».
Maintenant, le Greffier Principal Luzon précise, en se fondant sur la loi de l’état-nation, que même « vivre parmi nous » n’est pas une véritable option, parce que le maintien de la supériorité démographique juive est un objectif explicite de la loi elle-même. Autrement dit, même si, en théorie, les habitants arabes de Karmiel étaient prêts à envoyer leurs enfants dans les écoles juives de la localité - où ils seraient exposés à un endoctrinement raciste et militariste qui, entre autres choses, normalise l’occupation - ce ne serait pas une solution. Leur présence même dans la ville est indésirable, et la lutte contre elle est considérée comme légitime et légale.
La personne qui aurait dû se battre pour les droits de ces élèves qui ont demandé l’aide du tribunal est le ministre de l’éducation Yoav Galant, qui a voté en faveur de la loi sur l’État-nation. Etant donné la décision du tribunal , il convient de noter à nouveau la duperie que constitue la distinction faite par Dichter entre les droits individuels et les droits nationaux des citoyens palestiniens.
La confiscation massive des terres appartenant au citoyens arabes a-t-elle été faite sur une base individuelle ou sur une base nationale ? La discrimination à l’encontre des élèves arabes est-elle effectuée sur une base individuelle ou sur une base nationale ? L’abandon de la sécurité des citoyens arabes et l’ignorance de leur victimisation par le crime organisé sont-ils une tendance individuelle ou nationale ? Le fait d’empêcher les familles arabes de s’installer dans les villes juives par le biais de comités de sélection résidentiels se produit-il sur une base individuelle ou nationale ?
Un seul service a été accompli par la loi sur l’État-nation pour le discours public en Israël, et cela a été d’arracher le masque de toutes ces distinctions manipulatrices et fausses.
Persécution de l’identité palestinienne
Les enfants de Carmel n’ont pas envoyé la requête au tribunal de les autoriser à agiter un drapeau palestinien ou à chanter l’hymne national palestinien dans les rues de la localité. Ils ont envoyé une requête pour le droit de vivre dans leur ville et d’étudier dans une école où leur langue est parlée et où ils ne sont pas considérés comme des citoyens inférieurs. Le tribunal a fait savoir clairement que leur identité palestinienne les rend inférieurs et indésirables ; que leur existence même est une menace, de par la loi.
Les citoyens arabes de ce pays sont persécutés parce qu’ils veulent être qui ils sont. Leur identité palestinienne est ce qui fait d’eux, aux yeux du gouvernement sioniste, des citoyens peu fiables. L’argument inhérent au sionisme ne concerne que les limites à leurs droits, qui ne sont jamais matérielles et sont toujours conditionnelles.
La discrimination véritable, institutionnelle et raciste à l’encontre des citoyens arabes d’Israël a existé avant même la loi sur l’état-nation. Mais avec son adoption, le parlement d’Israël a fièrement proclamé la légitimité des fondements de l’apartheid de l’état.. L’apartheid est devenu le droit de ce pays.
Bien que de nombreuses pétitions contre la loi de l’état-nation soient encore en suspens, l’expérience tirée de plus de sept décennies prouve que le système juridique israélien fait partie intégrante du système de supériorité juif. Il est le gardien de la porte. En ce sens, Luzon a simplement fait ce que l’on attend de lui.
Orly Noy est journaliste et militante politique ; elle est installée à Jérusalem.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS