La semaine dernière, des machines lourdes sont arrivées pour effectuer des travaux d’excavation dans le cimetière musulman de Haïfa, mais les militants appelés sur place ont réussi à trouver un accord avec les travailleurs et l’entrepreneur, et à empêcher la tentative d’endommager le cimetière. L’événement a suscité une protestation, et vendredi, une manifestation s’est tenue sur le site, malgré les intimidations des services de sécurité israéliens.
L’histoire de cette récente menace a commencé le lundi 7 février, lorsque la menace pesant sur le cimetière musulman de Balad a-Sheikh, à Haïfa, est devenue soudainement très tangible : des engins lourds de terrassement sont arrivés en bordure du cimetière et leurs opérateurs ont commencé à se préparer à creuser.
Début décembre 2021, lorsqu’une tente de protestation a été installée aux abords du cimetière, la situation n’était pas claire. Une partie du terrain a été expropriée dès les années 1950, et même si près de 70 ans se sont écoulés depuis, le cimetière continue d’exister sur le terrain. Lorsque j’ai rendu compte ici de la lutte pour la reconnaissance du cimetière, j’ai écrit avec prudence que "de nouveaux plans de construction sont à craindre."
Les mesures de précaution et le gardiennage continu dans le cimetière se sont avérés nécessaires. Lorsque les engins sont arrivés, les militants appelés sur les lieux ont fait comprendre au personnel qu’il s’agissait d’un cimetière. Les ouvriers, tous arabes, ont immédiatement refusé d’effectuer tout travail sur le site. À leur suite, l’entrepreneur juif a annoncé que lorsqu’il avait été engagé pour travailler sur le site, on ne lui avait pas dit qu’il s’agissait d’un cimetière, et qu’il n’avait pas l’intention d’effectuer les travaux.
L’affaire ayant été close par un accord entre les militants et les travailleurs, les forces de police envoyées pour sécuriser le travail n’avaient plus rien à faire.
Le cimetière, fondé dans les années 1930 sur une superficie de 44 dunams, était utilisé non seulement par Balad a-Sheikh lui-même, mais aussi par la communauté musulmane de Haïfa et des villes et villages environnants. De nombreuses familles de la région ont des membres de leur famille enterrés là.
Le cheikh Izz ad-Din al-Qassam, qui était l’imam de la mosquée al-Istiqlal de Haïfa et un dirigeant clé de la communauté palestinienne, ainsi qu’un leader éminent de la résistance à l’occupation britannique de la Palestine et à la colonisation sioniste, a également été enterré dans ce cimetière en 1935. C’est pour cette raison qu’il est depuis appelé le "cimetière Al-Qassam" (par opposition à l’ancien cimetière de Balad a-Sheikh lui-même, nommé d’après le cheikh al-Sahli), et qu’il revêt une importance symbolique pour l’ensemble du patrimoine palestinien.
Depuis les années 1950, le cimetière de Balad a-Sheikh a fait l’objet d’expropriations, de tractations corrompues de la part de fonctionnaires et de luttes juridiques et publiques pendant des décennies.
Ces dernières années, le tribunal de Krayot (banlieue nord de Haïfa) a entendu un procès intenté par une société nommée "Kirur Ahzakot", qui revendique la propriété d’une grande partie de la zone expropriée, contre les administrateurs du Waqf al-Istiqlal. À la fin de l’audience, le tribunal a rejeté la demande de la société d’obliger les administrateurs à libérer les tombes. Il a statué que si la société voulait libérer les tombes, elle devait d’abord soumettre des plans de construction et, si les plans de construction l’exigeaient, présenter une demande de libération des tombes à l’autorité compétente du ministère de la Santé.
Pendant ce temps, la société tente de "raccourcir la procédure" et d’établir les faits sur le terrain, en se cachant derrière les entrepreneurs et les promoteurs. La police, au lieu de prévenir leurs actions, concentre sans surprise son attention sur ceux qui tentent de garder le cimetière.
La tentative d’attaque du cimetière a été diffusée presque en temps réel sur les médias arabes, et a provoqué de nombreuses réactions sur les médias sociaux. La presse hébraïque, comme d’habitude, a ignoré l’incident. Le soir du jour de l’attaque, dans la tente de protestation, se sont réunis les administrateurs du Waqf al-Istiqlal, les représentants des familles des personnes enterrées et le comité de la tente, ainsi que des représentants de groupes de protestation et des jeunes des quartiers arabes de Haïfa. Ils ont décidé d’organiser une manifestation de protestation vendredi à 2 heures de l’après-midi.
Avant la manifestation, plusieurs organisateurs et militants ont reçu des appels de personnes se présentant comme des membres de la police ou du Shabak (GSS), qui ont tenté de les dissuader de manifester. J’ai moi-même été étonné de recevoir un appel d’une personne qui s’est présentée comme "Amichai du Shabak", et qui a essayé de me persuader d’"user de mon influence" pour "empêcher la violence" lors de la manifestation.
Malgré les menaces, plusieurs dizaines de militants sont venus à la manifestation vendredi. La police, renforcée par les forces spéciales, a encerclé la zone et bloqué à l’avance une partie de la circulation au carrefour. Avant même le début de la manifestation, la police a exigé que les drapeaux palestiniens ne soient pas hissés près de la route principale.
Plusieurs jeunes femmes portant des drapeaux ont été arrêtées par la police près du poste de contrôle, tandis que le reste des manifestants se sont alignés le long de la route principale, sur un pont construit au-dessus du cimetière. Enfin, un grand drapeau palestinien est également apparu au centre de la manifestation. La presse a déclaré plus tard que c’était probablement la première fois qu’un drapeau palestinien était hissé dans la ville de "Nesher" (comme la zone est maintenant appelée) depuis que les premiers résidents de Balad a-Sheikh ont été expulsés en 1948.
Les manifestants portaient des pancartes en arabe, hébreu et anglais, demandant que le cimetière soit respecté et ne soit pas endommagé. Certaines de ces pancartes accusaient directement les entreprises concernées, "Kirur Ahzakot" et "Gold Line", ainsi que l’establishment israélien, d’avoir endommagé le cimetière, et appelaient au boycott de leurs produits.
Certains des appels lancés lors de la manifestation ont également fait référence à l’attaque des cimetières comme l’une des caractéristiques de l’État d’apartheid. Le cheikh Raed Salah, leader du Mouvement islamique, récemment libéré d’une longue peine de prison, s’est également joint à la manifestation et a été accueilli avec enthousiasme par les manifestants.
De l’autre côté de la route, une petite contre-manifestation a eu lieu, accompagnée de photos du membre de la Knesset d’extrême-droite Itamar Ben Gvir et d’une grande affiche appelant à rejoindre son organisation, "Pouvoir juif".
Pendant ce temps, les dommages au cimetière ont été évités, et la tentative de les endommager n’a fait que provoquer et renforcer l’appel à l’arrêt de tous les plans de démolition et la demande de reconnaissance du cimetière et de restitution de la totalité de son terrain au Waqf. Dans le même temps, les craintes se sont intensifiées quant à une nouvelle tentative de monter des bulldozers dans le cimetière, qui pourrait être appuyée par l’utilisation d’une force massive, comme la police le fait régulièrement pour forcer des démolitions contre la population arabe palestinienne.
À la fin de la manifestation, les militants se sont réunis sous une tente pour discuter des moyens d’étendre la lutte.
Traduction : AFPS