Oliver Holmes à Jérusalem et Hazem Balousha à Gaza
Israël se félicite d’une campagne de vaccination impressionnante et en un temps record, ayant fait les premieres piqûres contre le coronavirus à plus d’un dixième de la population. Mais les Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie occupée par Israël ne peuvent que regarder et attendre.
Alors que le monde accélère ce qui est déjà en passe de devenir une campagne de vaccination très inégale - les habitants des nations les plus riches étant les premiers à être vaccinés - la situation en Israël et dans les territoires palestiniens fournit un exemple frappant de la division.
Israël transporte des lots du vaccin Pfizer/BioNTech profondément en Cisjordanie. Mais ils ne sont distribués qu’aux colons juifs, et non aux quelque 2,7 millions de Palestiniens qui vivent autour d’eux et qui pourraient devoir attendre des semaines ou des mois.
« Je ne sais pas comment, mais il doit y avoir un moyen de faire aussi de nous une priorité », a déclaré Mahmoud Kilani, un entraîneur sportif de 31 ans de la ville palestinienne de Naplouse. « Qui se soucie de nous ? Je pense que personne ne s’accroche à cette question ».
Deux semaines après le début de sa campagne de vaccination, Israël administre plus de 150.000 doses par jour, ce qui représente les premières piqûres pour plus d’un million de ses 9 millions de citoyens - une proportion plus élevée de la population que partout ailleurs.
Des centres de vaccination ont été installés dans les stades et sur les places centrales. Les personnes de plus de 60 ans, les personnels de santé, les soignants et les populations à haut risque sont prioritaires, tandis que les jeunes en bonne santé qui se rendent dans les cliniques sont parfois récompensés par un stock excédentaire pour éviter le gaspillage de flacons inutilisés.
Le premier ministre, Benyamin Netanyahou, a dit aux Israéliens que leur pays pourrait être le premier à sortir de la pandémie. Outre un système de santé très avancé, cette rapidité pourrait s’expliquer en partie par des raisons économiques. Un fonctionnaire du ministère de la santé a déclaré que le pays avait payé 62 $ (50,40 €) la dose, par rapport aux 19,50 $ (16 €) que payent les États-Unis.
Pendant ce temps, l’Autorité palestinienne, à court d’argent, qui maintient une autonomie limitée dans les territoires, se précipite pour obtenir des vaccins. Un fonctionnaire a suggéré, peut-être avec optimisme, que les vaccins pourraient arriver dans les deux prochaines semaines.
Cependant, lorsqu’on l’a interrogé sur le délai, Ali Abed Rabbo, directeur général du ministère palestinien de la santé, a estimé que les premiers vaccins arriveraient probablement en février.
Celles-ci se feraient par le biais d’un partenariat appelé Covax, visant à aider les pays plus pauvres, et dirigé par l’Organisation Mondiale de la Santé, qui s’est engagée à vacciner 20% des Palestiniens. Pourtant, les vaccins destinés au Covax n’ont pas encore obtenu l’approbation de l’OMS pour une « utilisation d’urgence », condition préalable au début de leur distribution.
Gerald Rockenschaub, le chef de service de l’OMS à Jérusalem, a déclaré qu’il pourrait s’écouler « du début à la mi-2021 » avant que les vaccins du programme Covax ne soient disponibles pour être distribués dans les territoires palestiniens.
Le reste des doses devrait arriver par le biais d’accords avec des sociétés pharmaceutiques, mais aucun n’a apparemment été signé à ce jour.
Malgré ce retard, l’Autorité n’a pas officiellement demandé l’aide d’Israël. La coordination entre les deux parties s’est arrêtée l’année dernière après que le président palestinien a coupé les liens de sécurité pendant plusieurs mois.
Mais Rabbo a déclaré que des « réunions » avec Israël avaient eu lieu. « Jusqu’à ce moment, il n’y a pas d’accord, et nous ne pouvons pas dire qu’il y a quelque chose de pratique sur le terrain à cet égard » , a-t-il dit.
Les responsables israéliens ont suggéré qu’ils pourraient fournir des vaccins excédentaires aux Palestiniens et prétendent qu’ils ne sont pas responsables des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, en rappelant les accords provisoires des années 1990 qui exigeaient que l’autorité respecte les normes internationales de vaccination.
Ces accords prévoyaient un accord de paix plus complet dans un délai de cinq ans, un événement qui ne s’est jamais produit. Près de trois décennies plus tard, des associations israéliennes, palestiniennes et internationales de défense des droits ont accusé Israël de se soustraire pendant la pandémie à ses obligations morales, humanitaires et juridiques en tant que puissance occupante.
Gisha, une association israélienne de défense des droits, a déclaré que les efforts déployés jusqu’à présent par les Palestiniens pour chercher des vaccins ailleurs « ne dispensent pas Israël de sa responsabilité suprême envers les Palestiniens sous occupation » .
Les disparités pourraient éventuellement voir les Israéliens revenir à une certaine forme de normalité au cours des trois premiers mois de cette année, tandis que les Palestiniens resteraient piégés par le virus. Cela pourrait avoir un impact négatif sur l’objectif d’immunité collective d’Israël, car des milliers de Palestiniens de Cisjordanie travaillent en Israël et dans les colonies, ce qui pourrait maintenir les taux d’infection à un niveau élevé.
À Gaza, enclave ruinée sous blocus israélo-égyptien, le délai pourrait être encore plus long qu’en Cisjordanie. Les dirigeants islamistes de la bande de Gaza, le Hamas, n’ont pas réussi à contenir le virus et sont les ennemis d’Israël et les rivaux politiques de l’Autorité palestinienne.
Salama Ma’rouf, chef du bureau de presse de Gaza dirigé par le Hamas, a estimé que les vaccins arriveraient « dans les deux mois », ajoutant qu’il y avait une coordination avec l’OMS et l’Autorité palestinienne.
Heba Abu Asr, 35 ans, habitante de Gaza, a été choquée lorsqu’on lui a demandé ce qu’elle pensait du fait que d’autres personnes soient vaccinées en premier. « Essayez-vous sérieusement de nous comparer à Israël ou à un autre pays ? » a-t-elle demandé. « Nous ne pouvons pas trouver de travail, de nourriture ou de boisson. Nous sommes menacés en permanence. Nous n’avons même pas les moyens de vivre ».
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS