Photo : Des Palestiniens déplacés retournent dans leurs maisons à Khan Younis après le retrait des troupes israéliennes de la province, avril 2024 © Quds News Network
Au cours de la 17e nuit du ramadan, période propice à la prière, à la réflexion et à la miséricorde, Gaza a brûlé. Une fois de plus, nos écrans se remplissent d’images trop poignantes pour être décrites : des corps minuscules enveloppés dans des tissus tachés de sang, des pères portant les restes de leurs enfants dans des sacs en plastique, des mères hurlant dans des cieux qui font pleuvoir la mort au lieu de la miséricorde. En moins d’une heure, les frappes aériennes israéliennes ont tué plus de 350 Palestiniens, dont 90 enfants. Des familles entières ont été anéanties par les bombes qui se sont abattues sur des zones qu’Israël avait lui-même désignées comme « sûres », transformant de prétendus sanctuaires en charniers.
Il ne s’agit pas seulement d’une reprise de la violence. Il s’agit de la poursuite d’un génocide qui n’a jamais connu de véritable pause, qui s’est seulement atténué suffisamment pour disparaître des gros titres tandis que les Palestiniens continuaient à mourir par dizaines chaque jour. La lourdeur de ce moment est insupportable, rappelant la fracture de l’année passée qui n’a pas encore été cicatrisée. Le fait que ce massacre se poursuive sous les yeux du monde révèle à quel point les puissances mondiales sont devenues indifférentes à la souffrance des Palestiniens, à quel point un peuple entier doit être déshumanisé pour que son massacre soit débattu sous l’angle des « préoccupations de sécurité ».
Ces nouvelles atrocités soulignent la réalité à laquelle les Palestiniens sont confrontés depuis des mois. Dans les ruines de Gaza, alors que le « cessez-le-feu » est sans cesse violé, les Palestiniens sont confrontés non seulement à la tâche monumentale de la reconstruction, mais aussi à une lutte pour savoir qui contrôlera leur avenir. Depuis le 2 mars, Israël n’a autorisé aucune aide, en particulier en matière de nourriture et de reconstruction, alors que les habitants de Gaza meurent de faim pendant le ramadan. À leur retour, les familles découvrent des quartiers réduits à l’état de ruines et sont confrontées à des visions concurrentes de la reconstruction de Gaza, y compris à des propositions qui menacent leur existence même sur le territoire.
Le président Trump a récemment suggéré de transformer Gaza en une « Riviera du Moyen-Orient » en réinstallant ailleurs ses 1,8 million de résidents palestiniens. Cette proposition révèle une profonde incompréhension du lien qui nous unit à notre patrie, un lien qui transcende la simple résidence et qui est au cœur de l’identité palestinienne.
Lorsque des personnes extérieures demandent pourquoi les Palestiniens ne quittent pas Gaza, ou la Cisjordanie où la violence est de plus en plus génocidaire, elles ne comprennent pas que cette terre n’est pas seulement l’endroit où nous vivons - c’est ce que nous sommes. Notre relation avec ce sol a été cultivée au fil des générations. Depuis 1967, Israël a systématiquement déraciné au moins 2,5 millions d’arbres dans le territoire palestinien occupé, dont près d’un million d’oliviers. Les oliviers qui parsèment notre paysage incarnent notre histoire, notre résilience et notre appartenance à la terre, cultivées au fil des générations de déplacements.
La question n’est pas de savoir pourquoi les Palestiniens retournent dans les quartiers détruits, mais pourquoi on s’attendrait à ce que nous ne le fassions pas. Les Palestiniens reviennent parce que Gaza est leur maison. Les décombres sous leurs pieds ne sont pas des débris ; ils contiennent des souvenirs, des histoires et les fondations de maisons où des générations sont nées et ont été enterrées. Là où les décombres sont devenus un charnier pour 50 000 Palestiniens.
Selon la dernière évaluation des Nations unies, la reconstruction de Gaza et de la Cisjordanie nécessitera 53,2 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie : 29,9 milliards pour les infrastructures physiques et 19,1 milliards pour les pertes économiques et sociales. Ces efforts de reconstruction sont le résultat de 85 000 tonnes de bombes larguées sans discernement sur l’ensemble du territoire de Gaza. Derrière ces chiffres stupéfiants se cache une question plus fondamentale : les Palestiniens seront-ils autorisés à reconstruire ou seront-ils écrasés par la reconstruction ?
La réponse doit venir des Palestiniens eux-mêmes. L’avenir de la Palestine sera déterminé par, avec et pour les Palestiniens - quelle que soit la forme que nous choisissons. Ce n’est pas aux États-Unis, à Israël ou aux États arabes, qui ont assisté à la mort de notre peuple, de décider ce qui est le mieux pour nous. Sans les Palestiniens, les efforts de reconstruction ne font que perpétuer le cycle de la violence et de la dépossession. Nous ne sommes pas des pièces sur leur échiquier géopolitique. Nous sommes un peuple qui a un droit inaliénable à l’autodétermination, et la reconstruction doit servir ce droit - et non le subvertir.
Les défis immédiats sont écrasants. Plus de 80 % de l’infrastructure physique de Gaza a été décimée - routes, centrales électriques, installations d’eau, écoles, universités et tous les hôpitaux, en violation du droit international et de la moralité la plus élémentaire. Il faudra des décennies pour déblayer plus de 50 millions de tonnes de décombres et de munitions non explosées et rétablir un semblant de normalité.
Pourtant, au milieu de cette dévastation, les Palestiniens font preuve d’une résilience remarquable. Des journalistes ont documenté le retour de personnes dans le nord de la bande de Gaza, l’installation de tentes sur des sites de démolition et même le début de travaux de construction de nouveaux bâtiments. Le « cessez-le-feu » stipulait que 60 000 caravanes et 200 000 tentes auraient dû entrer à Gaza pour aider à loger les Palestiniens déplacés de force ; seules 20 000 tentes et aucune caravane sont entrées, Israël faisant obstruction à l’aide. Cependant, Israël a bien lancé des bombes alors que des enfants dormaient ; 70 % des personnes assassinées depuis qu’Israël a repris ses violences sont des femmes et des enfants. À Jabalia, des hommes ont été vus en train de construire les murs de leur maison détruite - un symbole puissant de la détermination à rester. La destruction a été totale, mais les Palestiniens restent inébranlables comme des montagnes solides. Les Palestiniens sont enracinés dans la terre, il n’y a pas d’alternative.
Israël pense-t-il qu’en détruisant les pierres, les Palestiniens partiront ? Comme si leurs villes n’étaient pas déjà construites sur les ossements de nos ancêtres.
Cette détermination n’est pas un optimisme naïf, c’est la reconnaissance du fait qu’exister, c’est résister. Nous ne demanderons pas la permission de raconter notre douleur. Nous n’attendrons pas d’être des victimes parfaites pour gagner notre humanité. Gaza est le lieu de la résistance, enracinée dans chaque olivier, chaque graine, chaque tombe. Nous ne construisons pas parce que nous sommes certains que nos maisons resteront debout pour toujours ; nous construisons parce que cesser de construire, c’est se rendre. Après les précédents bombardements, les habitants de Gaza récupéraient le béton des maisons détruites pour le concasser et en faire du gravier pour les nouvelles structures. D’autres extrayaient des barres d’armature des murs endommagés pour renforcer les nouvelles constructions.
Dans la même interview, le président Trump a également suggéré que les Palestiniens partent pour ne plus avoir à « s’inquiéter de mourir ». Les Palestiniens n’ont pas peur de la mort - nous avons peur d’être tués systématiquement. La solution n’est pas de supprimer les victimes, mais d’arrêter ceux qui tuent. Gaza n’a pas besoin d’être réaménagée comme s’il s’agissait d’une chambre d’hôtel vide ; il faut mettre fin au cycle de destruction.
Lorsque je réfléchis aux espoirs des Palestiniens, je suis frappé par la simplicité de leurs rêves. Les Palestiniens veulent trouver du travail, construire des maisons, aller à la plage, peut-être voyager en sachant qu’ils pourront revenir. Les Palestiniens rêvent d’un aéroport, d’un port maritime, d’accueillir des touristes, de prier à la mosquée Al-Aqsa et de retourner dans les villages où vivaient leurs grands-parents.
Ce dont Gaza a besoin aujourd’hui est immédiat : il faut rétablir la vie, de toute urgence et sans hésitation. Elle a besoin d’enseignants pour les enfants qui ont été privés non seulement de salles de classe, mais de l’enfance elle-même. Elle a besoin d’enterrements dignes pour les morts, ceux dont les noms sont griffonnés sur leurs membres afin qu’ils puissent être reconnus sous les décombres. Elle a besoin de semences et de terre, non seulement pour replanter des cultures, mais aussi pour nourrir ceux qui ont été affamés de force. Elle a besoin d’hôpitaux où les femmes ne sont pas contraintes d’accoucher sans anesthésie, où les blessés ne sont pas condamnés à mourir par manque d’électricité.
Et surtout, Gaza a besoin que le monde considère les Palestiniens comme des personnes - des personnes qui méritent la vie, la liberté et la solidarité.
Si l’aide internationale est cruciale, elle ne peut être assortie de conditions qui portent atteinte à la souveraineté palestinienne. L’aide étrangère ne doit pas être conditionnée à l’acceptation d’un contrôle étranger. Elle ne doit pas être utilisée pour obtenir des concessions politiques ou normaliser les relations avec une puissance occupante. La véritable solidarité consiste à soutenir la reconstruction menée par les Palestiniens sans imposer d’ordre du jour extérieur.
La lettre adressée en février par les ministres arabes des affaires étrangères au secrétaire d’État Rubio parle de la mise en œuvre d’un « plan pour réaliser la solution à deux États ». Cependant, tout plan doit commencer par la reconnaissance de l’agence palestinienne. Sans une participation palestinienne significative, sans le respect de notre droit à choisir notre propre avenir politique, ces plans restent des gestes creux. Et attendre des Palestiniens qu’ils acceptent une solution de la part de ceux qui ont tenté de les effacer complètement revient à demander aux blessés de faire confiance à la main qui tient encore le couteau ensanglanté.
Les défis à relever sont énormes, mais la détermination des Palestiniens l’est tout autant. Alors qu’Israël continue de bombarder des Palestiniens affamés, leur refus d’abandonner notre terre n’est pas de l’entêtement mais l’existence même. Alors qu’Israël continue d’assassiner des journalistes palestiniens comme Hossam Shabat, nous veillerons à ce que le monde ne se contente pas de voir leurs crimes, mais qu’il s’en souvienne. Face à ceux qui veulent nous rendre la vie impossible, nous continuerons à trouver des moyens de rester. Nous reconstruirons non pas en fonction de la vision de quelqu’un d’autre, mais en fonction de nos propres besoins et aspirations.
Reconstruire c’est plus que rebâtir, c’est résister. C’est notre refus d’être effacés, notre détermination à rester et notre croyance inébranlable en notre droit d’exister sur notre terre. Rien n’est plus important que de rester. Rien n’est plus révolutionnaire que le retour. Et rien n’est plus certain que nous reconstruirons la Palestine de nos propres mains, pour notre propre peuple, selon nos propres conditions.
Traduction : AFPS