L’énorme pression que la communauté arabe palestinienne d’Israël a exercé sur les partis arabes a porté ses fruits : ils présenteront une liste commune aux élections [du 17] septembre.
Les chroniqueurs en ligne peuvent finalement se retirer, le moment choisi ne pouvait être plus parfait. Avec l’Eid al-Adha, la « Fête du Sacrifice », qui bat son plein, la plupart des commentateurs passionnés des réseaux sociaux sont en vacances quelque part en Europe, ou franchissent paresseusement la frontière avec l’Egypte ou la Jordanie. L’enthousiasme n’était pas à son comble d’avoir à débattre de la Liste arabe unie.
Dans la période qui a précédé les élections de 2015, après que la droite israélienne a relevé le seuil électoral [1] pour tenir les partis palestiniens à l’écart, les quatre partis arabes [2] ont, pour survivre, fait campagne sur une liste unique. La liste arabe unie finit par obtenir 13 des 120 sièges de la Knesset, soit la représentation la plus importante des Palestiniens d’Israël depuis la création de l’Etat.
Aux élections d’avril dernier, des luttes politiques intestines ont éclipsé l’union politique et la Liste arabe unie s’est scindée en deux, provoquant la déception de milliers d’électeurs palestiniens. Le prix politique de cette division ayant été particulièrement élevé, les partis arabes ont récemment annoncé qu’ils se présenteraient à nouveau ensemble sous la bannière de la Liste arabe unie.
La Liste arabe unie nous a manqué mais Smotrich est pire
Parmi ceux qui ont boycotté les élections d’avril, certains le font pour des raisons idéologiques. Ces abstentionnistes « classiques » persévèrent en expliquant que l’état sioniste est fondé sur la discrimination, qu’il découle une entreprise coloniale et qu’il ne doit pas lui être fait l’honneur d’une quelconque coopération.
Je suis allé sur la page Facebook officielle du mouvement de boycott et j’ai découvert que le dernier message avait été envoyé le 17 avril, juste après les dernières élections. C’était un long message, remerciant tous les militants du mouvement.
Pour autant que nous étions concernés, les élections sont maintenant passées, notre travail à ce sujet est fait. Nous respectons les partis (arabes) qui ont été élus à la Knesset, ils ne sont pas notre ennemi et c’est leur voie. Nous continuerons à lutter à l’extérieur.
Il est difficile de dire si le mouvement de boycott est tout simplement en vacances ou s’il a oublié de prendre bonne note du nouveau scrutin qu’il n’avait pas pris en compte. Certains de ses membres ont écrit qu’ils croient encore que seul un boycott de l’élection conduira à des résultats et ce, indépendamment de la Liste arabe unie.
Mais l’impression générale est que le mouvement idéologique de boycott s’est affaibli après son importante campagne en avril. S’il venait à être relancé, il sera beaucoup plus difficile pour les partis arabes de profiter du bouclier psychologique que la Liste unie a créé.
Le taux de participation parmi les Palestiniens d’Israël était de 63 % en 2015. En avril, la participation est tombée à 49 %. Comment se comporteront les les électeurs qui ont « décroché » entre les deux élections ?
« La Liste unie est de retour, mais de justesse. Laissons passer l’été et parlons-en à nouveau en septembre », estime Khaled, militant qui préfère garder l’anonymat. La dernière fois, il était un fervent défenseur du boycott et il considère que s’il dévoile son patronyme, ça donnera lieu à des débats indésirables.
« Assez avec cette Liste arabe unie. Je voterai pour elle, même si je n’en ai pas envie », dit-il. « La dernière fois, je n’ai pas voté de toute façon et j’étais en paix ainsi parce que cette liste méritait une sanction. J’étais convaincu qu’ils recherchaient tous une position et un salaire et j’ai persuadé pas mal de gens à boycotter parce que nous avons marre à la fois de nos dirigeants et de ce pays. Le gouvernement fait tout ce qu’il veut, démolir les maisons, adopter la loi sur l’Etat-Nation Juif, provoquer et plus encore, et eux, ils étaient candidats sur deux listes distinctes. C’était trop écoeurant, même si c’est le même débat avant chaque élection. »
Khaled a décidé de voter en septembre, pour autant que les candidats arabes commencent à travailler comme des hommes politiques. « Je ne crois pas que la Liste arabe unie obtiendra plus de 10 sièges mais s’ils échouent de nouveau, je ne veux pas avoir cela sur la conscience. Si mon vote peut-être utile, j’irai voter à contrecoeur. Allez savoir ce que ces fascistes de Smotrich [3] et de Shaked [4] feront cette fois », ajoute-t-il, dans une allusion à deux responsables politiques israéliens d’extrême-droite.
Khaled représente la voix de la conscience de nombreux citoyens arabes. Ils comprennent que la capacité d’influence de la Liste arabe unie est mince et évaluent bien le déséquilibre des forces, tout en craignant l’ambiance susceptible de se développer à la Knesset et dans le pays. D’un autre côté, ces électeurs veulent une liste commune pour représenter tous les groupes marginalisés, même si son existence ne sert qu’à remonter le moral des citoyens sans contribuer réellement à l’amélioration des infrastructures de leurs villages.
« Si le prix à payer apparaît lors de l’élection, nous verrons bien ce qui sortira des urnes », conclut Khaled.
La Knesset n’est qu’une autre voie d’influence
J’ai attrapé la militante politique Nidaa Haj Yahya alors qu’elle était en route pour un concert unique dans la vie donné par Kathem al-Saher, un chanteur irakien surnommé le « César de la chanson arabe » que j’admirais quand j’étais adolescente. Kathem chante surtout des chansons d’amour et on peut porter à son crédit d’avoir atteint les sommets du charme romantique pour de nombreuses femmes arabes.
En avril dernier, Nidaa a écrit des messages cinglants contre la participation au vote et a appelé tout le monde à boycotter les élections. Elle a milité autrefois au Balad, le parti nationaliste palestinien avant de s’en retirer il y a quelques années.
« Vous avez réussi à m’embrouiller », lui dis-je. Nina a décidé de renouveler son adhésion à Balad. Je lui demande pourquoi :
J’ai vu la façon dont les négociations fonctionnaient sur la façon de monter la Liste unie, et j’ai vu comment le comité (chargé de construire la liste) s’en prenait au Balad. Je n’apprécie pas la prise de contrôle politique du Hadash sur l’opinion publique arabe. Je n’ai rien à faire avec le parti islamique et, étant de Taybeh, je suis au courant de la réputation d’Ahmad Tibi.
Malgré sa déception persistante, elle a décidé de soutenir le parti par solidarité.
Vous étiez l’une des personnes participant au boycott et maintenant vous revenez sur cette décision. Pourquoi ?
Parce que j’ai décidé de leur donner une chance. La plupart des candidats sont nouveaux et j’ai du respect pour beaucoup d’entre eux. J’ai la profonde conviction que peut-être cette fois ils ont retenu la leçon.
Je me souviens très bien de vous en train d’expliquer qu’ils ne se donneraient même pas la peine de vous donner l’heure. Que vous continueriez d’écrire, d’exercer une pression, de les suivre et que tout ce qu’ils verraient, ce serait leur siège et leur salaire. Ceci n’a pas beaucoup changé.
Vous avez raison. Je n’ai aucun problème à ce qu’ils reçoivent une rémunération pour leur travail, autant que possible, mais cette fois ils savent que nous les observons, nous, les jeunes aux opinions arrêtées qui leur donnons une autre chance malgré notre profonde déception. Nous ne faisons pas que les élire et leur donner approbation, nous devons continuer à les surveiller.
Haj Yaha déclare que toute sa famille ira voter aussi aux élections. « Mon père m’a dit que nous voterons cette fois pour rester sur notre terre, pas plus. C’est une lutte pour notre survie et la Knesset est une autre voie pour cela. »
J’ai roulé vers le Nord jusqu’à Kafr Kanna pour rencontrer Khadijeh, une des membres du Mouvement Islamique en Israël, lié à la section du nord de l’organisation, interdite en 2015 par le gouvernement israélien pour ses liens présumés avec le Hamas et les Frères Musulmans.
« En 2015, j’ai voté pour la Liste Unifiée », déclare-t-elle. « Mais avec sa dissolution lors des dernières élections, je ne suis pas allée voter et mes filles ne l’ont pas fait non plus. Beaucoup de frères et militants de l’organisation ne se soucient pas de la Knesset et ils n’ont certainement pas de respect à l’égard de certains députés arabes. Mais les Israéliens ne veulent pas arrondir les angles, ils veulent la guerre à tout prix, contre Al Aqsa. Les colons attaquent, manifestent et provoquent sans cesse. Ils ne se calmeront pas jusqu’à ce qu’il y ait un chaos total, et alors il y aura un carnage, et Israël prendra tout en charge. »
Mais qu’est-ce que ceci a à voir avec la Liste arabe unie ?
Cela n’est apparemment pas lié mais avec tout ce que font les Saoudiens et les dirigeants du monde arabe qui se soumettent à Israël et oppriment leur propre peuple, ils vendent les Palestiniens contre un changement minime. Nous n’avons pas d’autre solution que de nous débrouiller par nous-mêmes. Des dirigeants palestiniens locaux, c’est tout ce que nous avons maintenant.
La dernière fois, malgré tout ce qui se passe, ils n’ont pas réussi à nous donner un peu d’espoir et à faire liste commune. Je ne regrette pas de ne pas avoir voté. Cette fois, ils ont passé la première épreuve, de justesse. Peut-être que le message est passé, et qu’ils comprendront finalement que nous n’avons pas trop le choix et que nous devons nous unir – ou bien nous perdrons tous. Croyez-moi, si nos dirigeants faibles joignent leurs forces et si tout le monde nous dit de boycotter les élections, j’aurais été d’accord aussi avec cela. Mais ils sont divisés entre ceux qui croient aux élections et ceux qui n’y croient pas. Cette fois, j’irai ceux qui votent.
Une réponse au « diviser pour mieux régner » d’ Israël
A Nazareth, j’ai discuté à Tarek Shehadeh à Nazareth, expert en tourisme et militant socio-politique. Lui aussi a boycotté les dernières élections, après avoir mis à nu ses frustrations en présence des députés eux-mêmes.
Je n’ai pu obtenir de réponse convaincante de la part d’aucun d’entre eux sur la raison pour laquelle ils n’allaient pas maintenir le projet de liste commune. La réponse que j’ai obtenue, selon laquelle je ne pouvais pas voir ce que eux voient de de l’intérieur, m’a vexé. J’ai décidé qu’ils ne méritaient pas (mon vote), parce qu’ils ont cédé à la pression de leur parti et à leur ego. Ils n’ont pas adopté l’attitude que des dirigeants responsables auraient adoptée. C’est pourquoi je n’ai pas voté.
Cette fois, Shehadeh, comme mes autres interlocuteurs, est prêt à accorder une autre chance à ceux qui ont décidé d’essayer de faire à nouveau liste commune. « J’ai vu de près comment le gouvernement israélien et ses ramifications ont délibérément cherché à miner notre unité. Ce n’est pas Bibi la cause du problème, la cause du problème ce sont nos maires et nos hommes publics qui cherchent à détruire tout projet qui vise à atteindre l’unité nationale de la communauté arabe », lâche-t-il avec avec frustration.
« J’ai été un témoin privilégié de la façon dont le gouvernement veut nous donner du pain et un toit mais sans voix, ni perspective, nous ne pouvons manifestement participer à aucun gouvernement ou faire partie du centre-gauche », ajoute-t-il.
Dans les années 90, nous aspirions à la paix et à l’égalité. La droite a créé une réalité dans laquelle il n’y a, de facto, ni paix et ni égalité. Donc, que voulons-nous maintenant ? Quel est notre projet en tant que minorité nationale ?
Comme Nidaa et moi, Tarek pense que si nous continuons à surveiller le travail de la Liste arabe unie, si nous y contribuons par notre connaissance et notre expertise du terrain, et si nous réussissons à créer une discussion qui dépasse leurs conflits internes et leurs mécanismes de contrôle dépassés, lentement mais sûrement, nous pourrions libérer cette liste commune des quatre partis qui la composent et faire un pas vers un rôle plus influent et plus audacieux dans la politique.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS.