Photo : Capitole de l’État de Géorgie (Wikipedia)
Le mois dernier, l’Assemblée générale de Géorgie a refusé d’adopter une loi reprenant la définition controversée de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance - IHRA). C’est la troisième fois qu’un tel projet de loi échoue.
On s’attend à ce qu’il soit réintroduit.
Des militants, des universitaires et des groupes de défense des droits humains ont depuis longtemps averti que la définition pouvait facilement être utilisée comme un outil pour étouffer le discours pro-palestinien, en raison de sa formulation vague et des exemples contemporains liés à la critique d’Israël.
"Nous ne sommes pas inquiets de l’utilisation de la loi pour criminaliser le discours contre Israël", peut-on lire dans une tribune publiée dans l’Atlanta Journal-Constitution et rédigée par des résidents juifs inquiets avant le vote. "Nous sommes certains qu’elle sera jugée inconstitutionnelle si jamais elle est utilisée de cette manière (...). Ce qui nous inquiète, c’est l’accusation d’antisémitisme qui sera portée contre les personnes qui dénoncent les violations des droits de l’homme commises par Israël, en particulier les étudiants et les professeurs des campus, qui œuvrent pour la justice en Palestine".
Malgré cette opposition, la représentante démocrate de Géorgie Esther Panitch (la seule législatrice juive de l’État) a présenté la question comme une simple question de répression de l’antisémitisme.
"Il a été dévastateur de voir le Sénat de Géorgie, pour la deuxième année consécutive, ignorer les appels à l’aide de la communauté juive de Géorgie face à l’escalade de l’antisémitisme" a déclaré Esther Panitch au site web pro-israélien The Algemeiner. "Mais si vous pensez que nous avons fini, vous vous trompez. Ceux qui cherchent à nuire aux Juifs finissent toujours par être relégués dans les poubelles de l’histoire, mais nous devons prévenir les dégâts qu’ils causent sur leur chemin. Le projet HB144 aurait permis de les identifier plus facilement, même s’ils se sont dévoilés plus récemment. L’extrême droite nous dit de retourner en Israël et l’extrême gauche veut détruire Israël. Ni l’une ni l’autre ne triompheront. Nous reviendrons."
Les projets de loi de l’IHRA dans le pays
Le projet de loi de la Géorgie est mort peu après que la Virginie et l’Arkansas soient devenus les derniers États à adopter la définition. Selon l’American Jewish Committee, 29 États ainsi que le district de Columbia ont adopté la définition par proclamation, décret ou législation.
Ces efforts ont été encouragés par des groupes pro-israéliens tels que l’IAC for Action, l’organe de lobbying du Conseil israélo-américain. Le président de l’IAC for Action, Shawn Evenhaim, magnat de l’immobilier de Los Angeles et ancien soldat de l’armée israélienne, s’est entretenu l’année dernière avec le Jerusalem Post au sujet de la campagne de l’IHRA menée par le groupe. Certains partisans de la définition insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un moyen de clore le débat sur Israël, mais Evenhaim admet ouvertement que c’est l’objectif. Il suggère même que les personnes qui critiquent le pays soient passibles de poursuites pénales.
"Aux États-Unis, on peut attaquer Israël sans être traité d’antisémite, ce qui, nous le savons, n’est pas le cas" a-t-il déclaré au Post. "Si nous voulons déterminer si cette personne est antisémite ou non, c’est désormais très simple : nous pouvons nous référer à la définition de l’antisémitisme de l’IHRA. Elle a été utilisée par de nombreux gouvernements à travers le monde et aux États-Unis, et nous devons maintenant nous assurer qu’elle fasse partie de la loi dans de nombreux États, autant d’États que possible, afin qu’ils puissent l’utiliser pour appliquer la loi et poursuivre les personnes qui l’enfreignent."
"Lorsque nous parlons aux hommes politiques, nous leur racontons notre histoire personnelle" a-t-il ajouté. Je n’ai pas à dire "Hé, je me soucie de mes frères et sœurs en Israël" simplement parce que c’est une évidence. Chaque fois que nous parlons à un homme politique, il nous dit qu’il nous écoute parce que c’est un point de vue qu’il n’entend généralement pas."
Le représentant d’État du GOP, John Carson, a présenté la version parlementaire du projet de loi sur l’IHRA de la Géorgie. Les rapports financiers de Carson montrent que des personnes actives au sein du Conseil israélo-américain (dont Evenhaim) ont fait don d’environ 10 000 dollars à sa campagne.
Au cours de ses remarques à la Chambre des représentants, Carson a invité les membres de divers groupes pro-israéliens à se lever et à être reconnus pour leur travail sur leur projet de loi, y compris un membre du Conseil israélo-américain et un membre de la Ligue anti-diffamation. Il a ensuite laissé entendre que les juifs qui s’opposaient à la mesure n’étaient pas authentiquement juifs : "Il y a un groupe important de "juifs" qui s’opposent à cette mesure parce qu’ils soutiennent la Palestine, a-t-il déclaré à l’assemblée. "Ils ne soutiennent pas Israël et le peuple juif."
Définition de travail de l’IHRA
La définition de travail de l’IHRA, élaborée pour la première fois en 2016, adopte une interprétation vague de l’antisémitisme, qu’elle décrit comme "une certaine perception des juifs, qui peut s’exprimer par la haine envers les juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des individus juifs ou non juifs et/ou leurs biens, contre des institutions de la communauté juive et des installations religieuses."
Elle contient également un certain nombre d’exemples d’"antisémitisme", dont certains incluent la critique d’Israël. Par exemple, "Refuser au peuple juif son droit à l’autodétermination, en affirmant que l’existence d’un État d’Israël est une entreprise raciste" est considéré comme antisémite, de même qu’"appliquer deux poids deux mesures en exigeant d’[Israël] un comportement qui n’est pas attendu ou exigé d’une autre nation démocratique."
Les critiques ont depuis longtemps mis en garde contre le fait que la définition de travail puisse être utilisée comme un outil pour supprimer le plaidoyer en faveur de la Palestine. Ce mois-ci, plus de 100 organisations de la société civile ont écrit au secrétaire général des Nations unies, António Guterres, pour l’exhorter à ne pas adopter la définition.
"L’adoption de la définition par les gouvernements et les institutions est souvent présentée comme une étape essentielle dans les efforts de lutte contre l’antisémitisme", peut-on lire dans la lettre. "En pratique, cependant, la définition de l’IHRA a souvent été utilisée pour qualifier à tort la critique d’Israël d’antisémite, et ainsi calmer et parfois réprimer les protestations non violentes, l’activisme et les discours critiques à l’égard d’Israël et/ou du sionisme, y compris aux États-Unis et en Europe."
En 2019, l’ancien président Donald Trump a signé un décret ordonnant aux agences fédérales de prendre en compte la définition de l’IHRA lorsqu’elles appliquent le titre VI dans les écoles. Cette mesure a incité un certain nombre de groupes pro-israéliens à utiliser la décision comme motif de poursuites pour discrimination contre les universités. Dans une tribune publiée dans The Guardian, Kenneth Stern, principal rédacteur de la définition de travail, a critiqué l’effet dissuasif de cette décision.
"Il n’a jamais été question d’en faire un code d’incitation à la haine sur les campus, mais c’est ce que le décret de Donald Trump a accompli cette semaine" a écrit M. Stern. "Ce décret est une attaque contre la liberté académique et la liberté d’expression, et il nuira non seulement aux défenseurs des droits des Palestiniens, mais aussi aux étudiants et aux professeurs juifs, ainsi qu’à l’académie elle-même.
L’administration Biden a déclaré publiquement qu’elle mettrait également en œuvre le décret de Trump, mais elle a déjà reporté cette mesure à deux reprises et déclare maintenant qu’elle ne réexaminera pas la question avant décembre 2023.
Traduction : AFPS