Des bénévoles de l’association palestinienne Faz3a, dont les membres accompagnent les cueilleurs d’olive pour les protéger des attaques par les colons, comblent un vide. C’est un vide que les forces de sécurité de l’Autorité Palestinienne n’ont jamais pu combler dans les zones B et C de Cisjordanie, où les Accords d’Oslo leur interdisent d’intervenir.
Des dizaines de milliers de jeunes Palestiniens s’entraînent aux arts martiaux et aux maniements des armes en vue du recrutement par les forces de sécurité palestiniennes, qui comprennent la police. Dans le cadre des accords avec Israël, ils doivent aider le service de sécurité du Shin Bet et l’armée à surveiller les Palestiniens, à les arrêter et à les interroger.
Ils sont censés éviter tout dommage aux citoyens israéliens. Mais il leur est interdit de protéger les civils palestiniens contre les attaques par des voyous qui sont des citoyens israéliens.
Tout ce que l’AP peut faire c’est de « condamner » la violence. Ses organismes de sécurité ont la possibilité de transmettre les plaintes des Palestiniens agressés à la police israélienne (avant que la coordination ne soit interrompue en mai), et retranscrire les détails des agressions.
Au début du mois, les organes de presse palestiniens ont rapporté la création de l’association Faz3a en vue de la récolte des olives de 2020. Ils ont cité l’un de ses créateurs, Mohammed al-Khatib de Bil’in, comme ayant déclaré que le faza’a – terme arabe désignant la réponse à un appel à l’aide pendant une guerre – est une tradition palestinienne consistant à venir au secours des populations dans les époques de troubles.
Les opérations de faza’a en 1948 sont gravées dans la mémoire collective palestinienne, lorsque les habitants des villages palestiniens ont rassemblé leurs armes tirées de leurs cachettes et sont allés aider les combattants palestiniens organisés, pour lutter contre les membres armés de la communauté juive.
La cueillette des olives n’est pas seulement une quelconque activité agricole saisonnière ou source de revenus. C’est un évènement familial culturel, multi-générationnel et festif que chacun attend avec impatience. Des familles entières y prennent part, jeunes et vieux, et la manière de procéder est une technique enseignée par les grands-parents.
Mais dans des dizaines de villages de Cisjordanie, la cueillette des olives et l’agriculture en général sont devenues des activités dangereuses, mettant même la vie en danger, en raison de la proximité des avant-postes en expansion constante et des colonies qui donnent naissance à ces avant-postes. La violence des colons et le refus des autorités israéliennes de les faire cesser ont eu une effet dissuasif : tout le monde n’ose pas prendre de risque, tout le monde ne veut pas amener les femmes et les enfants, de peur de les mettre en péril.
Violence tout au long de l’année
Contrairement au faza’a de 1948, les bénévoles aujourd’hui n’ont pas d’armes, mais seulement de la détermination, du courage et une conscience politique. Ils savent qu’une renonciation des paysans et des villages contribue à la désintégration sociale.
Khatibi a fait partie des créateurs du comité de coordination de la résistance populaire contre la barrière de séparation construite par Israël au début des années 2000 et il a pour ceci été arrêté, a été jugé et est allé en prison. Si l’on veut tirer des conclusions de son passé, les bénévoles prennent en considération l’éventualité que l’armée puisse les arrêter. Quand il s’agit de Palestiniens, même l’auto-défense peut être considérée en Israël comme un crime et comme un motif d’arrestation.
Faz3a déclare que jusqu’ici environ 200 bénévoles y ont adhéré, et s’attendent à travailler pendant environ trois semaines jusqu’à ce que la cueillette soit terminée. Mais la violence n’est pas saisonnière. C’est un problème tout au long de l’année, et les paysans palestiniens sont seuls dans la bataille, comme si c’était un problème personnel, et non pas une des méthodes directes et indirectes d’Israël pour rétrécir l’espace palestinien.
La violence pendant la cueillette des olives n’est qu’un des nombreux dispositifs israéliens qui ont eu un effet dissuasif ou qui ont tué le plaisir de cultiver. Dans certaines régions l’armée refuse systématiquement aux Palestiniens tout accès à leurs terres « pour éviter toute friction » avec des colons violents, sauf pendant trois moments par an, pour quelques jours chaque fois : pour semer, pour labourer et pour moissonner, et pour les arbres, pour cueillir, pour tailler et pour labourer.
Ces paysans ont dû abandonner l’habitude de cultiver des légumes parmi les arbres pour la consommation privée ou pour une commercialisation à petite échelle. Dix ou même vingt jours d’accès par an ne sont pas suffisants, bien que certains propriétaires de terres au-delà de la barrière de séparation se soient transformés, contre leur gré, en agriculteurs de 10-jours-par-an.
On peut voir un exemple de ceci dans des villages comme Biddu et Beit Ijza, dont les vergers sont entourés et bouclés par d’importantes étendues uniquement israéliennes que les colonies de Givat Ze’ev et Givon ont créées.
« A une époque les vergers étaient un lieu de détente pour toute la famille le vendredi », a déclaré un habitant de Biddu alors qu’il attendait que les soldats ouvrent un portail pour qu’il aille sur sa terre. « Nous pouvons venir travailler ici quelques fois par semaine. Maintenant accéder à cet espace est comme rendre visite à un prisonnier en prison ».
Moins de permis attribués
Des milliers de familles palestiniennes possèdent des dizaines de milliers de dunams [1] de terres agricoles fertiles qui ont été emprisonnées au-delà de la barrière israélienne. La barrière comporte 74 portails qui permettent aux paysans de traverser pour atteindre leurs terres. Quarante-six d’entre eux sont définis comme « saisonniers » et ne sont ouverts que quelques jours par an. Vingt-huit sont censés être ouverts tous les jours ou au moins trois fois par semaine.
Les soldats arrivent, ouvrent et ferment les portails un court moment après, trois fois par jour. Depuis que la barrière a été construite, Israël a progressivement durci ses conditions d’obtention d’un permis pour accéder aux terres agricoles. Le nombre de permis a diminué, et donc, il en a été de même pour le nombre des membres de la famille qui peuvent atteindre les vergers. Les jeunes en particulier se montrent de moins en moins intéressés à endurer les tracas.
Chaque permis n’est délivré qu’après une course d’un bureau de l’Administration Civile Israélienne [2] à un autre. Le manque de main-d’oeuvre est perceptible par le nombre d’épineux parmi les arbres, ainsi que par les feuilles mortes et les fruits non cueillis. Parfois les paysans doivent passer par un portail assez éloigné et se rendent alors à pied vers leurs parcelles, parce qu’ils n’obtiennent pas tous un permis pour entrer avec un tracteur, ou avec un âne et une charrette.
En dehors du temps prévu d’ouverture des portails, les paysans n’ont aucun contrôle sur ce qui se passe sur leurs terres. Des récoltes et des équipements sont volés. Des ordures y sont déversées. Il y a des incendies, soit en raison de négligences, soit en raison du tir par un soldat d’une grenade assourdissante ou d’une bombe de gaz lacrymogène ; les paysans palestiniens sont dépendants de la bonne volonté des pompiers israéliens pour éteindre ces brasiers.
Ici les bénévoles de Faz3a ne sont d’aucun secours. Bien qu’il s’agisse de terres palestiniennes publiques et privées, faisant partie de la Cisjordanie, ils sont empêchés d’y parvenir. Seuls les Israéliens et les touristes étrangers peuvent accéder librement à ces terres palestiniennes.
L’attitude des Palestiniens face à cette situation se situe quelque part entre le fait de se sentir quelque peu navré pour l’Autorité Palestinienne et celui d’être en colère et de la ridiculiser. « Que peut-elle faire ? » se demandent les paysans quand l’accès à leurs terres est bloqué par la violence des colons ou par les règles de l’Administration Civile.
Certaines personnes tirent la conclusion de cette situation d’impuissance que « ils ne s’y intéressent même pas à l’AP ». C’est ainsi que Israël agrandit l’écart et le sentiment d’aliénation et de défiance entre les citoyens palestiniens et un pouvoir autonome palestinien neutralisé.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS