« State business – Business d’État », c’est ainsi que s’intitule le dernier rapport de l’ONG israélienne B’Tselem publié en novembre 2021. Ce titre sans appel désigne l’entreprise d’appropriation illicite de terres en Cisjordanie par Israël, par l’intermédiaire de la violence des colons. Ces agressions, dont on pourrait penser qu’elles relèvent d’initiatives propres à certains groupes ou à certaines communautés, sont en fait un « outil informel majeur » d’une « forme de politique du gouvernement ». Autrement dit, une entreprise pensée et dirigée à partir du sommet de l’État.
À première vue, la colonisation en Cisjordanie semble s’imposer de deux façons : par la confiscation territoriale orchestrée par l’État et par la violence des colons. Ce que démontre B’Tselem, c’est que ces moyens découlent d’une seule et même stratégie : la violence des colons est l’outil de la confiscation progressive des terres palestiniennes. Ou pour reprendre les termes exacts du rapport : « La violence des colons est une forme de politique gouvernementale, autorisée et soutenue par les instances officielles de l’État, avec leur participation active ».
L’enquête de l’ONG israélienne analyse le processus de légalisation de la confiscation des terres et celui de la légitimation de la violence physique contre les Palestiniens.
La légalisation de la confiscation est très bien illustrée par le cas des postes avancés. Depuis la loi de 1992 sur l’arrêt de la construction des colonies, il y a eu trois vagues d’implantation de ces pré-colonies : une première de 50 avant-postes, en 1997 et 1998, juste après les accords d’Oslo. La deuxième advient au plus fort de la seconde Intifada, entre 2001 et 2003, 50 avant-postes également. Enfin, 50 autres ont été construits ces dix dernières années. L’armée a pour ordre de les défendre quand Israël ne paie pas directement pour leur sécurité, sans parler des routes goudronnées, de l’eau et de l’électricité. En mars 2011, Israël a annoncé qu’il ferait désormais une distinction officielle entre les avant-postes construits sur des terres reconnues comme étant des propriétés privées des Palestiniens et les terres qu’Israël considère comme des « terres d’État ». L’État a affirmé qu’il avait seulement l’intention de supprimer les avant-postes construits sur des terres palestiniennes privées. Cette distinction, qui n’a aucune base juridique, a été acceptée par la Cour suprême d’Israël. Au final, presque tous les avant-postes sont restés en place.
Les actes de violence commis par les colons à l’encontre des Palestiniens sont documentés depuis de nombreuses années. Malgré les témoignages, les agissements des colons font partie de la vie sous occupation dans les territoires occupés. B’Tselem explique cette légitimation par le laisser-faire de l’armée qui, par principe, évite d’affronter les colons. En règle générale, les militaires préfèrent expulser les Palestiniens de leurs propres terres agricoles : ainsi, ils incarnent le rôle du bras armé de l’État qui soit participe activement aux attaques des colons, soit les regarde depuis les coulisses.
La légitimation de la violence est aussi corroborée par les suites impossibles à donner à une agression : après les autorités militaires, c’est aux instances judiciaires de faire leur part dans cette entreprise d’État. Les plaintes sont difficiles à déposer et, dans les rares cas où des enquêtes sont effectivement ouvertes, le système les blanchit rapidement. Les actes d’accusation ne sont presque jamais déposés contre les colons qui agressent les Palestiniens et quand ils le sont, ils font généralement état de délits mineurs, avec des peines symboliques à la clé dans les rares cas de condamnation.
Tout comme il est désormais établi que le système qui règne en Israël relève d’une politique d’apartheid, il est possible de démonter le mécanisme de son application sur le terrain : l’armée participe à la violence des colons contre les Palestiniens ; les autorités judiciaires assurent une quasi-immunité aux colons ; les instances politiques violent leur devoir de protection des Palestiniens auquel elles sont soumises selon le droit international. Ce business d’État a été officialisé par la loi sur l’État-nation de 2018 qui stipule que « l’État considère le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale, et agira pour encourager et promouvoir son établissement et son renforcement ».