Le peuple d’Israël, épuisé par cinq tours d’élections en un peu plus de trois ans, voulait un résultat clair et net des élections du 1er novembre, quel qu’en soit le résultat.
Et il l’a obtenu : une victoire retentissante de la droite ultra-nationaliste et suprématiste juive, menée par le poids lourd politique montant Itamar Ben-Gvir.
Un nouvel Israël est né de cette élection, où la définition trouble de l’État "juif-démocratique", souvent remise en question si possible, a été catégoriquement décidée : Juif - oui ; démocratique - difficilement.
L’issue des résultats, bien qu’ouvrant la voie à un retour spectaculaire au pouvoir de l’ancien premier ministre Benjamin Netanyahu, aura des ramifications qui vont bien au-delà de sa victoire personnelle.
Les partis de la droite religieuse sont les véritables gagnants, qui, ensemble, sont prêts à éclipser la domination autrefois inégalée de la droite en Israël par le Likoud.
Les trois partenaires de la future coalition de Netanyahou - le parti ashkénaze ultra-orthodoxe United Torah Judaism (UTJ), qui devrait obtenir huit sièges ; le parti Séfarade orthodoxe Shas, qui devrait obtenir 11 sièges ; et l’alliance du sionisme religieux, qui devrait obtenir 14 sièges - devraient réunir 33 sièges à eux trois, soit un de plus que les 32 sièges du Likoud.
Pour ces partis, l’essence apparemment contradictoire de la question de l’État "juif-démocratique" ne les a jamais troublés.
Leur réponse a toujours été "État juif" avant tout, voire uniquement.
Le Likoud de Netanyahou, qui a été accusé de ses propres tendances antidémocratiques, sera une minorité au sein de son propre bloc de 65 des 120 sièges du parlement, la Knesset. La gauche sioniste est pratiquement morte dans ce nouveau jour en Israël.
Un nouveau territoire pour Netanyahou
Tôt le jour des élections, le Premier ministre intérimaire Yair Lapid a déclaré à la presse : "Ces élections sont un choix entre le passé et l’avenir".
Le passé semble avoir gagné et s’apprête à définir l’avenir. Un exemple symbolique : seules huit ou neuf femmes, sur la base de résultats partiels, feront partie de la coalition de 65 députés de Netanyahou.
Il n’y a aucune femme dans aucun des partis religieux orthodoxes.
Dans une interview radiophonique tôt mercredi, la députée Orit Strook du sionisme religieux a dessiné les contours du nouveau gouvernement : État juif, gouvernance, souveraineté.
Tous trois laissent de côté les citoyens palestiniens d’Israël, qui représentent 20 % de la population.
Interrogée sur l’annexion de la Cisjordanie occupée à l’avenir, elle a éludé la réponse. La solution à deux États, quoi qu’elle vaille, est désormais officiellement morte et enterrée.
Ce n’est pas ce dont rêvait Netanyahou. Dans tous ses gouvernements précédents, il a fait un effort conscient pour être la principale force de la droite politique, en veillant à ce que certains partenaires centristes soient inclus dans ses coalitions.
Cela l’a bien servi en Israël et encore mieux à l’étranger, notamment avec le gouvernement américain, qui, sous l’administration de Joe Biden, envoie désormais des messages inquiets.
Cette fois, il est le joueur "modéré" de la coalition de droite la plus radicale jamais formée.
Ce n’est pas la zone de confort habituelle de l’homme qui est souvent prêt à s’approprier chaque succès. Cela a été plutôt évident dans son allocution discrète aux membres du Likoud après que les premiers résultats l’aient montré en tête dans les sondages de sortie des urnes.
"C’est un bon début, c’est tout ce que je peux dire pour le moment", a déclaré Netanyahou dans sa première réaction aux sondages. "Cela dépend du décompte réel".
Il connaît la vérité, et il entend les voix. Ben-Gvir, le leader d’extrême droite du parti Otzma Yehudit (pouvoir juif) de l’alliance du sionisme religieux, est bien sûr le véritable vainqueur.
L’heure de Ben-Gvir
Dès que Ben-Gvir est entré dans le siège de son parti, mardi en fin de journée, la foule a scandé "le premier ministre arrive". Le député suprémaciste juif a répondu modestement : "Pas encore".
La foule s’est alors mise à scander les paroles populaires "mort aux terroristes", signifiant en réalité "mort aux Arabes". Les mots "arabes" avaient été remplacés par "terroristes" par Ben-Gvir lui-même, dans l’une de ses nombreuses tentatives pour atténuer certaines de ses insultes anti-palestiniennes explicites.
Bien que soigneusement déguisé tout au long de la campagne, une fois la victoire assurée, Ben-Gvir a enlevé son masque modéré.
Il a ouvertement échangé des accolades chaleureuses avec des racistes et homophobes notoires dont il s’était distancé pendant des semaines avant le vote. Parmi eux, Dov Lior, l’un des rabbins les plus radicaux du mouvement des colons, qui a appelé à de multiples reprises au nettoyage ethnique des musulmans arabes et a exprimé son soutien aux meurtres de masse.
"C’est normal de tuer des civils innocents et de détruire Gaza", a-t-il déclaré en 2014, pour citer l’une de ses nombreuses remarques incendiaires.
Mais la modestie de Ben-Gvir était de mise. Il n’est pas encore premier ministre, alors que le futur premier ministre s’en remet presque totalement à lui.
L’ancien avocat, qui vit dans une colonie israélienne illégale en Cisjordanie occupée, est sans doute le principal moteur du taux de participation étonnamment élevé aux élections de mardi, le plus élevé que le pays ait connu depuis 2015.
Netanyahu l’a envoyé à la périphérie de la scène politique israélienne pour amener aux urnes des électeurs qu’il n’a lui-même pas réussi à atteindre par le passé, et ceux qui s’abstiennent traditionnellement.
La campagne de Ben-Gvir a fonctionné et a amené les nouveaux électeurs à se rallier à la droite, mais ils ont surtout voté pour la star politique montante, et non pour le vétéran Netanyahou.
C’est pourquoi le premier ministre le plus ancien, dont le bilan est appelé à s’allonger encore, ne peut s’approprier la victoire que Ben-Gvir lui a offerte.
"C’est l’heure de Ben-Gvir", tel était le slogan du parti du Pouvoir juif, et pour une fois, il s’est traduit dans les faits.
Ben-Gvir est devenu la queue qui remue le chien, et il est là pour en tirer le meilleur parti.
Il veut être ministre de la sécurité publique et assouplir les règles d’engagement des forces de sécurité, de la même manière qu’il est prompt à sortir son arme, notamment sur les Palestiniens lorsqu’il "se sent menacé".
Son souhait pourrait être exaucé. Bezalel Smotrich, le leader moins en vue mais non moins dangereux du sionisme religieux, veut le portefeuille du ministère de la défense. Ce rôle lui sera probablement refusé, mais il conservera le pouvoir de manipuler et d’extorquer Netanyahou, qui leur est redevable à tous les deux et a besoin d’eux pour sa propre réussite.
Échec de la gauche
Le matin après la fermeture des bureaux de vote, peu de politiciens et d’analystes ont mentionné l’option de coalition alternative du parti Likoud-Unité nationale, dirigé par l’actuel ministre de la défense, Benny Gantz.
Il est peu probable que cela se produise, car Gantz, comme le reste du bloc anti-Netanyahou, a fait piètre figure lors des élections, et devrait obtenir 12 sièges.
Il en va de même pour le parti travailliste, qui devrait remporter quatre sièges, et le Meretz, qui ne devrait pas dépasser le seuil électoral.
Il n’y a donc pas de gauche en Israël, si ce n’est Hadash-Ta’al, la liste palestinienne bipartite, qui devrait obtenir cinq sièges, mais qui n’est pas vraiment considérée par la majorité des Israéliens juifs comme faisant partie de la gauche.
L’une des nombreuses raisons de l’échec du bloc anti-Netanyahou est la participation de partis de droite - comme Gantz, Avigdor Lieberman du parti Yisrael Beytenu, et Gideon Saar de la liste Nouvel Espoir - dans le même camp que les partis de gauche.
Il était impossible de délivrer un mandat de centre-gauche en restant coincé dans ce cadre de la coalition gouvernementale sortante. C’est certainement le cas dans le bloc hétérogène composé de huit partis qui n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est d’écarter Netanyahou du pouvoir.
Lapid, à la tête de ce bloc, a échoué lamentablement à les solidifier. Il n’a lui-même rien d’autre à dire que "d’attendre que la dernière enveloppe soit ouverte et comptée", comme il l’a dit avant les résultats.
Le pire est à venir
La démographie est un facteur crucial dans cet Israël en mutation, et les chiffres le prouvent. Les populations orthodoxes et les colons ont le taux de natalité le plus élevé de la société israélienne. C’est un fait.
L’alliance que le laïc Netanyahou a scellée avec les orthodoxes il y a des années était une décision politiquement intelligente. Aucun autre secteur n’est aussi loyal.
Un autre facteur important dans les résultats est la réaction aux événements violents de mai 2021, au cours desquels des violences meurtrières entre citoyens palestiniens et juifs ont secoué des villes binationales.
Cette expérience traumatisante pour les deux parties a laissé un résidu de méfiance et de peur.
Une campagne de peur menée par la droite a prospéré sur ce terrain fertile ; Ben-Gvir était la bonne personne au bon moment pour en tirer le meilleur parti.
Une fois de plus, la gauche n’a proposé aucun programme alternatif et n’a pas su répondre à ce sentiment. Tout comme dans d’autres pays, dans un monde baigné par la peur, la droite radicale et fasciste prospère.
Les questions immédiates tournent maintenant autour de ce que sera le programme du futur gouvernement.
À en juger par les premières déclarations des représentants du Likoud, ceux qui ont été autorisés à faire des commentaires, la "réforme" du système judiciaire figurera en bonne place dans l’ordre du jour.
Ils disent "réformes", mais il s’agira probablement d’une révolution à grande échelle visant à affaiblir le système judiciaire et à donner du pouvoir aux politiciens de la Knesset, comme l’a déjà souligné Smotrich pendant la campagne.
Cela signifie que le nouveau gouvernement travaillera probablement sur une législation qui pourrait entraver le procès de la corruption présumée de Netanyahou.
Le député du Likoud Mickey Zohar a été clair sur ce à quoi il faut s’attendre pour la suite : "La principale différence sera que cette fois, nous allons vraiment gouverner."
Une déclaration qui ressemble plus à une menace qu’à une promesse, signe que le pire est encore à venir.
Traduction : AFPS