S’il s’agissait d’un jeu de rôle entre Israéliens et Américains pour convaincre l’Iran et la communauté internationale que l’Etat juif est de plus en plus enclin à recourir à l’option militaire contre les installations nucléaires de Téhéran, la mise en scène serait parfaite. Mais tout porte à croire que la cacophonie qui se développe depuis quelques jours reflète une dissension croissante entre le président américain, Barack Obama, et le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou.
Dimanche 9 septembre, ce dernier assure que les deux pays discutent de la fixation de " lignes rouges " que l’Iran ne devra pas franchir dans son programme nucléaire, sauf à risquer une attaque militaire contre ses installations. Cette déclaration rassure un peu : lorsqu’on envisage de fixer à un adversaire des " lignes rouges ", c’est qu’une attaque n’est pas imminente.
Mais dès dimanche soir, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, met les choses au point : " nous ne fixons pas de dates limites " - à l’Iran - . Les négociations, ajoute-t-elle, " sont de loin la meilleure approche ". Lundi 10 septembre, la porte-parole du département d’Etat revient à la charge : le président Obama " a dit de manière univoque qu’il ne laisserait pas l’Iran obtenir l’arme nucléaire (...) mais il n’est pas utile d’établir des dates butoirs, des lignes rouges ".
A Jérusalem, ces mises au point sont ressenties comme des camouflets. Un représentant officiel réagit vertement, estimant que ce type de déclarations ne peut que " faciliter la tâche de l’Iran ".
Enfin, mardi 11 septembre, M. Nétanyahou choisit de souligner les divergences israélo-américaines : " Le monde dit à Israël d’attendre, parce qu’il y a encore du temps, mais je pose la question : Attendre quoi ? Jusqu’à quand ? Ceux qui, dans la communauté internationale, refusent de fixer une ligne rouge à l’Iran n’ont pas le droit moral d’en fixer une à Israël. "
La menace de recourir à l’option militaire est implicite, mais parfaitement claire. Elle traduit l’exaspération du premier ministre israélien face à ce qu’il considère comme le dangereux attentisme de Washington. Il n’est pas exclu cependant qu’elle participe de cette " stratégie de la tension " poursuivie depuis des mois par Israël pour amener - avec un certain succès - la communauté internationale à accroître ses sanctions contre Téhéran.
Israël pourrait-il passer outre les objections américaines ? C’est la question-clé, à laquelle deux précédents incitent à répondre par l’affirmative. Lorsque l’aviation israélienne a détruit le réacteur nucléaire irakien d’Osirak, le 7 juin 1981, les dirigeants de l’Etat juif se sont passés du feu vert des Etats-Unis. Il en a été de même pour la destruction du réacteur syrien d’Al-Kibar, le 5 septembre 2007.
Dans la dernière édition du magazine américain The New Yorker, le journaliste David Makovsky apporte des informations inédites sur les circonstances de cette opération, jamais reconnue par l’Etat juif. Il explique que le Mossad, le service de renseignement extérieur, a obtenu la preuve de l’existence de ce réacteur en cambriolant le domicile, à Vienne, d’Ibrahim Othman, chef du service syrien de l’énergie atomique.
Les agents israéliens ont rapporté des photos, qui ont été montrées aux dirigeants américains. Mais le président George Bush, échaudé par la polémique sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, ne s’est pas laissé convaincre, du moins pas suffisamment pour ordonner une attaque militaire américaine.
David Makovsky relate les tiraillements au sein de l’administration américaine, et explique pourquoi, au bout du compte, Israël a estimé qu’il n’avait plus le temps de tergiverser. Certes, l’Iran n’est pas la Syrie, notamment parce qu’il s’agirait d’une opération militaire infiniment plus complexe, mais les exemples d’Osirak et d’Al-Kibar, ainsi que les propos va-t-en-guerre de M. Nétanyahou, nourrissent une inquiétude non feinte, à Washington et au-delà.