Une après-midi du printemps 2015, un haut fonctionnaire du Département d’Etat du nom de Frank Lowenstein a parcouru un livret d’information du gouvernement et a remarqué une carte qu’il n’avait jamais vue auparavant. Lowenstein était l’envoyé spécial de l’Administration Obama pour les négociations israélo-palestiniennes, une fonction qui le mettait en face de centaines de cartes de la Cisjordanie. (L’une d’elles décorait son bureau au Département d’Etat.)
Généralement, ces cartes font que les colonies et les avant-postes juifs paraissent minuscules par rapport aux zones où habitaient les Palestiniens. La carte nouvelle du livret d’information était différente. Elle montrait de vastes étendues de territoire qui étaient inaccessibles à toute mise en valeur par les Palestiniens et qui remplissaient l’espace entre les colonies et les avant-postes. A ce moment-là, m’a dit Lowenstein, il a vu “l’arbre qui cache la forêt”—non seulement les centres de peuplement palestiniens étaient coupés l’un de l’autre mais il n’y avait pratiquement aucun moyen de faire entrer un état palestinien viable dans les zones qui restaient. L’équipe de Lowenstein a fait le calcul. Quand les colonies, les avant-postes illégaux, et les autres zones inaccessibles à la mise en valeur par les Palestiniens ont été agglomérés, ils couvraient presque soixante pour cent de la Cisjordanie.
Lowenstein a montré la petite carte au Secrétaire d’Etat John Kerry et a déclaré, “Regarde ici ce qui se passe réellement." Kerry a apporté la carte à sa réunion suivante avec le Président Obama. La carte était trop petite pour que tous les présents dans la Salle de Crise puissent la voir, aussi Lowenstein a-t-il fait faire une série de cartes plus grandes. Puis l’information a été vérifiée par les services de renseignements des E.U. La présidence d’Obama arrivait à son terme, mais Lowenstein se disait qu’il pourrait utiliser le temps qui restait pour faire prendre conscience de ce que faisaient les Israéliens. "Un jour, tout le monde va se réveiller, « Un instant, nous devons arrêter ceci pour avoir au moins la possibilité d’une solution à deux états, »" a déclaré Lowenstein.
La présentation du Département d’Etat, qui a été élaborée en 2015 et mise à jour en 2016, a montré des exemples de ce que le Département d’Etat considérait comme “provocation palestinienne” et des cartes décrivant la croissance des colonies israéliennes en Cisjordanie. L’une des cartes était intitulée « A quoi ressemble la réalité d’un Etat,” et comprenait un alinéa qui précisait, “Dans les zones cumulées d’Israël, de Jérusalem, de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, les Juifs ne représentent plus la majorité.” (les responsables israéliens ont déclaré que les Juifs et les Arabes sont en nombre égal ou presque).
Kerry rencontrait régulièrement Obama dans le Bureau Ovale. Pendant l’une de ces rencontres, Kerry a placé les cartes sur une grande table basse, l’une après l’autre, pour qu’Obama et ses conseillers puissent les étudier. Ben Rhodes, l’un des conseillers d’Obama ayant la plus grande ancienneté, a déclaré que le Président avait été choqué de découvrir de quelle façon « systématique » les Israéliens se sont appliqués à couper les centres de population palestiniens les uns des autres. Lowenstein n’a pas montré les cartes aux Israéliens, mais il leur a vraiment expliqué les conclusions principales, qui ont été intégrées dans les discours de Kerry et dans d’autres documents. Lowenstein a déclaré que les Israéliens n’ont jamais contesté ces conclusions.
Plus tard, Kerry a présenté certaines des cartes à Mahmoud Abbas, le Président palestinien. Le but de Kerry était de montrer à Abbas que l’Administration Obama avait compris dans quelle mesure la solution à deux états était menacée. Abbas a été décontenancé. Au lieu de se sentir rassuré, il a dit à une personne de confiance que les cartes l’ont convaincu que les Américains croyaient que les « chances d’un état palestinien viable étaient proches de zéro. » Alarmé par les actions israéliennes décrites sur les cartes, Obama a décidé de s’abstenir sur une résolution du Conseil de Sécurité condamnant les colonies, en permettant ainsi son adoption. Ce serait l’acte final de défiance d’Obama à l’encontre de Benjamin Netanyahu, le Premier Ministre israélien, avant que Donald Trump n’entre en fonction et mette en place des politiques qui soient beaucoup plus réceptives aux colons.
Adam Entous est rédacteur attitré au New Yorker.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers