Le "discours historique" d’Abbas ne sera pas la première fois que le président de l’Autorité palestinienne (AP) fait pression pour un tel statut. En septembre 2011, la quête de l’AP pour une reconnaissance totale a été bloquée par l’administration de Barack Obama, obligeant les Palestiniens à opter pour la meilleure option suivante, une victoire "symbolique" à l’Assemblée générale l’année suivante. En novembre 2012, la résolution 67/19 de l’AGNU [Assemblée Générale des Nations Unies] a accordé à l’État de Palestine un statut d’observateur non membre.
D’une certaine manière, la résolution s’est avérée être, en effet, symbolique, car elle n’a rien changé sur le terrain. Au contraire, depuis, l’occupation israélienne s’est aggravée, un système alambiqué d’apartheid s’est approfondi et, en l’absence de tout horizon politique, les colonies juives illégales d’Israël se sont étendues comme jamais auparavant. De plus, une grande partie de la Cisjordanie palestinienne occupée est activement annexée à Israël, un processus qui a initié une campagne d’expulsion lente mais systématique, qui se fait sentir de Jérusalem-Est occupée à Masafer Yatta dans les collines du sud d’Hébron.
Les partisans de la diplomatie d’Abbas citent toutefois des faits tels que l’admission de la Palestine dans plus de 100 traités, organisations et conventions internationales. La stratégie palestinienne semble reposer sur l’obtention d’un statut de pleine souveraineté à l’ONU, de sorte qu’Israël soit reconnu comme un occupant, non pas simplement de "territoires" palestiniens, mais d’un véritable État. Israël et ses alliés à Washington et dans d’autres capitales occidentales l’ont bien compris, d’où leur mobilisation constante contre les efforts palestiniens. Si l’on considère les dizaines de fois où Washington a utilisé son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies pour protéger Israël, l’utilisation du veto est également probable si les Palestiniens reviennent au Conseil de sécurité avec leur demande d’adhésion à part entière.
La diplomatie internationale d’Abbas semble toutefois manquer d’une composante nationale. Le leader palestinien, âgé de 87 ans, n’est guère populaire auprès de son propre peuple. Parmi les raisons qui expliquent son manque de soutien, outre la corruption endémique, figure la "coordination sécuritaire" permanente de l’AP avec l’occupation israélienne contre laquelle Abbas s’insurge dans ses discours annuels à l’ONU. Ces "coordinations", qui sont généreusement financées par Washington, se traduisent par l’arrestation quotidienne de militants palestiniens anti-occupation et de dissidents politiques. Même lorsque l’administration de Donald Trump a décidé de couper toute aide, y compris humanitaire, aux Palestiniens en 2018, les 60 millions de dollars alloués au financement de la coordination sécuritaire de l’AP avec Israël sont restés intacts.
Une contradiction aussi importante a appris aux Palestiniens à revoir à la baisse leurs attentes concernant les promesses d’indépendance totale, bien que symbolique, de leur leader.
Mais les contradictions n’ont pas commencé avec Abbas et l’AP, et ne se terminent certainement pas avec eux. La relation de la Palestine avec la plus grande institution internationale du monde est entachée de contradictions.
Bien que la déclaration Balfour de novembre 1917 reste le principal cadre de référence historique de la colonisation de la Palestine par le mouvement sioniste, la résolution 181 des Nations unies était tout aussi importante, et dans une certaine mesure, encore plus importante.
L’importance de la déclaration Balfour découle du fait que la Grande-Bretagne coloniale - qui s’est ensuite vu accorder un "mandat" sur la Palestine par la Société des Nations, le prédécesseur de l’ONU actuelle - a pris le premier engagement officiellement écrit envers le mouvement sioniste de lui accorder la Palestine.
"Le gouvernement de Sa Majesté considère avec faveur l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif", peut-on lire dans le texte. Cette quête, ou "promesse", comme beaucoup l’appellent, n’aurait abouti à rien de tangible si les autres alliés coloniaux et occidentaux du mouvement sioniste n’avaient pas réussi à la transformer en réalité.
Il a fallu exactement 30 ans à la quête sioniste pour que la promesse du ministre britannique des affaires étrangères de l’époque, Arthur James Balfour, devienne réalité. La résolution 181 des Nations unies de novembre 1947 constitue la base politique de l’existence d’Israël. Bien que les frontières actuelles de l’État d’Israël dépassent de loin l’espace qui lui était alloué par le plan de partage de l’ONU, la résolution est néanmoins souvent utilisée pour fournir une base juridique à l’existence d’Israël, tout en réprimandant les Arabes pour leur refus d’accepter ce qu’ils percevaient à juste titre comme un accord injuste.
Depuis lors, les Palestiniens continuent de se battre dans leur relation avec les Nations unies, une relation qui est régie par de nombreuses contradictions.
En 1947, les Nations unies "étaient en grande partie un club de pays européens, d’États anglais colonisateurs blancs et de pays d’Amérique latine dirigés par des élites coloniales d’origine espagnole", a écrit Michael Lynk, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Palestine, dans un article récent concernant la partition de la Palestine historique.
Bien que la composition géographique et démographique de l’ONU ait considérablement changé depuis lors, le pouvoir réel reste concentré entre les mains des anciens régimes coloniaux occidentaux qui, outre les États-Unis, comprennent la Grande-Bretagne et la France. Ces trois pays représentent la majorité des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Leur soutien politique, militaire et autre à Israël reste plus fort que jamais. Tant que la répartition du pouvoir à l’ONU ne reflétera pas les véritables souhaits démocratiques de la population mondiale, les Palestiniens resteront désavantagés au sein du Conseil de sécurité. Même les discours enflammés d’Abbas n’y changeront rien.
Dans ses mémoires, citées dans l’article de Lynk, l’ancien diplomate britannique Brian Urquhart, "qui a contribué au lancement de l’ONU", écrit que "la partition de la Palestine a été la première décision majeure des Nations unies naissantes, sa première crise majeure et, sans doute, son premier faux pas majeur".
Mais le paradigme actuel du pouvoir de l’ONU lui permettra-t-il de corriger enfin ce "faux pas" historique en offrant aux Palestiniens la justice et la liberté tant attendues ? Pas tout à fait encore, mais les changements géopolitiques mondiaux en cours pourraient présenter une ouverture qui, si elle est exploitée correctement, pourrait être une source d’espoir qu’il existe des alternatives à la partialité occidentale, aux vetos américains et à l’intransigeance historique d’Israël.
Traduction et mise en page : AFPS / DD