Et si en fait Nétanyahou s’était fait berner pour devenir involontairement le principal collaborateur des ambitions iraniennes ?
Cela parait fou ? Pas vraiment. Voyons un peu les faits.
L’IRAN EST l’une des plus anciennes puissances du monde, avec des milliers d’années d’expérience politique. Les Iraniens ont dans le passé possédé un empire qui couvrait le monde civilisé, y compris notre petit pays. Leur réputation en matière de pratiques commerciales avisées est sans égale.
Ils sont beaucoup trop intelligents pour construire une arme nucléaire. Dans quel but ? Cela engloutirait des sommes d’argent considérables. Ils savent qu’ils n’auraient jamais la possibilité de s’en servir. Tout comme Israël avec son gros stock.
Le cauchemar de Nétanyahou d’une attaque nucléaire sur Israël n’est que cela – un cauchemar de dilettante ignorant. Israël est une puissance nucléaire capable d’une riposte vigoureuse. Comme nous le voyons, les dirigeants iraniens sont des durs à cuire réalistes. Envisageraient-ils même de provoquer une riposte israélienne inévitable qui effacerait de la surface de la terre leur civilisation trois fois millénaire ?
(Si cette capacité fait défaut, Nétanyahou pourrait être accusé et reconnu coupable de négligence criminelle.)
Même si les Iraniens avaient trompé le monde entier et avaient construit une bombe atomique, rien ne se produirait sinon un “équilibre de la terreur”, comme celui qui a sauvé le monde à l’apogée de la guerre froide entre l’Amérique et la Russie.
Les gens de l’entourage de Nétanyahou prétendent croire que, à la différence des Soviétiques de l’époque, les mollahs iraniens sont des gens insensés. Il n’y a absolument aucune preuve d’une telle affirmation. Depuis leur révolution de 1979, les dirigeants iraniens n’ont pas fait un seul pas important qui ne fut totalement rationnel. Comparés aux erreurs américaines dans la région (sans parler de celles d’Israël), les dirigeants iraniens se sont montrés totalement logiques.
Alors peut-être ont-ils échangé leurs projets nucléaires inexistants contre leur projet politique véritable : devenir la puissance hégémonique du monde musulman.
Si c’est le cas, ils doivent beaucoup à Nétanyahou.
QU’A DONC FAIT la République islamique au cours de ses 45 années d’existence pour nuire à Israël ?
Certes, on peut voir à la télévision des foules de Téhéran brûler des drapeaux israéliens et crier “Mort à Israël”. Ils nous qualifient, de façon peu flatteuse, de “Petit Satan”, comparé au “Grand Satan” américain.
C’est terrible. Mais qu’y a-t-il d’autre ?
Pas grand-chose. Peut-être un certain soutien au Hezbollah et au Hamas, qui ne furent pas créés par eux. Le vrai combat de l’Iran est contre les puissances du monde musulman. Il veut faire des pays de la région des vassaux de l’Iran, comme ils l’étaient il y a 2400 ans.
Cela n’a guère à voir avec l’islam. L’Iran utilise l’islam de la même façon qu’Israël utilise le sionisme et les Juifs de la diaspora (et que la Russie utilisait le communisme dans le passé) comme un outil pour ses ambitions impériales.
Ce qui se déroule actuellement dans cette région ressemble aux “guerres religieuses” de l’Europe du 17e siècle. Une douzaine de pays se combattaient au nom de la religion, sous les drapeaux du catholicisme et du protestantisme, mais en utilisant en réalité la religion pour réaliser leurs projets impériaux très terrestres.
Les États-Unis, dirigés par une bande de fous néoconservateurs, ont détruit l’Irak qui des siècles durant a servi de rempart du monde arabe contre l’expansion iranienne. Maintenant, sous la bannière du chiisme, l’Iran est en train d’étendre son pouvoir sur toute la région.
L’Irak chiite est actuellement dans une large mesure un vassal de l’Iran (nous reviendrons à Daesh). Les dirigeants de la Syrie, pays sunnite gouverné par une petite secte semi-chiite, dépendent de l’Iran pour leur survie. Au Liban, le Hezbollah chiite est un allié proche dont le pouvoir et le prestige s’accroissent. Il en va de même pour le Hamas à Gaza qui est entièrement sunnite. Et pour les rebelles Houthi du Yémen qui sont des Zaidis (une branche du chiisme).
Le statu quo dans le monde arabe est défendu par une bande corrompue de dictateurs et de cheikhs moyenâgeux, comme les dirigeants de l’Arabie Saoudite, de l’Égypte et les potentats du pétrole du Golfe.
Il est clair que l’Iran et ses alliés sont la vague de l’avenir, que l’Arabie Saoudite et ses alliés appartiennent au passé.
Il reste Daesh, l’ « État Islamique » sunnite en Syrie et en Irak. C’est aussi une puissance montante. À la différence de l’Iran dont l’élan révolutionnaire s’est épuisé, Daesh rayonne de ferveur révolutionnaire, attirant des adhérents du monde entier.
Daesh est l’ennemi réel de l’Iran – et d’Israël.
LE PRÉSIDENT OBAMA et ses conseillers en ont pris conscience depuis quelque temps. Leur nouvelle alliance avec l’Iran se fonde en partie sur cette réalité.
Avec l’arrivée de Daesh, les réalités de terrain ont complètement changé. Le changement confirme une nouvelle fois la vieille maxime britannique selon laquelle vos ennemis dans une guerre peuvent très bien devenir vos alliés dans la suivante, et vice versa. Loin d’être naïf, Obama est en train de monter une alliance contre l’ennemi nouveau et très dangereux. Cette alliance devrait logiquement inclure la Syrie de Bachar Assad, mais Obama craint encore de le dire ouvertement.
Obama et ses conseillers pensent aussi qu’avec la levée des sanctions paralysantes, les Iraniens vont consacrer tous leurs efforts à faire de l’argent, réduisant toujours plus leur ferveur religieuse et nationaliste. Cela semble assez raisonnable.
(Nétanyahou pense que les Américains sont “naïfs”. Eh bien, pour une nation naïve les États-Unis ont tout à fait bien réussi à devenir la seule super-puissance du monde.)
Une conséquence de la situation c’est qu’Israël est une fois de plus en désaccord avec l’ensemble du monde politique. Le Traité de Vienne n’a pas été signé par les seuls États-Unis mais par toutes les puissances mondiales importantes. Cela semble créer la situation que décrit l’amusante chanson populaire israélienne : “Le monde entier est contre nous / Mais on s’en fout…”
Malheureusement, à la différence d’Obama, Nétanyahou est empêtré dans le passé. Il continue à diaboliser l’Iran, au lieu de s’associer à la lutte contre Daesh, qui est beaucoup, beaucoup plus dangereux pour Israël.
On n’a pas besoin de remonter à Cyrus le Grand (6e siècle avant le Christ) pour comprendre que l’Iran peut être un allié proche. Dans les relations entre les nations, la géographie l’emporte sur les religions. Il n’y a pas si longtemps, l’Iran était l’allié le plus proche d’Israël dans la région. Nous avons même livré des armes à Khomeini pour combattre l’Irak. Les mollahs haïssent Israël non pas tant à cause de leur religion, mais en raison de notre alliance avec le Shah.
Le régime iranien actuel a depuis longtemps perdu son enthousiasme révolutionnaire. Il agit en fonction de ses intérêts nationaux. La géographie compte encore. Un gouvernement israélien avisé profiterait des dix prochaines années ou plus d’un Iran garanti sans armement nucléaire pour renouveler l’alliance – en particulier contre Daesh.
Cela pourrait signifier de nouvelles relations avec la Syrie d’Assad, avec aussi le Hezbollah et le Hamas.
MAIS DE TELLES considérations de grande portée sont éloignées de l’esprit de Nétanyahou, le fils d’un historien, totalement dépourvu de connaissances ou d’intuition historiques.
Le combat va maintenant s’engager à Washington D.C., où Nétanyahou va se trouver pleinement engagé comme mercenaire de Sheldon Adelson, le propriétaire du parti républicain.
C’est un triste spectacle : l’État d’Israël, qui a toujours bénéficié du soutien sans faille des deux partis américains, est devenu un appendice du leadership Républicain réactionnaire.
Une victime de cet état de choses est la légende de l’ « invincible » lobby pro-israélien. Cet atout essentiel est maintenant perdu. À partir de maintenant, AIPAC (le lobby pro-israélien des États-Unis) ne sera plus que l’un des nombreux lobbys auprès du Capitole.
ET LE SPECTACLE de l’élite du monde politique et des médias d’Israël au lendemain de la signature du traité de Vienne est encore plus triste. C’est à peine croyable.
Presque tous les partis politiques ont adopté la position de Nétanyahou, faisant assaut de manifestations de loyauté pitoyable. Depuis le « leader de l’opposition », le lamentable Yitzhak Herzog jusqu’au volubile Yair Lapid, tous se sont précipités pour apporter leur soutien au Premier ministre à ce moment crucial.
Les médias ont été encore pires. Presque tous les reporters importants, de gauche comme de droite, se sont déchaînés contre le traité “désastreux” et ont déversé leur dégoût et leur mépris sur le pauvre Obama, comme s’ils récitaient une “liste d’arguments” préparée par le gouvernement (ce qui était en effet le cas).
Ce n’est pas le meilleur moment de la démocratie israélienne ni de l’ « intelligence juive » tant vantée. Rien d’autre qu’un exemple méprisable de lavage de cerveau classique. Certains l’appelleraient ‘pressetitution’.
L’un des arguments de Nétanyahou est que les Iraniens peuvent tromper les naïfs Américains et qu’ils vont le faire en construisant la bombe. Il est sûr que c’est possible. Eh bien, il devrait le savoir. Nous l’avons fait, n’est-ce pas ?