Le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, est redevenu le théâtre de violents affrontements, tout comme avant la guerre de l’année dernière entre Israël et Gaza. Haaretz explique l’origine de ces frictions et comment Sheikh Jarrah est devenu un symbole national palestinien.
Sheikh Jarrah ou Shimon Hatzadik ?
Quartier de maisons de luxe à l’origine, Sheikh Jarrah a été fondé à la fin du XIXe siècle par des familles palestiniennes éminentes de Jérusalem, principalement les Husseinis et les Nashashibis. Plus tard, deux petits quartiers destinés aux Juifs pauvres y ont été établis - Shimon Hatzadik et Nahalat Shimon.
Tous deux ont été abandonnés en 1948, peu avant la prise de Jérusalem-Est par la légion jordanienne, et les réfugiés palestiniens de Jérusalem-Ouest et d’autres régions d’Israël s’y sont installés.
Il n’existe pas de recensement distinct pour Sheikh Jarrah, mais ce quartier et le quartier voisin de Wadi Joz comptent ensemble 14 000 résidents palestiniens. Plusieurs milliers d’entre eux vivent à Sheikh Jarrah, tout comme quelques dizaines de Juifs.
Haaretz utilise le nom arabe du quartier à la fois en raison de sa majorité palestinienne et parce que c’est ainsi qu’il a été connu pendant la majeure partie de son histoire.
Pourquoi les affrontements ont-ils éclaté cette semaine ?
Elles ont commencé dimanche après que le député Itamar Ben-Gvir a annoncé qu’il ouvrait un bureau parlementaire dans le quartier. Lui et ses partisans sont venus et ont monté une tente à côté de la maison de la famille Salem, qui doit être expulsée le mois prochain.
Ben-Gvir a ouvert ce bureau après que la maison de la seule famille juive de cette partie de Sheikh Jarrah ait été incendiée vendredi soir. La voiture de la famille a été incendiée à plusieurs reprises, mais jamais sa maison. Les Palestiniens ont affirmé que l’incendie avait été causé par un court-circuit électrique, mais la police a déclaré qu’il y avait des signes d’incendie criminel et a arrêté deux suspects.
Presque immédiatement après l’ouverture du bureau, Palestiniens et Juifs ont commencé à s’attaquer verbalement les uns aux autres. Le dimanche soir, la situation a dégénéré en violence physique, avec des jets de pierres et de pétards. Finalement, la police a dispersé par la force les deux camps et a expulsé les partisans de Ben-Gvir, mais pas lui. Des dizaines de Palestiniens et plusieurs Juifs ont été légèrement blessés.
Pendant ce temps, Ben-Gvir est tombé et a brièvement perdu connaissance. Il a été emmené à l’hôpital et est sorti peu après. Il est retourné à Sheikh Jarrah lundi.
Quel est le statut juridique de ces terres ?
La plupart sont des terres palestiniennes privées, mais deux sections contiennent des terres appartenant à des Juifs - une à l’est du quartier et une à l’ouest. Deux lois israéliennes n’autorisent que les Juifs à récupérer les biens qu’ils possédaient avant 1948. La loi sur les biens des absents a confisqué tous les biens possédés avant 1948 par les Palestiniens qui ont séjourné dans un « pays ennemi » avant ou après la promulgation de la loi. Une loi datant de 1970 permet aux Juifs de récupérer leurs biens.
Depuis les années 1980, des organisations de droite s’efforcent de localiser les héritiers des biens juifs de Sheikh Jarrah et d’entamer des procédures d’expulsion contre les résidents palestiniens actuels. À ce jour, cinq familles palestiniennes ont été expulsées. Des procédures judiciaires sont en cours contre des dizaines d’autres.
Où en sont les cas d’expulsion ?
Légalement, il y a une grande différence entre les sections est et ouest du quartier. Les combats de mai dernier entre Israël et Gaza ont été provoqués par des événements survenus dans la partie ouest.
Dans les années 1990, les deux organisations juives qui possédaient ce terrain l’ont vendu à la société Nahalat Shimon, qui est enregistrée à l’étranger. Depuis lors, cette société s’emploie à expulser les 27 familles palestiniennes qui y vivent depuis qu’elles s’y sont installées dans les années 1950 à l’initiative du gouvernement jordanien et des Nations unies.
Les deux parties attendent maintenant une décision de la Cour suprême, après avoir rejeté un compromis proposé par les juges qui aurait empêché une expulsion immédiate. Les procédures judiciaires ont été longues car certaines des maisons appartiennent à des familles palestiniennes.
C’est dans cette section que la famille Salem, qui compte actuellement 11 personnes, vit depuis 1951. Il y a deux semaines, le bureau de l’huissier a ordonné leur expulsion entre le 1er mars et le 1er avril. Mais la police devrait essayer d’éviter une expulsion si peu de temps avant le ramadan, qui commence début avril, et elle pourrait bien essayer de la reporter après la fin du ramadan, en mai.
Quoi qu’il en soit, il est probable qu’elle déclenchera de nouvelles protestations et violences.
Quel est le lien entre Sheikh Jarrah et la guerre de mai dernier ?
La bataille contre les expulsions palestiniennes et la judaïsation du quartier dure depuis des années. Chaque vendredi depuis 13 ans, des dizaines de Palestiniens et de Juifs de gauche y manifestent.
Mais l’année dernière, Sheikh Jarrah est devenu un symbole national palestinien, car 13 familles étaient menacées d’expulsion immédiate simultanément. Cela a donné l’impression qu’il ne s’agissait pas de la propriété de biens privés, comme le prétendaient les colons, mais d’un effort pour rendre le quartier juif par des expulsions massives avec l’aide des autorités.
Les expulsions prévues ont attiré une attention internationale considérable, et les militants palestiniens de Sheikh Jarrah sur les médias sociaux ont contribué à en faire un symbole de la résistance palestinienne. La relative accessibilité du quartier a également joué un rôle. Il est proche d’une grande artère de Jérusalem, la rue Bar-Lev, et de plusieurs consulats européens.
En mai, le porte-parole du Hamas dans la bande de Gaza a menacé que toute expulsion entraînerait une réponse violente. De jeunes Palestiniens de tout Jérusalem ont commencé à se rendre à Sheikh Jarrah pour des prières et des manifestations de masse qui se terminaient généralement par leur expulsion par la police.
De nombreux cas documentés de violences policières injustifiées ont été recensés, et de nombreux habitants ont été blessés par des balles à bouts éponge. En outre, un attentat à la voiture piégée a blessé sept policiers à un barrage routier de la police à Sheikh Jarrah.
Pour couronner le tout, la police a décidé de fermer les marches de la porte de Damas de la vieille ville. Ces deux événements, les manifestations et la fermeture des marches, se sont produits au début du Ramadan. Ces deux questions sont devenues les principales sources des tensions qui ont conduit aux combats entre Gaza et Israël et aux violentes émeutes interethniques dans les villes mixtes juives et arabes.
La tension actuelle va-t-elle déclencher une nouvelle série de combats ?
C’est difficile à prédire. Mais il est également difficile d’ignorer que, même si les esprits s’apaisent dans les jours à venir, Sheikh Jarrah offre les mêmes prétextes à la violence que ceux qui ont conduit à la dernière série d’affrontements : une expulsion quasi certaine des Palestiniens de leurs maisons, l’attention des Palestiniens et de la communauté internationale, les menaces du Hamas et la présence d’un député d’extrême droite pour enflammer l’atmosphère.
Traduction : AFPS