Une autre approche consiste à faire pression directement sur ces entreprises en interne par un contact avec leurs dirigeants, leurs services RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), et par l’information du personnel – la collabo¬ration avec les organisations syndicales est ici fondamentale. Cela inclut aussi l’interpellation des dirigeants lors des assemblées générales d’actionnaires, et des comités d’entreprise (CE) à tous les niveaux (par les organisations syndicales). On peut également recourir aux pressions externes par des plaidoyers des ONG – comme l’AFPS ou la « Plateforme Palestine » - auprès des élus et du gouvernement.
Deux beaux résultats de ces différentes approches : d’une part, l’annonce par le P.-D.G. de la SNCF le 20 juin 2018 lors d’un CE européen, du retrait de Systra du tramway de Jérusalem au nom du respect du droit international, après des actions concertées de la société civile et des syndicats ; et d’autre part le retrait de Safège du projet de téléphérique de Jérusalem en avril 2015 - à peine un mois après que sa participation a été révélée par la presse - à la suite d’interventions de l’AFPS et de l’OLP auprès d’élus et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, lequel a promptement convoqué les dirigeants de l’entreprise. Mais souvent les résultats sont plus mitigés, et la persévérance doit être de mise.
Une troisième approche, le désinvestissement financier
Le D de BDS consiste à exercer des pressions, non sur les en¬treprises mais sur leurs bailleurs de fonds, en pointant leur res¬ponsabilité indirecte. Le choix pour les entreprises est alors soit de se désengager de leurs activités liées aux colonies, soit de perdre les apports qui alimentent leur capital.
Dès 2006, ASN, une banque « éthique » des Pays-Bas, qui avait déjà exclu des compagnies liées à l’apartheid en Afrique du sud, s’est retirée de Veolia, impliqué dans le tramway de Jérusalem, tandis que l’Église méthodiste d’Angleterre et l’Église des Frères unis dans le Christ votaient leur retrait du capital de Caterpillar, acteur de démolitions de maisons palestiniennes dans le TPO.
Suite à la pression continue des mouvements de solidarité et à l’engagement des organisations syndicales, les institutions financières des pays nordiques et du monde anglo-saxon ont commencé, à partir de 2009, à rejeter, au coup par coup, cer¬tains actifs d’entreprises liées à la colonisation israélienne. Parmi elles, beaucoup de mastodontes gérant les systèmes semi-publics de retraites et de couvertures santé par capitalisation, beaucoup plus sensibles que les banques aux recommandations de leurs comités d’éthique et de leurs gouvernements. Au fil des ans, on trouve les deux fonds souverains et un géant de l’assurance norvégiens GPFG, GPF, KLP, ainsi que les plus gros des fonds de pensions, danois PKA ; néerlandais ABP, PFZW suédois AP1-7, et nord-américain TIAA-CREF, les caisses de retraite nationale néo-zélandaises NZ Super Fund et luxembourgeoises FDC ; et nombre de fonds de pension locaux anglais et écossais. On trouve aussi la Fondation Bill Gates, de gros gestion¬naires d’actifs britannique Blackrock et suédois Folksam, et deux grandes banques Deutsche Bank, Danske Bank.
Des milliards de dollars ont ainsi été désinvestis, tout d’abord d’entreprises concrètement actives dans la colonisation (Elbit Systems, G4S, Hewlett-Packart, Caterpillar, Heidelberg Cement, Cemex, Alstom et Veolia) ou de sociétés de construction (Africa Israel/Danya Cebus, Shikun & Binui, Ashot).
À partir de 2014, est reconnu le rôle, moins direct, des banques israéliennes dans le financement de la colonisation, et les cinq principales (Hapoalim, Leumi, Mizrahi Tefahot, First International Bank Israel et Israel Discount Bank) deviennent aussi des cibles. La base de données de l’ONU dévoilant, en 2020, 112 entreprises liées à la colonisation, élargit encore le spectre et permet par exemple à la société d’investissement norvégienne KLP de se retirer dès 2021 du capital de 18 entreprises supplémentaires dans les domaines de la construction, de l’ingénierie, de l’énergie, des télécommunications et de la banque.
Pendant la même période, des Églises anglo-saxonnes qui ont des liens étroits avec des organisations chrétiennes en Palestine, ont mené des actions d’éducation et de sensibilisation et réussi à faire voter, surtout après l’appel du « document Kairos » en 2009, leur désinvestissement. Les entreprises ciblées sont celles qui participent le plus concrètement à la colonisation et les cinq grosses banques israéliennes, pour des retraits se chiffrant en dizaines de millions de dollars. D’autres Églises ont simple¬ment établi des listes d’exclusions de leur portefeuille. Une di-zaine d’Églises est concernée représentant plusieurs dizaines de millions de fidèles. Mais d’autres Églises refusent toujours toute condamnation de l’occupation et tout désinvestissement financier en raison de leurs liens avec des organisations juives.
La campagne de désinvestissement « banques et assurances » de l’AFPS naît fin 2015 d’une étude qui souligne la nécessité d’étendre la politique de « différenciation » de l’UE au secteur financier. Elle intervient dans la foulée de la campagne réussie Orange et avec les mêmes partenaires - CCFD, CGT, FIDH, Al Haq, LDH et Solidaires –. En 2016, Fair Finance rejoint ce groupe et commande à l’ONG néerlandaise Profundo une recherche des liens entre des institutions financières françaises et des entreprises actives dans les colonies. Le 29 mars 2017 le rapport Les liaisons dangereuses des banques et assurances françaises avec la colonisation israélienne identifie cinq grands groupes financiers français – BNP Paribas, Crédit agricole (CA), Société générale (SG), BPCE, AXA et leurs filiales LCL et Natixis – en raison de leurs liens avec les cinq principales banques israéliennes et avec les entreprises Bezeq, Cellcom, Elbit, Shikun & Binui et Israel Electric Corp. Dès l’été 2017, des courriers sont adressés aux P.-D.G. des cinq banques par le ministre de l’Économie palestinien, et au ministre des Affaires étrangères par le secrétaire général de l’OLP. Des membres de l’AFPS participent de 2017 à 2019 aux AG nationales de ces banques, avec interpellation des P.-D.G., et des syndicats inter¬viennent en interne. Des membres des GLs participent à plusieurs dizaines d’AG décentralisées, en particulier des BPCE, et des rassemblements ont lieu devant de nombreuses agences avec distribution de tracts, lettres aux directeurs d’agence et de¬mandes de rendez-vous. Alors que la BNP Paribas reste muette, une certaine ouverture se dessine au CA, à la SG, à AXA (qui a revendu ses actifs dans Elbit en 2018 et diminué son investissement dans les banques israéliennes en 2021) ou à la BPCE (le président du directoire de la CE Bretagne Pays de Loire : « Il serait logique d’aller vers un désengagement progressif d’investissements posant problème »).
La coalition européenne DBIO (Don’t Buy Into Occupation, soit « N’investissez pas dans l’occupation »), lancée fin 2020 par la plateforme belge 11.11.11, découle de la même logique, mais à une tout autre échelle. Elle compte 27 ONG et syndicats (7 pays européens et Palestine), dont, pour la France, AFPS, LDH, FIDH, CGT et la Plateforme des ONG pour la Palestine. Les 112 entreprises de la base de données de l’ONU, portées à 137 par la Coalition après révision, sont maintenant concernées. De plus, une étude, confiée à nouveau à Profundo, établit que 672 IFs européennes ont des relations avec 50 de ces entre¬prises. 81 d’entre elles sont françaises et l’encadré présente les 25 les plus exposées. Contrairement au pays nordiques et anglo-saxons, ce sont surtout des banques, des assureurs et des gestionnaires d’actifs, beaucoup moins sensibles dans les faits aux aspects éthiques de leurs investissements. Le rapport Exposing the financial flows into illegal Israeli settlements (« Dévoiler les flux financiers dans les colonies israéliennes illégales »), publié 29 septembre 2021, montre que la BNP Paribas est de loin l’acteur européen le plus impliqué, contribuant au finance¬ment de 33 entreprises, pour plus de 20 milliards de dollars. Il a donc été choisi comme cible commune principale. Le lance¬ment européen de la campagne, le 15 décembre 2021 a vu des rassemblements devant le siège à Paris et plusieurs agences en région, avec tractages, demandes de rendez-vous et actions coup de poing en ligne. Une semaine d’action internationale a suivi, du 31 janvier au 6 février 2022, avec la mobilisation d’une dizaine de GLs. Sans surprise, la BNP ne plie pas. Mais les actions doivent s’amplifier et s’inscrire dans le temps, sachant que les concepts d’investissement responsable et de RSE s’élargissent maintenant au respect des droits humains. De même la publication de la liste de l’ONU a officialisé l’accusation de participation indirecte à la colonisation israélienne et lui a donné du poids. D’autres banques, plus ouvertes à ces notions, devraient aussi être ciblées, car l’expérience montre qu’à terme, le désinvestissement fonctionne et est complémentaire des actions de boycott et des pressions directes sur les décideurs.

Renée Prangé
>> Cet article fait partie du n°80 de notre revue trimestrielle Palestine-Solidarité ou "PalSol".
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