Tandis que je regardais, sans intérêt particulier, Abbas accompagner Poutine pendant la “visite historique” de ce dernier à Ramallah en Cisjordanie le 29 avril 2005, une pensée déconcertante me poursuivait : quels que soient les voies politiques que prenne Abbas, ses efforts sont voués à l’échec.
- Vladimir Poutine à la Muqata’a 29 avril 2005
Il faut se pencher sur quelques idées. L’idée centrale concerne Abbas lui même, sa légitimité et sa crédibilité politique en tant que dirigeant. D’autres idées portent sur son entourage politique, les pressions internes et externes et les équilibres de pouvoir.
Contrairement au défunt dirigeant palestinien, Yasser Arafat, Abbas manque de légitimité. Ici, la légitimité est définie selon la définition qui prévaut, employée par des générations successives de Palestiniens au cours de leur révolte : un dirigeant dont le passé prouve sans l’ombre d’un doute son adhésion aux principes du combat palestinien. Abbas ne correspond guère à cette définition.
Pire, depuis l’éclatement du soulèvement palestinien en septembre 2000, Abbas et une petite clique d’individus au sein de l’Autorité palestinienne, ont été très clairs dans leur opposition au soulèvement populaire. Leurs doutes ont créé de la désunion et menacé de transformer l’opposition théorique en opposition physique. Aujourd’hui encore, on ne peut écarter cette éventualité.
Laissés à lui-même, pour combattre et mourir, depuis bientôt 5 ans, le peuple palestinien est découragé et fatigué. Que l’on en prenne conscience ne doit pas être interprété comme la fin du combat palestinien, mais cela doit servir de contexte qui définissee la relation entre Abbas et l’électorat palestinien. Les Palestiniens n’aiment pas Abbas ; ils le voient simplement comme le dernier recours et, à vrai dire, comme une porte de sortie digne, mais temporaire.
Selon une étude menée par Jennifer Lowenstein, une écrivain basée aux Etats-unis, à la fin 2004, rien qu’à Gaza, 28,483 Palestiniens se sont retrouvés sans maison, en conséquence de la destruction sur grande échelle par Israël d’habitations dans toute la Bande de Gaza. Si l’on considère l’extrême pauvreté qui règne déjà sur ce petit bout de terre, couplée à d’autres pratiques militaires multiformes oppressives des Israéliens, qui ont entraîné la mort et la dévastation, on commence vaguement à comprendre pourquoi l’arrivée de Abbas, porteur d’aussi peu de promesses et d’autant de compromission qu’il semble, constitue une occasion ironique.
Mais sans légitimité majeure, le mandat de Mahmoud Abbas ,en ce qui concerne le peuple palestinien, est plutôt limité. L’homme a la réputation d’être trop flexible sur des questions sur lesquelles on ne peut pas marchander, le droit au retour par exemple.
Et ce n’est pas la fin du dilemme d’ Abbas. Il ne fait que commencer. La question urgente et difficile est celle-ci : comment Abbas peut il coller aux attentes palestiniennes de souveraineté totale sur la Cisjordanie, Jérusalem-est et Gaza, le droit au retour des réfugiés palestiniens, le démantèlement des colonies israéliennes, jusqu’à la dernière, entre autres, à un moment où le scénario de paix prévu par les Etats-Unis et Israël est une violation de toutes ces exigences, jusqu’à la dernière.
En fait, les pré-requis palestiniens pour une paix juste et durable semblent différer presque totalement de l’interprétation israélienne et donc américaine.
Ariel Sharon et l’administration Bush s’obstinent dans leur ignorance de ce qui permet de comprendre les racines du conflit, tel que c’est défini par le droit international, c’est à dire l’occupation et la confiscation illégale des terres palestiniennes par Israël.
Pour Sharon, l’occupation est un non-problème, selon lui les Palestiniens sont en fait les intrus sur la terre d’Israël promise dans la Bible. S’il souhaite évacuer quelques colonies à Gaza, ses motivations sont clairement stratégiques, et ont plus à voir avec la démographie qu’avec des impératifs éthiques.
Pour George Bush, d’un autre côté, il s’agit de la sécurité d’Israël et de comment son soutien constant à Israël lui assurera la protection des très influents amis d’Israël au Congrès, dans les groupes de pression et auprès des experts dans les médias.
Abbas comprend que ses jours de chef d’état dureront aussi longtemps que Sharon ne trouvera pas de raisons pour le rendre “obsolète” -comme il l’a fait pour Arafat-, ou pour l’éliminer complètement de l’équation politique -comme il l’a fait pour des centaines de militants et de dirigeants palestiniens assassinés.
Tant qu’Abbas s’accordera avec la position de Washington, qui fait du désarmement et du démantèlement de la résistance et des groupes militants une priorité absolue, il restera un ami bienvenu dans le ranch texan.
Sinon il devra faire avec les ruines des bureaux d’Arafat à Ramallah.
Abbas sait aussi que les alliances régionales n’ont pas grande valeur, en tout cas pour ce qui est de briser la domination de Washington et d’Israël sur l’ensemble de l’équation politique.
Le président de l’Autorité palestinienne est bien sûr conscient de ces dilemmes, d’où sa réponse enthousiaste à la visite de Poutine à Ramallah. Le président russe espère rompre avec les gaffes de politique étrangère commises en Ukraine et au Kirghistan en redonnant vie au rôle autrefois influent de son pays au Moyen-Orient.
Le « Globe and Mail” prédit déjà une “renaissance de la guerre froide” en conséquence du projet russe, une guerre qu’en réalité les Etats-unis feraient leur possible pour éviter et pour laquelle la Russie manque à la fois des moyens et de la volonté de se battre.
Les mois à venir ne feront qu’exacerber les problèmes d’Abbas. Israël ne lui a donné aucune victoire, fût-elle symbolique- dont se prévaloir et il ne doit pas s’y attendre. La pauvreté à Gaza et en Cisjordanie grandira à cause de l’augmentation du chômage, puisque toute amélioration de l’économie palestinienne reste une décision exclusivement israélienne. La popularité des mouvements islamiques, comme le Hamas ou le Jihad islamique, continuera à grandir et se traduira en succès électoraux, tout comme grandiront les exigences d’Israël et des Etats-Unis que ces partis soient écrasés.
Ce n’est qu’une question de temps avant qu’Abbas décide de mettre fin à son numéro d’équilibre et de faire face à se problèmes.
Choisira-t-il de s’affronter aux Palestiniens pour prolonger son rêve illusoire de pouvoir ou décidera-t-il de se dresser contre le mépris d’Israël pour les exigences légitimes des Palestiniens et contre le soutien aveugle des Etats-Unis à la politique anti-paix de Sharon ?
Le dilemme de Mahmoud Abbas est extrêmement complexe.