A l’initiative de Josep Borrell,
président du parlement européen,
le président de l’Autorité
nationale palestinienne, Mahmoud
Abbas a été reçu par le parlement européen
les 15, 16 et 17 mai 2006. Cette
visite s’inscrivait dans le cadre des invitations
de chefs d’Etats par le parlement
européen. Au cours d’une cérémonie
solennelle, le chef d’Etat s’est adressé
aux parlementaires en séance plénière.
Selon Leila Shahid : un grand succès.
Dès son élection comme président de
l’ANP, Mahmoud Abbas a été invité
par Josep Borrell. La visite a été fixée
au 16 mars 2006. Mais à la suite de
l’attaque de la prison de Jéricho par
l’armée israélienne et de l’enlèvement
d’Ahmed Saadat, le président palestinien
a décidé de rentrer en Palestine. Le
Président Borrell l’a donc réinvité deux
mois plus tard.
L’analyse de Mahmoud Abbas au Parlement
Mahmoud Abbas a reçu au parlement
européen un accueil chaleureux. L’hémicycle
était plein et, à son arrivée, les
parlementaires se sont levés pour l’applaudir.
Son discours solennel à son tour a
été interrompu quatre fois par des applaudissements.
Après une référence à l’histoire
commune des pays méditerranéens
et à la richesse de ses peuples de civilisations
anciennes, puis un survol de
l’histoire de son pays et de l’OLP depuis
la Nakba, il y a 58 ans, il a conclu que,
dans la période actuelle menacée de
grands dangers, les Palestiniens recherchent
et attendent que l’Europe joue un
rôle moteur.
Rappelant toutes les concessions faites
par son peuple depuis 1988 pour parvenir
à un règlement du conflit, le Président
Abbas a affirmé que « le coeur du
processus doit être fondé sur le principe
de partenariat, en vue d’aller vers
des accords et vers la résolution des
problèmes qu’impose l’héritage d’un
conflit long, amer et sanglant... » Mais,
a-t-il poursuivi, « le coup le plus sévère
porté au processus de paix, qui était
supposé aboutir à une solution définitive
quelques années plus tard, a été
porté par le rejet israélien de la logique
de partenariat et par son choix de politiques
destructrices - en particulier par
la construction de colonies, de murs,
par la confiscation de terres pour créer
des faits accomplis sur le terrain -empêchant
toute négociation d’aboutir.
L’abandon de réunions communes et
d’accords avec nous et le rejet de tout
parrainage international sont devenus
la caractéristique principale de la politique
israélienne... »
Concernant la politique palestinienne,
il a mis en exergue la trêve observée
après son élection à la présidence de
l’Autorité palestinienne, et la réponse
israélienne violente à cette trêve ; concernant
les élections législatives de janvier
qui se sont déroulées démocratiquement
et dont le résultat a conduit à un transfert
de pouvoir que le monde entier a
pu apprécier, il a conclu : « Depuis
quatre mois, nous sommes confrontés
à une situation sans précédent. La plateforme
officielle du parti qui a gagné
les élections et qui a formé le gouvernement
n’est pas conforme à mon programme
ni aux engagements et accords
conclus par l’Autorité palestinienne. »
Cette situation, a-t-il poursuivi, est discutée
à l’intérieur des institutions palestiniennes
conformément aux lois et aux
règlements : « J’ai demandé au nouveau
gouvernement d’amender cette plateforme
pour qu’elle soit conforme aux
accords signés. Nous avons un dialogue
continuel qui débouchera sur un dialogue
national large dans quelques jours.
J’espère que cela aboutira au processus
d’amendement requis... »
« Notre approche a besoin du soutien
de la communauté internationale », a
poursuivi Mahmoud Abbas, qui a souligné
que les restrictions imposées au
peuple palestinien ne peuvent qu’y porter
préjudice. Plaçant ses espoirs dans la solution que proposera l’Europe, il a
redit : « le gouvernement israélien répète
sans cesse le slogan selon lequel il n’y
a pas de partenaire », soulignant que
jusqu’à présent ce slogan est un prétexte
pour abandonner les accords signés
et refuser de retourner à la table des
négociations. Il a mis en garde contre les
conséquences qu’aurait la fixation de
frontières d’Israël à l’intérieur des territoires
occupés et réaffirmé que le
comité exécutif de l’OLP est prêt à
retourner immédiatement à la table des
négociations.
Les analyses des parlementaires
Après cette visite au parlement et une
conférence de presse commune avec le
président Borrell, ce dernier l’a invité à
une réunion d’une heure et demie avec
les présidents des huit groupes parlementaires
européens. Les échanges ont
porté sur de nombreux sujets, parmi lesquels
le dialogue national, le rapport au
Hamas, l’évaluation du nouveau gouvernement
israélien, les réformes palestiniennes.
Tous les présidents de groupes
ont été unanimes sur le courage et le
sens des responsabilités du président
palestinien et sur la nécessité de l’engagement
de l’Union dans la recherche
de mécanismes permettant d’aider le
peuple palestinien sur les plans politique
et financier. Ils ont assez largement
tenu à lui dire qu’ils ne veulent
pas abandonner le peuple palestinien et
qu’ils ne veulent pas cesser d’être le
premier contributeur. En fait, ils sont
prêts à soutenir un mécanisme destiné
à acheminer l’aide sans passer par le
gouvernement dirigé par le Hamas tant
que celui-ci ne renoncera pas à la violence
et tant qu’il ne reconnaîtra pas
l’existence de l’Etat d’Israël et les accords
signés y compris la « feuille de route ».
Leila Shahid estime qu’une moitié des
membres du parlement européen (en
particulier la GUE - communistes et
alliés -, la majorité des socialistes et
des Verts) considère que la suspension
de l’aide à l’Autorité palestinienne a été
une mauvaise décision pour au moins
trois raisons :
– 1/ l’Union européenne est la première
contributrice en Palestine depuis les
accords d’Oslo, et la suspension de son
aide provoquera une crise humanitaire
catastrophique pour la population palestinienne
;
– 2/ l’Autorité palestinienne est l’un des
membres du partenariat euro-méditerranéen.
Ce processus est bâti sur les
perspectives de paix israélo-palestinienne.
La conférence de Barcelone en
1995 a ouvert la voie à cette coopération
euro-méditerranéenne en raison des
accords d’Oslo qui permettaient la présence
des Israéliens et des Arabes. Sans
les Palestiniens, il n’y aura pas les autres
pays arabes et il n’y aura plus de projet
euro-méditerranéen.
– 3/ les élections palestiniennes se sont
déroulées en présence de deux cent
vingts observateurs européens qui ont
reconnu leur caractère non seulement
démocratique mais exemplaire pour la
région et admis que l’Union européenne
se discrédite en faisant payer au peuple
palestinien le résultat de ces élections.
Mais les parlementaires européens souhaiteraient
une reconnaissance des
accords signés et de la « feuille de route »
par le Hamas.
Les approches américaine et européenne
Deux méthodes se profilent. La méthode
américaine consiste à sanctionner le
peuple palestinien pour que celui-ci,
« mis à la diète » selon la formule de
Dov Weisglass, se retourne contre son
gouvernement et le fasse tomber. C’est
une thèse dangereuse, commente Leila
Shahid. On a bien vu ce à quoi ce type
de méthode a abouti en Irak. L’Union
européenne, elle, considère que son
application conduit à la destruction de
l’Autorité palestinienne, à la victimisation
du Hamas, à la radicalisation des
Palestiniens et au discrédit de l’Union
européenne par une politique de « deux
poids deux mesures » insupportable pour
les peuples. Cette référence aux « deux
poids deux mesures », la déléguée de la Palestine l’a entendue souvent
dans l’enceinte du parlement européen.
L’autre méthode, que défendent nombre
de parlementaires européens, est fondée
sur le dialogue. Ainsi, sur proposition
européenne, le 9 mai, le Quartette a
confié à Madame Benita Ferrero-Waldner,
commissaire aux relations internationales,
le soin de trouver un mécanisme
alternatif pour faire arriver en
Palestine l’argent (y compris l’argent
détourné par Israël sur les droits de
douane des produits palestiniens) en
contournant le gouvernement dirigé par
le Hamas. Cette formule, une fois élaborée
et adoptée par les instances européennes,
devait être soumise aux Américains.
Le quartette posant une condition
malheureuse : que seuls les services
sociaux et humanitaires soient destinataires
de l’argent.
Une solution doit être trouvée de toute
urgence. En effet, depuis mars, les salaires
n’ont pas été payés. Israël détourne les
taxes palestiniennes prélevées aux frontières
selon les accords de Paris de
1994 ; et le point de passage de Karni dans
la bande de Gaza est bloqué la plupart
du temps. D’où une crise humanitaire
imminente, comme le constate la Banque
mondiale dans son rapport du 9 mai
2006 [1] Cette deuxième méthode, si elle
réussissait, donnerait à Mahmoud Abbas
des arguments pour demander au gouvernement
palestinien de reconnaître
les accords antérieurs. Le Premier ministre
Ismaël Haniyeh ne voit aucune objection
à ce que le président Mahmoud
Abbas négocie la rentrée d’argent en
Palestine. Ensuite, les résultats de ces
négociations seront soumis à référendum.
Le mécanisme envisagé a besoin de la
Banque mondiale et le feu vert américain
est aussi indispensable pour lever
l’interdiction faite aux banques sous
peine pour elles d’être accusées
d’« aide au terrorisme ».
L’Union européenne a donc fait une
proposition au Quartette, acceptée depuis
par les Etats-Unis. Même si l’accord
américain est indispensable, c’est aussi
l’occasion d’apprécier le degré d’autonomie
de l’Union européenne par rapport
aux Etats-Unis.
A la suite de la visite du Président Abbas
au parlement européen, le principe d’une
réunion « le plus tôt possible » de la
Conférence des présidents de groupes du
parlement européen en Palestine et en
Israël a été retenu à l’unanimité.
Compte-rendu de la rencontre réalisé par Sylviane de Wangen