Suite aux résultats des élections
palestiniennes, les Etats-Unis ont
annoncé qu’ils arrêtaient les aides
directes au gouvernement palestinien [1],
le Hamas étant sur la liste des organisations
terroristes. Immédiatement
après, l’Union européenne [2]-notamment- prenait la même
décision, avec les mêmes
arguments [3]. Néanmoins-humanisme oblige-, tous
déclaraient urbi et orbi
qu’ils n’arrêteraient pas
l’aide humanitaire, ne
voulant pas « affamer et
faire souffrir » la population
palestinienne. Il
est vrai que, dès
l’annonce de la suspension
des aides,
même la Banque
mondiale avait tiré
la sonnette d’alarme
et chiffrait la crise existante
et à venir [4].
Très vite, différentes institutions
internationales et diverses
ONG [5] ont publié des rapports
circonstanciés sur le drame que constituaient
l’arrêt des aides internationales
et le refus d’Israël de rétrocéder les taxes
dues à l’Autorité palestinienne (ANP).
Le constat est unanime. La situation
dans les Territoires palestiniens était
déjà alarmante du fait essentiel de l’occupation
israélienne [6]. Si l’Autorité palestinienne,
déjà déficitaire avant les élections,
ne peut plus compter sur l’aide
internationale, une crise humanitaire
sans précédent s’annonce d’ores et déjà.
Devant cette levée de boucliers, pour
éviter une catastrophe humanitaire désastreuse
pour leur image de marque, les pays
donateurs ont -sans concertation avec
les intéressés- inventé de faire passer les
fonds via des institutions internationales
(surtout ONU) et des ONG choisies.
Vu le rejet de cette solution par les
agences onusiennnes et les ONG, le
Quartette s’est réuni le 15 mai pour décider
d’un mécanisme intérimaire qui permettrait
de verser les fonds sans passer
par le gouvernement. D’après la commissaire
européenne Mme Walder-Ferrero,
la tâche sera difficile et la contribution
des Etats-Unis à ce système,
douteuse [7].
Réponses des institutions internationales
Avec une belle unanimité, UNRWA et
OCHA (Bureau des Nations unies pour
la coordination des affaires humanitaires)
ont immédiatement réagi négativement.
Dans un rapport des Nations
unies daté du 11 avril 2006 [8], il est clairement
affirmé : « Les Nations Unies ne sont pas en position- ni en termes de
mandat ni en termes de capacité - de
dupliquer ou de reprendre le rôle de
l’Autorité palestinienne et d’assurer la
qualité et l’étendue de ses services à sa
place. » Avertissement réitéré [9] par
l’UNRWA qui ajoute que son objet spécifique
est de fournir de l’aide aux réfugiés
qui, vu les conditions, sont de plus
en plus nombreux à s’adresser à elle.
Dans son nouvel appel d’urgence [10],
OCHA reprend la même idée mais précise
: « L’assistance humanitaire peut
combler les manques éventuels pour
aider au maintien des services. Elle peut
amortir et ralentir la crise humanitaire
mais elle ne peut l’empêcher [11]. »
Même le CICR [12] s’est exprimé publiquement.
Il rappelle, lui aussi, que les
organismes humanitaires ne peuvent
remplacer les autorités dans leur rôle de
prestataires de services. Mais il va plus
loin en rappelant « que la puissance
occupante - dans ce cas-ci l’Etat
d’Israël - est responsable de la satisfaction
des besoins de base de la population
civile des territoires qu’elle
occupe ». Une précision qu’OCHA et la
Banque mondiale avaient déjà donnée
et sur laquelle Amnesty International [13]
argumente avec fermeté.
Quant à la Banque mondiale [14], elle
insiste sur le fait que l’ANP assurant un
vaste éventail de services, « elle ne pouvait
être sommairement remplacée par
d’autres fournisseurs de services, qu’ils
soient non-gouvernementaux, privés ou
émanant des institutions liées à la présidence
ou à l’OLP. ». Par ailleurs, elle
met le doigt sur l’absurdité de la décision
de couper les aides : « Si l’Autorité
palestinienne est paralysée pour une
période prolongée, cela pourrait torpiller
les efforts déployés par les donateurs
depuis une douzaine d’années pour
mettre en place les institutions responsables
nécessaires pour le futur Etat
Palestinien ou pour le fonctionnement
du régime de transition. ».
Malgré cela, c’est à elle que pensent les
Européens pour assurer l’acheminement
des fonds. Dans le rapport précité, la
Banque Mondiale a envisagé le problème
mais émet beaucoup de réserves
quant à un nouveau mécanisme de versement
des aides. Elle propose que les
donateurs passent plutôt par son « Emergency
Services Support Program ».
Un détail important : toutes ces institutions
demandent à Israël de reverser le
produit des taxes dues à l’Autorité palestinienne
et aux pays donateurs de
reprendre leurs aides.
Réponses des ONG
Le 10 avril, les Européens décidaient de
suspendre leur aide financière. Le 15
avril, les ONG palestiniennes répondaient.
Dans un communiqué commun,
le PNGO [15], l’Union générale des sociétés
charitables, la Commission nationale
des ONG et le Forum d’action civique
critiquent sévèrement les pressions faites
sur le gouvernement élu et les conditions
imposées à une poursuite des aides.
Tous les signataires rappellent que l’aide
internationale est partie intégrante des
accords conclus et que, loin d’être de la
charité [16], elle ressort des obligations de
la communauté internationale. Ils rejettent
tout net les tentatives de certains de
réaliser leur programme politique au travers
des ONG palestiniennes en contournant
l’ANP et refusent totalement l’idée
de remplacer l’appareil d’état.
De leur côté, les ONG françaises n’ont
pas été en reste. La Cimade, le Cemea,
le Comité catholique contre la faim,
Enfants du monde-droits de l’Homme,
Enfants réfugiés du monde, le Groupement
des retraités éducateurs sans frontière,
Médecins du monde et Secours
catholique-Caritas France [17] dénoncent
les conséquences de la décision européenne
« comme une punition collective
du peuple palestinien dans son expression
démocratique ». Elles affirment leur
résolution à intensifier leurs actions pour
venir en aide à la population mais affirment
qu’elles ne peuvent ni ne veulent
se substituer aux autorités dans leur rôle
de prestataires de services. Elles soulignent :
« L’utilisation des ONG comme
alternative pour financer les services de
base à la population contribuerait au
démantèlement des institutions palestiniennes. »
Par ailleurs, Médecins sans frontières a
pris position avec force [18] Outre qu’elle
estime « inadmissible » la proposition faite par les donateurs
de redistribuer
une partie des fonds
via les Nations unies
et autres organismes
internationaux,
l’ONG s’inquiète de
« l’avenir socio-économique
des populations
déjà lourdement
éprouvées par
des années de conflit
et d’occupation » et
refuse d’être un
auxiliaire social
d’« une mesure de
rétorsion ». MSF
affirme, comme les
autres ONG, que
l’aide humanitaire
n’a ni les compétences,
ni les moyens, ni la responsabilité
de se substituer à l’ANP. « Elle n’a
pas à prendre en charge les besoins fondamentaux
des populations vivant dans
les territoires occupés, responsabilité
qui, selon la quatrième Convention de
Genève, incombe à la force occupante,
à savoir Israël », ajoute MSF. Mais, dans
la mise au point d’avril, l’organisation va
encore plus loin : elle parle de l’éthique
des ONG qui doivent rester indépendantes
du politique : « Ne pas se démarquer
publiquement de cette proposition
d’assurer le service après-vente de la
décision des Etats-Unis et de l’Union
européenne, revient à être complice de
la sanction et à accepter le rôle d’exécutant.
De plus, pourquoi nous substituer
à un gouvernement choisi et élu ? Accepter
la proposition des Etats-Unis et de
l’UE serait aussi légitimer leur choix
politique tout en désavouant celui des
Palestiniens. »
Enfin, dans un rapport intitulé « Humanitarian
situation in Gaza six Months
after the redeployment » [19], AIDA, une
coordination d’ONG internationales travaillant
dans les Territoires occupés [20],
fait état de la détérioration de la situation
dans la bande de Gaza. Les dix-neuf
organisations signataires du rapport en
appellent au gouvernement israélien, à
l’ANP et à la communauté internationale
pour qu’ils reconnaissent que l’aide
humanitaire nécessaire au peuple palestinien
ne peut être mise en péril à cause
de développements
politiques. Par ailleurs,
ces ONG insistent sur
le fait qu’un système
parallèle à celui de
l’ANP n’est pas viable :
« Les agences des
Nations unies et les
ONG n’ont ni la capacité
ni la responsabilité
d’administrer des
services publics, surtout
quand les structures
administratives
existantes sont efficaces.
» Elles insistent
donc pour que les aides
continuent à être accordées.
Conclusion
Ni les agences de l’ONU, ni les ONG
n’ont accepté le rôle que l’Union européenne
et les Etats-Unis voulaient leur
faire jouer. Pointant les responsabilités
de la puissance occupante (Israël), elles
refusent d’assurer les services à la population
à la place de l’ANP parce qu’il y
va de l’existence d’un futur Etat palestinien.
Elles demandent à Israël de reverser
à l’ANP les sommes qu’elle doit et aux
donateurs de reprendre leur aide. Reste la
souffrance de la population palestinienne.
Marianne Blum