PR : Il vient d’y avoir beaucoup d’agitation aussi bien en Cisjordanie que dans la bande de Gaza. Dans quelle mesure ces problèmes sont-ils liés et comment se différencient-ils ?
Khalil Shikaki : Eh bien, en gros ce que nous voyons est une rupture avec la loi et l’ordre. Cette rupture est exploitée par différents acteurs, la jeune garde en particulier qui a tout intérêt à affaiblir le contrôle de la vieille garde, notamment à Gaza, avant le retrait israélien de Gaza.
PR : Pensez-vous que ce qui arrive dans ces deux régions relève d’un même phénomène ?
K.S. : Ca l’est, en partie, bien qu’à Gaza, je dirais qu’il y a plus d’intentions délibérées qu’en Cisjordanie.
PR : A quel point la crise est-elle sérieuse ?
K.S. : Elle n’est pas très grave. Je pense qu’il s’agit d’un épisode et que beaucoup d’autres suivront. Il y a un problème très sérieux dans le système politique palestinien. Une composante significative de militants du mouvement national palestinien pense avoir été marginalisée lors de la dernière décennie du processus de paix, marginalisée par la vieille garde du mouvement nationaliste, et cette composante a tiré parti de ces quatre dernières années d’Intifada.
PR : Vous parlez d’un conflit entre la nouvelle et la vieille garde. Quelles seraient les ramifications d’une victoire pour l’un ou l’autre camp ?
K.S. : Je pense qu’il est très clair que si, cette fois, la jeune garde ne peut pas gagner le genre de primauté qu’elle recherche dans le système politique palestinien, en particulier à Gaza, son intérêt sera de poursuivre la violence à Gaza et à partir de Gaza, parce que c’est seulement par là qu’elle peut continuer à s’armer et à former des milices.
C’est par ces moyens qu’elle est parvenue à s’affirmer lors de ces trois ou quatre dernières années. Si elle perd cela, quand les Israéliens se retireront de Gaza, elle deviendra beaucoup plus faible et la vieille garde pourra facilement la marginaliser une nouvelle fois. C’est pourquoi elle a de très fortes raisons d’empêcher cela.
D’autre part, la vieille garde a le pouvoir et si elle perd face aux jeunes, le système politique palestinien entrera dans un état d’agitation, parce que la jeune garde manque d’une direction définie et d’une vision nette. Cela pourrait engendrer des luttes internes entre les différentes factions et les chefs de guerre dans cette jeune garde.
Mais il peut en résulter l’ouverture du système politique palestinien, renforçant la possibilité d’élections tandis que les Palestiniens auraient une position plus forte dans la négociation avec Israël.
- (© Mustafa Rahmed, in {Al-Ittihad} (21/7/2004))
- Traduction du panneau : Réforme politique
PR : Voyez-vous des élections comme issue à la crise actuelle ?
K.S. : Je ne vois aucun autre moyen de sortir, d’une part, de la crise interne actuelle, ni, d’autre part, de sortir de l’impasse actuelle entre Israéliens et Palestiniens. Des élections permettraient, je pense, d’apaiser immédiatement la scène intérieure en mettant un terme à la lutte de pouvoir actuelle et elles pourraient également stabiliser les relations israélo-palestiniennes, parce qu’elles sont le seul moyen d’obtenir un cessez-le-feu par les différentes factions.
PR : Mais dans quelle mesure des élections sont-elles possibles à l’heure actuelle ? Outre les problèmes de logistique, à ce stade, que peuvent promettre ceux qui cherchent à être élus ?
K.S. : Au niveau technique, je ne vois pas cela comme un problème. Je crois que des élections pourraient être tenues d’ici trois mois et l’infrastructure en est déjà en place. La principale difficulté réside dans l’inscription des électeurs, qui pourrait commencer immédiatement. Officiellement, elle commencera début septembre, mais il n’y a aucune raison de ne pas commencer immédiatement. Quoi qu’il en soit, si nous commençons le processus en septembre comme prévu, nous devrions avoir un registre des électeurs prêt en décembre et cela pourrait alors permettre aux élections d’avoir lieu immédiatement après.
La véritable difficulté est politique. La vieille garde a intérêt à repousser les élections le plus tard possible parce qu’elle en sortira perdante. Ses représentants seront remplacés au parlement par la jeune garde nationaliste et ils feront tout ce qu’ils peuvent pour l’empêcher. C’est pourquoi, à mon avis, (le Président Yasser) Arafat continuera de s’opposer aux élections.
Le second problème ce sont les Américains. Ils ne permettront pas - du moins c’est leur position aujourd’hui - des élections présidentielles, parce qu’ils ne veulent pas qu’Arafat soit réélu et il est certain que ces élections conduiront à sa réélection.
Et troisièmement, il y a les Israéliens à qui on demanderait de se retirer des villes et d’évacuer les checkpoints pour que la campagne électorale puisse commencer. Ils sont évidemment peu disposés à le faire, parce que la situation actuelle leur convient. Bien qu’ils contrôlent la sécurité dans les secteurs palestiniens, en fait, ils n’ont pas à prendre de responsabilité officielle envers les Palestiniens. Ils voudraient continuer à profiter de ce privilège, et ils continueront donc à s’opposer aux élections jusqu’à ce qu’ils soient convaincus qu’elles mèneront à la fin de la violence contre eux, et les élections en elles-mêmes ne leur fournissent pas cette garantie.
PR : Vous ne paraissez pas très confiant sur la tenue de ces élections ?
K.S. : Je pense que c’est une affaire de volonté politique. Les choix pour la vieille garde, les Américains et les Israéliens ne sont pas très nombreux. S’ils ne prennent pas le risque des élections, les risques qu’impliquent toutes les autres solutions seront bien pires pour tout le monde.
PR : Quel est le rôle des islamistes dans tout cela ?
K.S. : Il y a deux divisions de base dans la société palestinienne. Dans le camp nationaliste, entre la jeune et la vieille garde. Dans la société toute entière, c’est entre le mouvement islamique et le mouvement national.
Ces quatre dernières années, en raison de l’Intifada, les divisions entre les nationalistes et les islamistes ont été brouillées, parce que le jeune garde nationaliste et les islamistes se sont alliés pour combattre les Israéliens. En conséquence, les islamistes ont pris de l’avance dans la société palestinienne et la jeune garde a pris de l’avance sur la vieille garde, et cela satisfait les deux parties.
Il ne fait aucun doute que les islamistes observent ce qui se passe dans la crise impliquant les nationalistes, parce qu’ils détermineront en fonction du résultat vers qui ils iront, en particulier à Gaza.