Photo : Veille devant le tribunal de Haïfa, le 26 Janvier 2021. (Crédit : Yoav Haifawi)
Lundi matin, le 25 janvier, la police israélienne a fait irruption chez Muhannad Abu Ghosh, 44 ans, dans le centre de Haïfa, et l’a emmené. En tant que militant de longue date des droits des Palestiniens, il est presque habitué à ce genre de rencontre, si l‘on peut toutefois s’y habituer. Adolescent dans les années 1980, il a été détenu pendant plusieurs années pour avoir pris part aux activités de la première Intifada à Jérusalem sa ville natale. La dernière fois qu’il a été interrogé par le Shabak [1], était il y a seulement un mois. Il a alors été enlevé devant ses enfants lors d’une descente chez lui, mais il est revenu chez lui, libre, à la fin de la même journée. Au cours des années, il a été interrogé plusieurs fois par les « services de sécurité » israéliens. Il a même été détenu à Ramallah, sous le contrôle de l’ « Autorité Palestinienne » après avoir pris part à une manifestation contre la politique anti-palestinienne de la France lorsqu’il était étudiant à l’université de Birzeit.
Cette fois-ci, lundi, Abu Ghosh n’a pas été amené à un interrogatoire habituel. Peu de temps après avoir été arrêté, il a été emmené au tribunal de Haïfa où sa détention provisoire a été prolongée pour toute une semaine. Il n’a pas été mis en examen ni inculpé d’un quelconque délit. Il a été empêché par un jugement spécial de rencontrer un avocat, mesure régulièrement utilisée à l’encontre des militants palestiniens qui sont interrogés par le Shabak. Alors que son avocat n’a pas été informé de l’endroit où il est actuellement détenu, j’ai de bonnes raisons de croire qu’il se trouve à la section du Shabak à Jelemeh – où des conditions difficiles et l’utilisation de toutes sortes de tortures psychologiques et physiques sont la norme.
Mardi, son avocat, Khaled Mahajna, a fait appel à la fois de la détention sans inculpation de Abu Ghosh, et du jugement qui l’empêche de rencontrer son avocat. Avant que ne commencent les audiences du tribunal, quelque 20 militants du Mouvement populaire de Haïfa se sont réunis dans un délai très court pour une veille de solidarité, en demandant la libération de leur camarade.
Tout le procès s’est tenu à huis clos. Seule la femme du détenu a été autorisée à entrer dans le bâtiment du tribunal, mais elle aussi, n’a pas même été autorisée à le voir au tribunal.
Comme cela se fait souvent dans les tribunaux israéliens, pendant l’audience en appel, les agents du Shabak ont rencontré seuls le juge, sans la présence de Abu Ghosh ou de son avocat, pour lui faire part de leurs « preuves secrètes. » Ni le détenu, ni son avocat, n’ont été autorisés à savoir de quoi il s’agissait. Finalement, surprise surprise, les appels ont été rejetés.
Muhannad Abu Ghosh est écrivain et artiste. Son écriture satirique poignante lui vaut de nombreux adeptes sur les réseaux sociaux. Son livre de nouvelles sur la première intifada a été publié par un éditeur de Beyrouth. Il est aussi connu comme l’un des fondateurs du Mouvement populaire de Haïfa, un mouvement qui a joué au cours des dix dernières années un rôle pionnier tant pour les droits nationaux des Palestiniens que pour son programme social progressiste.
En regardant sa page Facebook après son arrestation, j’ai découvert qu’il était l’un des relativement rares militants dévoué qui ait commémoré le 10ème anniversaire du printemps arabe avec la promesse que son message de liberté ne mourra jamais. A propos d’une photo de neige sur le Jabal al-Sheikh, il se tourmente au sujet des souffrances des Syriens et des Palestiniens des deux côtés de la montagne.
Haïfa est censée être l’endroit le plus « progressiste » de l’apartheid d’Israël. Elle est censée offrir un exemple de « coexistence » entre les Arabes et les Juifs sous la domination sioniste. Mais ce n’est qu’un mince déguisement pour la domination ininterrompue de la suprématie juive sur la population palestinienne autochtone. Le Shabak, opaque et sans loi, est la plus haute autorité dans tout ce qui est en relation avec la population arabe. Il tient un « dossier » pour chaque citoyen et invite systématiquement de jeunes Palestiniens (militants et autres) pour des « entretiens » – destinés à les tenir à l’écart de toute contestation politique. Environ cinq militants du Mouvement populaire ont subis des semaines d’interrogatoires rudes dans les cachots du Shabak à Jelemeh. Certains exemples précédents de telles arrestations ont été rapportés ici, ici et ici.
Dans une déclaration demandant la libération immédiate de Abu Ghosh, le Mouvement populaire a souligné qu’en l’empêchant de voir son avocat "ses gêoliers avait pour objectif de l’isoler du monde et d’exercer une pression extrême et illégale pour briser sa volonté inébranlable." Il a mentionné qu’il "souffre de mal de dos chronique suite aux tortures qu’il a subi durant des arrestations précédentes.3
La déclaration du Mouvement populaire se termine par un appel "à tous les nationaux palestiniens et toutes les forces démocratiques, ltoutes les institutions de défenses des droits de l’Homme et toutes les personne avec une conscience, à agir rapidement pour la libération du camarade Muhannad Abu Ghosh."
Traduit de l’original par Yves Jardin, membre du Groupe de Travail de l’AFPS sur les prisonniers politiques palestiniens