« La France, a écrit le ministère des Affaires étrangères au lendemain de l’annonce du plan Nétanyahou-Trump, salue les efforts du président Trump et étudiera avec attention le plan de paix qu’il a présenté. Elle exprime sa conviction que la solution des deux États, en conformité avec le droit international (…), est nécessaire à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient. »
De deux choses l’une : soit Jean-Yves Le Drian est incompétent, soit il nous prend pour des billes. Dire de ce plan qu’il contribue à la solution des deux États alors que précisément il l’enterre, il faut le faire.
Qu’on en juge : Israël rafle tout, et la Palestine presque rien. Nétanyahou a demandé et obtenu, outre Jérusalem-Est, l’annexion immédiate de la Vallée du Jourdain et de l’ensemble des colonies juives de Cisjordanie. À quoi s’ajoute une provocation sans précédent : le transfert (administratif) de quelque 300 000 Palestiniens d’Israël, via un rattachement du « Triangle » au futur État palestinien.
Ce dernier, de surcroît, ne verra au mieux le jour que dans quatre ans sur la moitié de la Cisjordanie et la bande de Gaza, augmentée de deux petites enclaves dans le désert du Néguev. Sa « capitale » se situera dans une banlieue est de Jérusalem et il n’aura aucune souveraineté sur les Lieux Saints de la Vieille Ville. Il ne maîtrisera ni ses frontières terrestres ni ses frontières maritimes, pas plus que son espace aérien. Seuls des tunnels et des ponts - et un TGV (sic) entre Gaza et Ramallah - lui assureront un semblant de continuité.
Encore faudra-t-il que les Palestiniens reconnaissent le caractère juif de l’État d’Israël, renoncent au droit au retour des réfugiés, suppriment le versement de pensions aux familles de prisonniers et… désarment le Hamas ! S’ils se pliaient à ces exigences israélo-américaines, les Palestiniens bénéficieraient des 50 milliards de dollars promis lors du sommet de Bahreïn, censés diviser par deux la pauvreté et réduire le chômage à 10 %. Pour le quotidien Haaretz, l’examen des détails du plan suffit à s’en convaincre : « Il ne conduira pas à un État palestinien, mais à la prise de contrôle totale de l’ensemble de la Cisjordanie par Israël. »
Comme le déclare une tribune que j’ai signée avec les membres du Bureau de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo),
toutes ces propositions violent systématiquement l’ensemble des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies, de la fameuse résolution 242 (1967) à la non moins fameuse résolution 2334 (2016). Retrait israélien des territoires occupés au nom du principe fondamental de la non-admissibilité de l’acquisition de territoires par la force, condamnation de la colonisation contraire à la IVe Convention de Genève de 1949, illégalité de l’annexion de Jérusalem-Est. Il s’agit d’un véritable coup de force contre le droit international. Il est toujours possible de modifier les règles de celui-ci, mais cela ne peut se faire que par l’accord entre TOUS les États. À l’instar de la Charte des Nations unies, il est le produit du multilatéralisme et, en tant que tel, il constitue un bien commun de l’humanité qu’il faut impérativement préserver. Le plan Trump n’a strictement aucune valeur juridique. Ce n’est qu’une déclaration politique dépourvue de toute portée normative. Elle ne repose que sur l’exacerbation des rapports de force.
Il suffit d’avoir regardé le Premier ministre israélien et le président américain présenter leur « deal du siècle » pour n’en pas douter : leur arrogance traduisait la certitude que leur coup de force réussirait. Or il n’en est rien.
Comme elle le fait depuis deux ans, l’Autorité palestinienne refuse tout contact avec Donald Trump et se rapproche du Hamas dans l’espoir d’opposer un front uni à cette tentative de liquidation de la cause palestinienne.
Paradoxalement, en Israël aussi, un malaise est perceptible dans la population, si bien que Nétanyahou a soudain reporté les annexions prévues… après les élections du 2 mars, tandis que Benny Gantz exclut qu’elles soient décidées sans négociation avec les Palestiniens – il est vrai que la Liste unie, sur laquelle il compte éventuellement, a déclaré ne pas pouvoir soutenir une coalition qui accepterait ce plan.
Mais la principale surprise est venue du monde arabe : alors que la plupart des dirigeants de la région – sauf ceux de Jordanie – semblaient faire profil bas, les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe, réunis le 1er février en session extraordinaire au Caire, ont rejeté ce plan comme non susceptible de conduire à une paix « juste et durable ». Ils se sont engagés à « ne pas coopérer avec les États-Unis pour le mettre en œuvre ». Même l’Arabie saoudite, tout en ayant d’abord dit « apprécier » les efforts de Donald Trump, a réaffirmé ensuite, par la voix du roi Salman, son soutien « inébranlable » aux droits des Palestiniens lors d’un entretien téléphonique avec le président palestinien Mahmoud Abbas.
Autre surprise : l’Union européenne, malgré Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian, a rejeté les propositions israélo-américaines. Le chef de sa politique étrangère, l’Espagnol Josep Borrell, a souligné le 3 février que « l’initiative américaine, telle que présentée le 28 janvier, s’écarte des paramètres convenus au niveau international ». Et de rappeler
son attachement à une solution négociée fondée sur la coexistence de deux États, sur la base des frontières de 1967, avec des échanges de terres équivalents, selon ce qui pourrait être convenu entre les parties, avec l’État d’Israël et un État de Palestine indépendant, démocratique, d’un seul tenant, souverain et viable, vivant côte à côte dans la paix, la sécurité et la reconnaissance mutuelle.
Quant à l’Organisation des Nations unies (ONU), elle s’en tient - a déclaré son porte-parole - aux résolutions onusiennes et aux accords bilatéraux sur la création de deux États, Israël et la Palestine, « vivant côte à côte en paix et sécurité dans des frontières reconnues sur la base des lignes définies en 1967 ». Et d’ajouter : « La position des Nations unies sur la solution à deux États a été définie par des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale auxquelles est tenu le secrétariat de l’ONU. »
Comme on disait en 68, « ce n’est qu’un début, continuons le combat ».