Le matin, je monte confiant dans le bus de la caravane (46 personnes), avec les informations suivantes de la part des coordinateurs : Les Jordaniens nous laissent passer, ils ont eu un contact avec les Israéliens qui sembleraient disposés à nous laisser passer, mais pas de bruit, pas de drapeau banderoles etc... L’acceptation de cette condition n’est pas contestée.
Nous passons sans aucun problème le poste frontière jordanien, et la caravane s’engage sur le pont.
A la frontière tenue par les Israéliens, les voitures sont bloquées pour la fouille, le car double les voitures et poursuit pour nous emmener vers le poste frontière : énorme erreur de notre part, aucun d’entre nous ne propose de stopper le bus pour qu’il attende les voitures, la caravane est coupée en deux. Nous descendons au poste frontière ou nous attend un premier point de fouille des bagages.
Certains caravaniers s’y présentent spontanément, nous sommes un petit groupe à tirer la sonnette d’alarme : stop, nous devons attendre la caravane ! Trop tard de toute façon, certains se sont déja présentés. Coup de fil aux coordinateurs restés sur le pont : on passe les bagages et on prend une décision après. On passe les bagages, premières rétentions de passeports et interrogatoires.
Après les bagages, mini AG : deux points de vue se dégagent rapidement, certains pensent que le plus important est de passer (on est attendus de l’autre coté), d’autres (dont je suis) veulent que nous attendions la caravane. Une autre scission qui apparaît est l’attitude générale par rapport aux douanes israéliennes. Nous sommes quelques uns à rappeller que nous sommes sur un poste frontière illégal du point de vue du droit international, et que nous avons donc le droit de refuser les demandes israéliennes (par exemple donner immédiatement les passeports), d’autres souhaient ne pas faire de vagues. Je suis très surpis d’être qualifié (péjorativement) par certains caravaniers d’"activiste".
Nous décidons d’avoir le point de vue de ceux du pont. Réponse : ils sont eux aussi divisés entre deux possibilités : accepter les conditions israéliennes (passer à pied et laisser les voitures) ou refuser et rester sur le pont. Nous votons, décision est prise de ne pas donner les passeports tant que ceux du pont n’ont rien décidé, à part pour une petite délégation de 2-4 personnes qui passeraient prendre contact avec ceux qui nous attendent en Palestine. Ceux de la délégation donnent leurs passeports mais rien ne se passe pour eux.
Commence une longue attente, ponctuée par les demandes très "correctes et polies" des Israéliens pour que nous donnions nos passeports. Des caravaniers informent la presse au maximum par téléphone. Nous avons faim et soif, certains essayent de demander qu’on nous donne à manger, ou encore, comme Stan, titillent les douaniers sur la reconnaissance de la Palestine. Nous obtenons gratuitement de l’eau , mais je suis encore une fois atterré quand un Palestinien est autorisé à venir nous vendre des sandwiches et surtout des jus de fruit israéliens, et que beaucoup lui en achètent. Je demande au commerçant où ont poussé les oranges qui ont servi à faire ces jus de fruit, il me répond, cynique : Ramallah, en Israël.
Arrive une info depuis le pont : il a été décidé à l’unanimité sur le pont que nous devions passer, certains laissent leurs voitures et nous rejoignent. Bien que trouvant cette unanimité suspecte et en trainant des pieds au maximum pour certains, nous remettons nos passeports. Une série d’interrogatoires commence. Plusieurs caravaniers turcs sont refoulés d’office car n’ayant pas de visa, de même que plus tard deux caravaniers bulgares. L’idée de contester cette décision n’est pas retenue.
Un responsable israélien vient nous parler, et nous sort un dicours mielleux du genre "nous somme nous aussi pour la paix, nous allons vous aider à passer mais dans l’ordre..." Plusieurs caravaniers se font avoir par ses talents en communication. Chez les caravaniers, plusieurs réactions du style : il a une bonne tête, c’est un responsable important, on peut lui faire confiance... J’ai les nerfs.
Ceux du pont arrivent : la réalité est tout différente, le groupe du pont est resté très divisé, certains sont restés sur le pont avec les voitures et il n’y a eu aucune unanimité pour nous dire de passer. J’ai encore plus les nerfs. Certains qui nous rejoignent le font cependant uniquement poussés par la dureté des conditions sur le pont, en plein soleil (nous avons dans la caravane des gens âgés, une personne en fauteuil roulant...).
Des caravaniers, dont un coordinateur, Michel, incitent les nouveaux arrivants à remettre leurs passeports. Les coordinateurs sont emmenés pour interrogatoire. Pendant ce temps nous recevons un SMS des caravaniers bulgares : Ils n’ont pas été renvoyés en Jordanie, ils sont en fait avec les Turques dans le car, passeports confisqués.
Le dernier coordinateur, Michel, sort de l’interrogatoire. Il est en colère car les Israéliens sont en fait en possession de toutes les informations sur la caravane. Ils vont nous dire dans 15 mn si nous sommes expulsés vers la Jordanie ou non. Moins de 5 mn s’écoulent avant l’annonce de l’expulsion. Celle ci, assortie d’une interdiction de séjour, est formulée dans des termes très politiquement corrects : " A cause du désordre causés sur le pont, nous ne pouvons vous laisser passer, nous en sommes désolés, et si voius souhaitez revenir dans les cinq années en Israël, vous devrez avoir une autorisation spéciale auprès de l’ambassade d’Israël dans votre pays."
Un des coordinateurs, Chris, essaye de négocier " pas d’interdiction de séjour et nous retournons en Jordanie, sinon nous restons dans cette pièce". La réponse qui lui est faite est alors beaucoup plus ferme, les Israéliens commencent à faire physiquement front face à nous. Certains, comme Stan, sont spécialement dans leur collimateur pour avoir affirmé leur point de vue tout au long de la journée.
Michel précise aux Israéliens qu’il vient d’informer Francis Wurtz, parlementaire européen et président du groupe Gauche unitaire européenne-Gauche Verte nordique du Parlement européen, mais ils n’ent ont cure.
Michel nous donne aussi son point de vue : à nous de transformer cette expulsion en victoire médiatique. Notre coordinateur palestinien nous précise que nous avons le droit d’appeller un avocat israélien lors d’une procédure d’expulsion. Coups de fils à l’avocat, à la presse... Une caravanière espagnole prend l’initiative : elle s’asseoit et clame qu’elle ne bougera pas, qu’elle n’obéit pas aux hors la loi. Elle est suivie par une forte majorité de caravaniers, nous formons une chaine humaine dans le hall. Les Israéliens tentent de rompre la chaine en soulevant un des caravaniers mais ne sont pas assez nombreux. Un caravanier italien qui essaye de prendre une photo manque de se faire violamment attraper, mais notre réaction de solidarité réussit à empêcher l’arrestation en le bloquant au sol. Son appareil photo est cassé. Nous restons assis, les Israeliens nous prennent en photo. Nous lançons des slogans et chantons "Evenou Shalom Alerem" (que la paix soit sur vous en hébreu).
Michel prend la parole : Les Israéliens l’ont informé que 100 soldats arrivent, selon lui la résistance est inutile puisque nous allons nous faire tabasser alors qu’il n’y a aucune caméra. Il faut remonter dans le bus. La majorité de ceux de la chaine se relèvent, confusion. L’espagnole qui a lancé la chaine reste couchée au sol. Elle est emmenée par des caravaniers ( !).
Arrivée de l’armée ; très nombreux, très jeunes, non-armés. Il commencent à nous refouler vers le bus. Nous nous retrouvons un tout petit groupe à vouloir organiser une résistance passive (notamment ceux du camion allemand ). Les soldats ont formé une chaine, nous faisons de même, mais le rapport de force est ridicule, notre chaine recule, et le deuxième rang de soldats envoie des coups de pieds à travers leur chaine. Nous reculons en désordre vers le bus, cetains se retrouvent isolés et se font bien secouer, chemises arrachées etc...les soldats lancent des coups de poing maintenant. Je suis littéralement lancé dans l’entrée du bus en écoupant d’un coup dans la nuque, la situation est mauvaise car l’entrée est bloquée par les caravaniers qui n’arrivent pas à refouler assez vite dans le bus et la violence monte encore pour ceux qui sont coincés dehors. Les gradés appellent même les soldats à se calmer mais ils n’écoutent pas. je crois que des photos et un bout de film de ce moment ont pu être pris depuis le bus. Finalement tout le monde réussit à remonter dans le bus.
Retour côté jordanien, suivis par les voitures qui étaient restées sur le pont toute la journée et avaient déployé des banderoles, retrouvailles dans le camp pour pélerins où nous avions dormi la nuit précédente. Le lendemain matin, AG : plusieurs points de vue émergent : rester ici près de la frontière ou aller tous vers Amman. Ceux qui veulent rester dans le camp pensent que c’est un endroit symbolique, donc médiatique, ceux qui veulent retourner vers Amman pensent que nous pouvons faire là bas une action devant l’ambassade d’Israël et communiquer avec les médias. Le type d’action envisagée devant l’ambassade va de la manifestation silencieuse à l’établissement d’un camp juste devant.
On nous informe que les Jordaniens ne veulent pas que nous restions près de la frontière, il y a vote : ceux qui veulent aller immédiatement vers l’ambassade l’emportent. Mais les Jordaniens qui savent que nous voulons aller vers l’ambassade d’Israël refusent de nous prêter un car vers Amman, et choisissent de nous déposer à Madaba, bien trop tard pour qu’un délégation puisse espérer rentrer dans l’ambassade d’Israël. Il est choisi d’envoyer une délégation vers l’ambassade de France, l’idée de camper devant l’ambassade israélienne n’est même plus évoquée car non souhaitée par les autorités jordaniennes.